Analyse


Les cigarettes à très faible teneur en nicotine ont-elles un effet sur le comportement tabagique des personnes souffrant d’un trouble psychiatrique ou cumulant des désavantages socio-économiques ?


15 03 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue
Analyse de
Higgins ST, Tidey JW, Sigmon SC, et al. Changes in cigarette consumption with reduced nicotine content cigarettes among smokers with psychiatric conditions or socioeconomic disadvantage: 3 randomized clinical trials. JAMA Netw Open 2020;3:e2019311. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.19311


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée menée en double aveugle montre que le passage à des cigarettes à faible taux de nicotine (0,4 mg/g et 2,4 mg/g) chez les personnes atteintes de maladie psychiatrique et chez les femmes issues de classes socio-économiques fragilisées, qui ne sont pas réellement motivées à arrêter de fumer, entraîne une diminution du nombre de cigarettes fumées sans tabagisme compensatoire. Les compensations financières élevées dans cette étude et l’écart entre les teneurs en nicotine affichées et mesurées dans les cigarettes commerciales empêchent l’extrapolation au monde réel. Des recherches supplémentaires sont nécessaires avant que cette stratégie de réduction des méfaits du tabac puisse être recommandée pour les groupes vulnérables de fumeurs qui n’ont pas actuellement l’intention d’arrêter de fumer.



Bien que les résultats de l’étude EAGLES aient indiqué que l’utilisation de la varénicline et du bupropion pouvait être efficace et sûre chez les fumeurs souffrant d’une maladie psychiatrique (1,2), les taux de sevrage tabagique et de réussite restent limités (3), et la prévalence du tabagisme demeure élevée (4) dans ce groupe. On peut dresser le même constat pour les personnes issues de milieux socio-économiques fragilisés (5). Le passage à des cigarettes à très faible taux de nicotine est l’une des options permettant de réduire les risques et de promouvoir la santé publique (6-8). Les résultats préliminaires de la diminution de la nicotine chez les sujets atteints de maladie psychiatrique semblent indiquer des perspectives favorables (9).

 

Trois études randomisées contrôlées similaires (10), menées à l’Université du Vermont entre 2016 et 2019, ont examiné si le fait de fumer des cigarettes à très faible teneur en nicotine réduisait la consommation de tabac chez les fumeurs de moins de 70 ans atteints d’un trouble affectif (n = 258), chez les fumeurs de moins de 70 ans dépendants aux opioïdes (n = 260) et chez les femmes de moins de 44 ans d’une classe socio-économique défavorisée (n = 257). Tous les participants ont été recrutés par le biais d’annonces dans des journaux et en ligne, sur des panneaux d'affichage destinés à la collectivité et par le bouche-à-oreille. Les critères d’inclusion communs étaient les suivants : sujets de plus de 18 ans, ayant fumé ≥ 5 cigarettes par jour au cours de l’année écoulée, avec une concentration de CO expirée ≥ 8 ppm, sans maladie psychiatrique ni physique grave, n’ayant pas fait récemment de tentative de sevrage tabagique et ne souhaitant pas arrêter de fumer au cours des 30 prochains jours. Pendant 12 semaines, les participants ont été invités à recevoir gratuitement au centre d’étude soit des cigarettes à teneur élevée en nicotine (15,8 mg de nicotine par gramme de tabac) soit des cigarettes d’aspect identique à faible teneur en nicotine (2,4 mg ou 0,4 mg par gramme de tabac). Au cours de chaque visite, les participants rendaient les cigarettes qu’ils n’avaient pas fumées, et une discussion portait notamment sur leur tabagisme du moment, sur les effets indésirables et sur les plans de sevrage tabagique. Les participants ont également reçu pour instruction de déclarer quotidiennement par téléphone, à l’aide d’un système de réponse vocale interactive, leur consommation de cigarettes, d’autres produits du tabac et de produits de remplacement de la nicotine.

Au cours de la semaine 12, le nombre moyen de cigarettes fumées quotidiennement était moins élevé dans le groupe « faible teneur en nicotine » que dans le groupe « haute teneur en nicotine » (p <0,001), à savoir -6,01 (IC à 95% de -7,98 à -4,05) cigarettes/jour pour le groupe 0,4 mg/g et -4,30 (IC à 95% de -6,39 à -2,21) cigarettes/jour pour le groupe 2,4 mg/g, sans différence entre les deux groupes recevant des cigarettes à faible teneur en nicotine. Sur l’ensemble des 12 semaines de l’étude, une diminution statistiquement significative du nombre de cigarettes fumées dans le groupe faible teneur en nicotine et une augmentation dans le groupe haute teneur en nicotine ont été observées. Cela a été confirmé par une diminution statistiquement significative des valeurs de CO dans l’air expiré chez les fumeurs du groupe faible teneur en nicotine par rapport à ceux du groupe haute teneur en nicotine. Les participants des groupes faible teneur en nicotine (0,4 mg/g et 2,4 mg/g) étaient en moyenne plus abstinents (respectivement 3,5 jours et 1,3 jour) que ceux du groupe haute teneur en nicotine (0,5 jour), mais il n’y avait pas de différence dans le pourcentage de personnes qui étaient abstinentes pendant au moins 1 jour. Les participants qui avaient essayé d’arrêter de fumer étaient plus nombreux dans les groupes faible teneur en nicotine (respectivement 6,6 et 4,4%) que dans le groupe haute teneur en nicotine (1,2%). Il n’y avait aucune différence entre les groupes quant au tabagisme compensatoire ni quant aux symptômes de sevrage. Le craving était moins fréquent dans les groupes faible teneur en nicotine. Aucune différence n’a été constatée quant au nombre d’effets indésirables (graves).

Ces résultats sont remarquables pour un groupe de personnes vulnérables qui ne souhaitaient pas arrêter de fumer. Les participants ont reçu une importante compensation financière pour leur participation (continue) et l’obtention de résultats (abstinence). Des recherches ont montré l’impact de la compensation financière sur le comportement tabagique et ses déterminants (11). Ce facteur, qui a bien sûr joué un rôle identique pour les trois groupes de l’étude, pourrait expliquer le taux élevé (82,8%) de participants qui ont terminé l’étude. Des études plus poussées devront montrer dans quelle mesure les résultats de ce suivi de courte durée cadrent avec les études de suivi sans incitation financière, lesquelles devraient davantage compter sur la motivation réelle des participants. Outre les compensations financières substantielles, cette étude présente aussi un écart important entre les teneurs en nicotine annoncées et celles qui ont été mesurées par des laboratoires indépendants dans les cigarettes commerciales (12). De plus, les cigarettes à très faible taux de nicotine ne sont pas (encore) disponibles sur le marché. Tout cela rend plus difficile l’extrapolation au contexte de la vie réelle.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet rappelle qu’il est important de vérifier le comportement tabagique de tous les patients et de l’enregistrer dans le dossier médical. Les conseils pour arrêter de fumer doivent être adaptés au patient. La motivation au sevrage tabagique doit être évaluée et éventuellement renforcée par une intervention minimale. Tous les fumeurs qui souhaitent arrêter de fumer doivent bénéficier d’une surveillance et d’une prise en charge médicale (13).

 

Conclusion

Cette étude randomisée contrôlée menée en double aveugle montre que le passage à des cigarettes à faible taux de nicotine (0,4 mg/g et 2,4 mg/g) chez les personnes atteintes de maladie psychiatrique et chez les femmes issues de classes socio-économiques fragilisées, qui ne sont pas réellement motivées à arrêter de fumer, entraîne une diminution du nombre de cigarettes fumées sans tabagisme compensatoire. Les compensations financières élevées dans cette étude et l’écart entre les teneurs en nicotine affichées et mesurées dans les cigarettes commerciales empêchent l’extrapolation au monde réel. Des recherches supplémentaires sont nécessaires avant que cette stratégie de réduction des méfaits du tabac puisse être recommandée pour les groupes vulnérables de fumeurs qui n’ont pas actuellement l’intention d’arrêter de fumer.

 

 

Références 

  1. Boudrez H. La varénicline et le bupropion sont-ils sûrs et efficaces pour les fumeurs atteints d’une affection psychiatrique ? MinervaF 2017;16(2):48-51.
  2. Anthenelli RM, Benowitz NL, West R, et al. Neuropsychiatric safety and efficacy of varenicline, bupropion, and nicotine patch in smokers with and without psychiatric disorders (EAGLES): a double-blind, randomised, placebo-controlled clinical trial. Lancet 2016;387:2507-20. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)30272-0
  3. Annamalai A, Singh N, O’Malley St. Smoking use and cessation among people with serious mental illness. Yale J Biol Med 2015;88:271-7.
  4. Prochaska JJ, Das S, Young-Wolff KC. Smoking, mental illness, and public health. Annu Rev Public Health 2017;38:165-85. DOI: 10.1146/annurev-publhealth-031816-044618
  5. Hiscock R, Bauld L, Amos A, et al. Socioeconomic status and smoking: a review. Ann N Y Acad Sci 2012;1248:107-23. DOI: 10.1111/j.1749-6632.2011.06202.x
  6. Lindson-Hawley N, Hartmann-Boyce J, Fanshawe TR, et al. Interventions to reduce harm from continued tobacco use. Cochrane Database Syst Rev 2016, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD005231.pub3
  7. Versella MV, Leyro TM. Electronic cigarettes and nicotine harm-reduction. Curr Opin Psychol 2019;30:29-34. DOI: 10.1016/j.copsyc.2019.01.010
  8. Smith TT, Hatsukami DK, Benowitz NL, et al. Whether to push or pull? Nicotine reduction and non-combusted alternatives – two strategies for reduction smoking and improving public health. Prev Med 2018;117: 8-14. DOI: 10.1016/j.ypmed.2018.03.021
  9. Tidey JW, Muscat JE, Foulds J, et al. Reducing the nicotine content of cigarettes: effects in smokers with mental health conditions and socioeconomic disadvantages. Nicotine Tob Res 2019;21(Suppl 1):S26-S28. DOI: 10.1093/ntr/ntz118
  10. Higgins ST, Tidey JW, Sigmon SC, et al. Changes in cigarette consumption with reduced nicotine content cigarettes among smokers with psychiatric conditions or socioeconomic disadvantage: 3 randomized clinical trials. JAMA Netw Open 2020;3:e2019311. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.19311
  11. Van den Brand FA, Nagelhout GE, Reda AA, et al. Healtcare financing systems for increasing the use of tobacco dependence treatment. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD004305.pub5
  12. Rijksinstituut voor Volksgezondheid en Milieu. Meetresultaten van TNCO. URL: https://zoek.officielebekendmakingen.nl/blg-845203.pdf
  13. Gailly J. Arrêter de fumer. Ebpracticenet. Domus Medica 1/01/2005. Dernière mise à jour 1/03.2005.

 

 

 

 


Auteurs

Boudrez H.
psycholoog-tabacoloog, Universiteit Gent
COI :

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