Analyse


Prescription d’amphétamines pour les troubles liés à l’usage de substances psychoactives ?


15 02 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Tardelli VS, Bisaga A, Arcadepani FB, et al . Prescription psychostimulants for the treatment of stimulant use disorder: a systematic review and meta-analysis. Psychopharmacology 2020 ;237:2233-55. DOI: 10.1007/s00213-020-05563-3


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, bien construite méthodologiquement mais basée sur des études présentant quelques limites méthodologiques, ouvre des perspectives sur un traitement de sevrage à la cocaïne à l’aide d’amphétamines délivrées sur ordonnance (dextroamphétamine principalement), mais ne donne pas d’informations sur leur efficacité à long terme.



Nous avons déjà étudié dans Minerva (1) une étude comparant l’efficacité de la buprénorphine versus méthadone à dose dégressive pour le sevrage des opioïdes (2). Cette étude mettait en évidence l’intérêt probablement semblable (absence de différence prouvée) de l’utilisation de la buprénorphine comparée à la méthadone à dose dégressive dans le sevrage aux opioïdes. Nous n’avons cependant jamais publié d’analyse relative au sevrage de la cocaïne ou à l’usage de substances psychoactives à l’aide de psychostimulants.

 

La synthèse méthodique avec méta-analyses analysée ici (3) a regroupé les données de 2889 sujets issus de 38 études randomisées, contrôlées, en double aveugle, versus placebo et en groupes parallèles. Les molécules de substitution étudiées étaient : le modafinil, le méthylphénidate ou les amphétamines (sels d'amphétamines mixtes, lisdexamphétamine et dextroamphétamine). Ces RCTs ont été retrouvées via une recherche bibliographique menées par 2 chercheurs indépendant dans 4 bases de données (PubMed / Medline, LILACS, Web of Sciences et ClinicalTrials.gov) selon les recommandations PRISMA et sans restriction de langues. Les approches non-médicamenteuses (approche comportementale par exemple) n’ont pas été incluses. Les critères de jugement comprenaient : l'abstinence de drogue (définie comme 2 à 3 semaines d'abstinence soutenue et le nombre maximal moyen de jours d'abstinence consécutifs), le pourcentage de tests urinaires négatifs au cours de l'essai et le maintien des patients en traitement. Sur les 38 études incluses, 26 incluaient des consommateurs de cocaïne et 12 études incluaient des patients présentant un trouble de l’usage d’amphétamines. En cas d’hétérogénéité statistique constatée, il était prévu d’utiliser un modèle à effets aléatoires.

Les résultats montrent avec les psychostimulants versus placebo :

  • un taux d’abstinence soutenue statistiquement significatif : RR de 1,45 avec IC à 95% de 1,10 à 1,92 ; I² = 37% ; NNT = 16 avec IC à 95% de 8 à 70
  • une durée d’abstinence statistiquement significative : différence moyenne (DM) de 3,34 jours (avec IC à 95% de 1,06 à 5,62) particulièrement chez les consommateurs de cocaïne (RR de 2,44 avec IC à 95% de 1,66 à 3,58) et des doses plus élevées de psychostimulants : RR de 1,95 avec IC à 95% de 1,38 à 2,77 (qualité de preuve très faible).

 

Aucun bénéfice n’a été retrouvé pour le maintien des patients en traitement : RR de 1,04 avec IC à 95% de 0,97 à 1,11 ; I² = 10%.

Aucune différence n'a été trouvée lors de l'analyse des sous-groupes par médicament, statut de TDAH ou dépendances comorbides.
Lors de l'analyse des sous-groupes par type de drogues (cocaïne versus amphétamines), l'effet sur l’abstinence dans les études regroupant les patients dépendants à la cocaïne est non seulement statistiquement significatif (RR de 1,70 avec IC à 95% de 1,26 à 2,31 ; I² = 24% ; NNT = 12 avec IC à 95% de 7 à 32), mais aussi probablement cliniquement significatif. Aucun bénéfice n'est par contre montré pour les études pour les patients dépendants aux amphétamines (RR de 0,89 avec IC à 95% de 0,62 à 1,27, I² = 0%).

Les essais utilisant de faibles doses de psychostimulants n'ont pas montré de bénéfice sur le critère de jugement abstinence soutenue (RR de 1,25 avec IC à 95% de 0,71 à 2,21 ; I² = 0%). Les essais avec des doses élevées ont par contre montré un bénéfice statistiquement significatif : RR de 1,50 avec IC à 95% de 1,10 à 2,06 ; NNT = 14 avec IC à 95% de 7 à 67. Cependant, le bénéfice clinique est marginal car la limite inférieure de l'intervalle de confiance n'est pas considérée comme cliniquement significative et l'hétérogénéité est intermédiaire (I² = 44%).

Les amphétamines délivrées sur ordonnance se sont avérées particulièrement efficaces pour favoriser une abstinence soutenue chez les patients souffrant de troubles liés à la consommation de cocaïne (RR de 2,44 avec IC à 95% de 1,66 à 3,58), et des doses plus élevées de psychostimulants étaient particulièrement efficaces pour le traitement des troubles liés à la consommation de cocaïne : RR = 1,95 avec IC à 95% de 1,38 à 2,77 (preuves de qualité modérée). Le traitement avec des amphétamines sur ordonnance a également montré un taux d'urines négatives supérieur pour la cocaïne : DM = 8,37% avec IC à 95% de 3,75 à 12,98. Il n'y avait aucun effet des psychostimulants pour le maintien des patients en traitement.

Enfin, les auteurs ont effectué une analyse supplémentaire des études qui ont rapporté l'abstinence au cours des 3 dernières semaines, qui est une mesure de résultat adoptée dans les essais récents, et pour laquelle quatre essais ont été inclus. Un effet significatif de l'abstinence d’abus de psychostimulants a été retrouvé avec un RR très élevé (RR de 3,01 avec IC à 95% de 1,58 à 5,75) ; I² = 0%).

 

Cette étude est globalement bien conduite méthodologiquement. Les différentes étapes sont correctement décrites et les résultats sont basés sur 38 études et 2889 patients. Les analyses en sous-groupes sont pertinentes et offrent de bonnes perspectives thérapeutiques pour le futur. Les auteurs relèvent très justement que l'effet global est principalement influencé par les études qui ont utilisé des amphétamines sur ordonnance, principalement de la dextroamphétamine, pour le traitement des personnes atteintes de troubles liés à la consommation de cocaïne. La présente analyse offre des preuves préliminaires que les médicaments ayant un effet agoniste plus « puissant » (c-à-d la dextroamphétamine) sont plus efficaces que les médicaments moins « puissants » (c-à-d le modafinil) et que les patients traités avec des doses plus élevées d'agonistes en bénéficient plus que les patients traités avec des doses plus faibles, ce qui étaye l'hypothèse selon laquelle « l'effet agoniste » est principalement responsable du bénéfice clinique.

Le nombre maximal de jours d'abstinence continue pendant le traitement est une mesure des résultats prédisant les paramètres à long terme de la consommation de cocaïne ou de substances à effet psychostimulant et du fonctionnement global. La pertinence clinique de 3 semaines d’abstinence peut vraiment être interrogée. Les auteurs ont relevé cette limite, mais ils signalent que très peu d’études ont étudié ce critère de jugement. Il paraît évident que de plus longues études portant non seulement sur la durée de l’abstinence, mais surtout sur des effets médicaux (risque cardiovasculaire et santé mentale par exemple) et sociaux (ITT, fonctionnement dans la société et la vie familiale, qualité de vie, etc.) doivent être menées dans le futur.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Nous n’avons pas retrouvé de guide de pratique clinique relatif spécifiquement au sevrage d’une dépendance à la cocaïne ou aux substances psychostimulantes et plus particulièrement quant à des recommandations d’une approche médicamenteuse particulière sur Ebpracticenet. Selon UpToDate (4), seules les interventions psychosociales se sont avérées systématiquement efficaces pour réduire l'utilisation de stimulants chez les patients souffrant de troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives. Aucun médicament n'a été démontré dans les essais randomisés comme étant systématiquement efficace pour les troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, bien construite méthodologiquement mais basée sur des études présentant quelques limites méthodologiques, ouvre des perspectives sur un traitement de sevrage à la cocaïne à l’aide d’amphétamines délivrées sur ordonnance (dextroamphétamine principalement), mais ne donne pas d’informations sur leur efficacité à long terme.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Intérêt comparatif de la buprénorphine pour le sevrage des opioïdes. MinervaF 2018;17(1):3-7.
  2. Gowing L, Ali R, White JM, Mbewe D. Buprenorphine for managing opioid withdrawal. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD002025.pub5
  3. Tardelli VS, Bisaga A, Arcadepani FB, et al . Prescription psychostimulants for the treatment of stimulant use disorder: a systematic review and meta-analysis. Psychopharmacology 2020 ;237:2233-55. DOI: 10.1007/s00213-020-05563-3
  4. Kampman K. Approach to treatment of stimulant use disorder in adults. UpToDate. Available at: https://www.uptodate.com/contents/approach-to-treatment-of-stimulant-use-disorder-in-adults

 

 

 


Auteurs

Lanssen M.
médecin généraliste
COI :

De Jonghe M.
médecin généraliste, Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain
COI :

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires