Analyse


Effet d’une intervention en médecine générale sur la participation des femmes immigrées au dépistage du cancer du col de l’utérus


15 02 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Sage-femme
Analyse de
Møen KA, Kumar B, Igland J, Diaz E. Effect of an intervention in general practice to increase the participation of immigrants in cervical cancer screening: a cluster randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2020;3:e201903. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.1903


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée, en grappes, réalisée en Norvège, montre que sensibiliser les médecins généralistes et attirer leur attention sur l'importance d'inviter les femmes immigrantes à participer au dépistage du cancer du col de l’utérus est une stratégie réalisable bien que modestement efficace pour accroître la participation au programme, en particulier parmi les femmes immigrantes qui n'ont jamais été dépistées.



Le cancer du col de l’utérus est le 4ème cancer le plus fréquent chez la femme, et réside au second rang en termes d’incidence et de mortalité dans les pays à faibles revenus, juste après le cancer du sein (1). Améliorer le dépistage du cancer du col de l’utérus reste en 2021 une priorité de santé publique. Nous avons analysé dans Minerva (2) une étude d’observation incluant 3 cohortes présentant d’importantes limites méthodologiques qui avait montré qu’un autoprélèvement pour la détection du col de l’utérus à HPV associé à un programme éducatif intensif augmentait dans une certaine mesure le taux de participation au dépistage, principalement parmi les femmes qui consultent déjà régulièrement pour un frottis du col de l’utérus (3).

Etudier des améliorations possibles pour certaines populations est également un défi. Malgré des flux migratoires mondiaux en augmentation, la recherche sur la santé des migrants, en particulier dans le domaine des maladies non transmissibles telles que les cancers, est peu développée (4). Les femmes issues de l’immigration, en Norvège comme dans d’autres pays du Nord, ont des taux de participation aux programmes de dépistage du cancer du col de l’utérus plus faibles que la population générale (5,6). Pourtant, certaines présentent une prévalence supérieure de ce même cancer (7). Afin de lever les freins au dépistage, des actions au niveau individuel et au niveau des praticiens de santé peuvent être instaurées (8). C’est une action de ce type, réalisée à l’attention des médecins généralistes, dont il sera question ici (9).

 

Le but de l’étude est en effet de déterminer si une intervention parmi les généralistes pourrait augmenter la participation de ces femmes au programme norvégien de dépistage du cancer du col utérin. Pour cela, un essai contrôlé randomisé en grappes (clusters) a été réalisé, en utilisant les 20 sous-districts de la municipalité de Bergen, en Norvège, comme clusters. Dix paires de grappes ont ainsi été formées en fonction du nombre de femmes vivant dans ces districts, puis soumises à randomisation. L’intervention a été mise en place entre janvier et juin 2017. Le suivi s’est terminé en janvier 2018, les médecins généralistes appartenant aux zones contrôles ayant continué leur activité comme habituellement. Au total, 10360 femmes réparties entre 73 médecins généralistes appartenant aux 20 quartiers ont été incluses.

 

L’intervention considérée comporte 3 éléments :

  • une session éducative de quinze minutes pour les médecins généralistes a été organisée sur l’heure du déjeuner, afin de décrire l’importance du dépistage du cancer du col de l’utérus chez les immigrées et de leur donner des conseils pour inviter ces patientes à participer aux programmes existants. Cette session a été réalisée par la première auteure, elle-même généraliste, selon une approche théorique mise en évidence par Chauhan (10) sur les interventions visant à modifier le comportement des praticiens de soins primaires. Elle consiste en un dialogue interactif, multifacette et s’adressant à l’ensemble des généralistes présents dans un centre. Il leur est demandé d’interroger systématiquement chacune de ces femmes à propos de la réalisation ou non du dépistage, quelle que soit la raison pour laquelle elles consultent leur médecin.
  • un tapis de souris, pour rappeler cette session
  • et un poster, portant l’inscription « Vous pouvez prévenir le cancer du col de l’utérus par un simple test. Parlez-en à votre médecin aujourd’hui ! » placé dans la salle d’attente du cabinet complète l’intervention. Le poster est traduit en polonais, somalien, anglais et urdu (pakistanais) car ces populations sont les plus représentées chez les immigrants en Norvège.

 

Cette intervention a été déterminée à la suite d’une étude qualitative précédemment menée par les auteurs (11), auxquels les praticiens avaient confié leur manque de connaissances à propos du dépistage du cancer du col utérin, et leur préférence pour des visites courtes par des chercheurs du domaine pour se former, ainsi que des flyers ou des posters pouvant être placés dans les salles d’attente. Le résultat du critère principal de jugement, c’est-à-dire le statut de dépistage au 1er janvier 2018, a été obtenu en consultant le registre norvégien du cancer. L’effet de l’intervention a été mesuré par un odds ratio (OR) du statut vis-à-vis du dépistage du cancer du col de l’utérus au 1er janvier 2018, pour le groupe interventionnel et le groupe contrôle, avec 3 niveaux d’ajustement (modèles). Le premier modèle a consisté en un ajustement sur le statut du dépistage du cancer du col avant le début de l’étude (baseline), au 1er janvier 2017. Le second modèle a été ajusté en plus sur les caractéristiques des femmes : leur âge, statut marital, niveau de revenu et région d’origine. Enfin, le troisième modèle l’a été sur les caractéristiques des médecins généralistes : sexe, âge et région d’origine. Deux analyses en sous-groupes, l’une sur le statut vis-à-vis du dépistage avant le début de l’étude et l’autre sur le pays d’origine des femmes, ont été réalisées afin d’évaluer si ces facteurs avaient une influence sur l’effet de l’intervention. Les données ont été analysées en intention de traiter.

10360 femmes ont été incluses, 5227 dans le groupe interventionnel et 5133 dans le groupe contrôle. Elles ont été réparties parmi 39 médecins généralistes dans le premier groupe et 34 dans le second. La proportion de femmes dépistées a augmenté de 2,6% pour celles dont le médecin généraliste avait bénéficié de l’intervention, et de 0,6% pour les autres. Après ajustement sur le statut de dépistage avant étude, les femmes du groupe interventionnel sont restées plus susceptibles de participer au dépistage (OR de 1,24 avec IC à 95% de 1,11 à 1,38). Cet effet statistiquement significatif est demeuré inchangé après ajustement sur les caractéristiques des femmes – le modèle 2 (OR de 1,24 avec IC à 95% de 1,11 à 1,38). Il s’est montré plus faible, mais toujours significatif, après ajustement sur les caractéristiques des médecins généralistes – le modèle 3 (OR de 1,74 avec IC à 95% de 1,06 à 1,34). Dans l’analyse en sous-groupe, on a pu remarquer que l’intervention a particulièrement augmenté la participation parmi les femmes qui n’avaient pas été dépistées antérieurement avant l’étude (OR de 1,35 avec IC à 95% de 1,16 à 1,56) et chez celles venant de Pologne, du Pakistan ou de Somalie (OR de 1,74 avec IC à 95% de 1,17 à 2,61) après ajustement sur le statut du dépistage en baseline.

L’effet statistique retrouvé, une augmentation d’un peu plus de 2% de la participation au dépistage, est plus faible que celui espéré par les auteurs. Toutefois, cette significativité statistique d’ampleur modeste est renforcée par une présomption de pertinence clinique au regard des conséquences possibles d’un retard au diagnostic du cancer du col et parce que l’intervention affecte positivement les femmes initialement les moins dépistées. Par ailleurs, l’étude n’offre un suivi que d’un an : des incertitudes demeurent donc sur l’effet résiduel à long terme, qu’il soit positif ou au contraire, qu’il montre une différence encore plus restreinte avec les années.

Attirer l’attention des généralistes sur les problématiques de santé des migrants autres que les pathologies infectieuses aiguës, en particulier sur les maladies telles que les cancers, peut donc permettre d’améliorer l’état de santé de cette partie de la population. Toutefois, dans cette étude, c’est une intervention particulière qui a été évaluée, déterminée au préalable à cette recherche par les mêmes auteurs. Le fait que les médecins généralistes aient été initialement sollicités sur leurs lacunes en termes de connaissances et leurs préférences en termes de formation a probablement contribué à augmenter leur « motivation » sur le sujet, ce qui, sans parler de biais, a toujours des répercussions sur une étude. Or, malgré cela, l’effet final sur le dépistage est statistiquement modeste. Dans la mesure où l’intervention est ici peu contraignante, en particulier sur son aspect logistique (15 minutes sur l’heure du déjeuner), on ne peut qu’encourager les praticiens à participer à ce genre de session, car bien que faible, il existe in fine un effet positif sur leur patientèle. Dans leur discussion, les auteurs évoquent la possibilité d’élargir le champ des praticiens pouvant pratiquer un test de dépistage aux sages-femmes qui, contrairement à la Belgique dans des conditions très particulières (12) et à la France, ne réalisent pas ces tests en Norvège. Il peut être opportun, pour améliorer le dépistage, chez toute patiente d’ailleurs, de rappeler que les sages-femmes peuvent réaliser ce test. Cette information est en effet souvent méconnue de la population générale et certaines patientes peuvent préférer le contact d’une sage-femme à celle d’un médecin pour réaliser ce geste.

 

Que disent les guides de pratique cliniques ?

En 2015, le KCE (Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé) rappelait que d’après les recommandations européennes et celles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Pap-test doit être réalisé tous les 3 à 5 ans chez toutes les femmes entre 25 et 64 ans (13). En Belgique, le test est remboursé une fois tous les 3 ans depuis 2009. On sait aujourd’hui avec certitude qu’il existe un lien de cause à effet entre le cancer du col de l’utérus et la présence du papillomavirus (HPV), transmis par voie sexuelle. Le KCE a établi, en collaboration avec l’Institut scientifique de Santé Publique (actuellement Sciensano) et le Registre du Cancer, qu’un dépistage basé sur la détection de la présence du virus serait plus efficace que l’actuel frottis (aussi appelé Pap-test) pour protéger les femmes de plus de 30 ans, et ceci à un coût moins élevé. De plus, le dépistage par test HPV permettrait en toute sécurité d’espacer les examens de 5 ans au lieu de 3 ans aujourd’hui. Il reste cependant important que toutes les femmes entre 25 et 64 ans, y compris celles qui sont vaccinées contre ce virus, continuent à se faire dépister. En effet, le vaccin ne protège pas contre tous les types de virus HPV pouvant générer un cancer, et on ne connaît pas encore avec certitude la durée de la protection qu’il confère (13). En Belgique, seules 60% des femmes se font dépister, ce qui est insuffisant (13).

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée, en grappes, réalisée en Norvège, montre que sensibiliser les médecins généralistes et attirer leur attention sur l'importance d'inviter les femmes immigrantes à participer au dépistage du cancer du col de l’utérus est une stratégie réalisable bien que modestement efficace pour accroître la participation au programme, en particulier parmi les femmes immigrantes qui n'ont jamais été dépistées.

 

 

Références 

  1. Bray F, Ferlay J, Soerjomataram I, et al. Global cancer statistics 2018: GLOBOCAN estimates of incidence and mortality worldwide for 36 cancers in 185 countries. CA Cancer J Clin 2018;68:394-424. DOI: 10.3322/caac.21492
  2. Verhoeven V. Autoprélèvement pour la détection de l’infection du col de l’utérus à HPV : une alternative crédible ? MinervaF 2015;14(10):122-3.
  3. Duke P, Godwin M, Ratnam S, et al. Effect of vaginal self-sampling on cervical cancer screening rates: a community-based study in Newfoundland. BMC Womens Health 2015;15:47. DOI: 10.1186/s12905-015-0206-1
  4. Sweileh WM, Wickramage K, Pottie K, et al. Bibliometric analysis of global migration health research in peerreviewed literature (2000-2016). BMC Public Health 2018;18:777. DOI: 10.1186/s12889-018-5689-x
  5. Møen KA, Kumar B, Qureshi S, Diaz E. Differences in cervical cancer screening between immigrants and nonimmigrants in Norway: a primary healthcare register-based study. Eur J Cancer Prev 2017;26:521-7. DOI: 10.1097/CEJ.0000000000000311
  6. Leinonen MK, Campbell S, Ursin G, et al. Barriers to cervical cancer screening faced by immigrants: a registry-based study of 1.4 million women in Norway. Eur J Public Health 2017;27:873-9. DOI: 10.1093/eurpub/ckx093
  7. Rondet C, Lapostolle A, Soler M, et al. Are immigrants and nationals born to immigrants at higher risk for delayed or no lifetime breast and cervical cancer screening? the results from a population-based survey in Paris metropolitan area in 2010. PLoS One 2014;9:e87046. DOI: 10.1371/journal.pone.0087046
  8. Chan DN, So WK. A systematic review of the factors influencing ethnic minority women’s cervical cancer screening behavior: from intrapersonal to policy level. Cancer Nurs 2017;40:E1-E30. DOI: 10.1097/NCC.0000000000000436
  9. Møen KA, Kumar B, Igland J, Diaz E. Effect of an intervention in general practice to increase the participation of immigrants in cervical cancer screening: a cluster randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2020;3:e201903. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.1903
  10. Chauhan BF, Jeyaraman MM, Mann AS, et al. Behavior change interventions and policies influencing primary healthcare professionals’ practice-an overview of reviews. Implement Sci 2017;12:3. DOI: 10.1186/s13012-016-0538-8
  11. Møen KA, Terragni L, Kumar B, Diaz E. Cervical cancer screening among immigrant women in Norway - the healthcare providers’ perspectives. Scand J Prim Health Care 2018;36:415-22. DOI: 10.1080/02813432.2018.1523986
  12. Avis du Conseil Fédéral des Sages-Femmes concernant le dépistage du cancer du col (RCC) par la sage-femme. CFSF/2018/AVIS-01.
  13. Arbyn M, Haelens A, Desomer A, et al. Cervical cancer screening program and Human Papillomavirus (HPV) testing, part II: Update on HPV primary screening. Health Technology Assessment (HTA) Brussels: Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE). 2015. KCE Reports 238. D/2015/10.273/17.

 

 

 


Auteurs

Diehl J.
médecin de santé publique et médecine sociale
COI :

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