Analyse


L’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche ne serait peut-être pas si inoffensive


01 05 2021

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Cohen JB, Lotito MJ, Trivedi UK, et al. Cardiovascular events and mortality in white coat hypertension: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2019;170:853-62. DOI: 10.7326/M19-0223


Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse d’études observationnelles hétérogènes dont la plus vaste a été retirée en raison d'une analyse imprécise des données, suggère une corrélation entre l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche non traitée et des événements cardiovasculaires mortels et non mortels et la mortalité globale. Avec cette étude nous ne pouvons donc pas ignorer un risque cardiovasculaire potentiel de l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche. Des groupes à risque plus spécifiques devront être suivis sur une plus longue période avant de pouvoir tirer des conclusions définitives à ce sujet. Cependant, cette étude ne dit absolument rien sur l’utilité d’un traitement antihypertenseur médicamenteux chez les patients présentant une hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche. Des études randomisées contrôlées disposant d’un bon plan expérimental devront être menées pour cela.



L’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche est définie comme une augmentation temporaire de la pression artérielle en présence d’un médecin (1). Selon les recommandations, le diagnostic d’hypertension artérielle posé à partir d’une mesure conventionnelle de la pression artérielle est à confirmer par une mesure de la pression artérielle à domicile, et vice versa (1). Il est en effet utile de combiner les deux méthodes pour détecter une hypertension liée à l’effet blouse blanche ou une hypertension masquée. Ces recommandations ont déjà été confirmées à plusieurs reprises dans Minerva (2-13). Certaines études ayant fait l’objet d’une discussion ont également pu montrer que la mesure de la pression artérielle à domicile améliorait l’utilisation des antihypertenseurs, notamment en permettant d’éviter un traitement « inutile » de l’hypertension liée à l’effet blouse blanche (4-7,12-13). Cependant, depuis notre dernière discussion sur ce thème, nous avons été confrontés à des synthèses méthodiques et méta-analyses qui, sur la base de données d’études incohérentes, suggèrent que l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche non traitée peut être associée à un risque cardiovasculaire plus élevé (14-16).

 

Une récente synthèse méthodique et méta-analyse (17) a été conçue pour comparer la corrélation entre, d’une part, l’hypertension liée à l’effet blouse blanche traitée et non traitée et, d’autre part, les critères de jugement cardiovasculaires fatals ou non et la mortalité, avec la corrélation entre, d’une part, la tension normale et l’hypertension contrôlée et, d’autre part, les critères de jugement cardiovasculaires fatals et non fatals et la mortalité. Une recherche a été effectuée entre autres dans PubMed et Embase jusqu’en 2018 pour trouver toutes les études observationnelles qui comparaient ces corrélations chez des adultes pendant un suivi d’une durée d’au moins trois ans. Deux chercheurs indépendants ont finalement sélectionné 27 articles avec 29 cohortes totalisant 25786 patients présentant une hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche traitée ou non traitée et 38487 patients présentant une tension normale ou ayant une hypertension contrôlée. 6 études étaient des études de population, 11 études impliquaient le recrutement des patients dans des polycliniques, et 10 études incluaient des patients adressés en deuxième ligne pour une mesure ambulatoire de la pression artérielle. Pour l’évaluation de la pression artérielle à domicile, 18 études ont utilisé une mesure ambulatoire de la pression artérielle, 7 études ont utilisé la mesure de la pression artérielle à domicile effectuée par le patient, et 2 études combinaient les deux méthodes. Le seuil pour l’hypertension selon les mesures effectuées à domicile était de 135/85 mmHg dans 15 études et de 130/80 mmHg dans 7 études, tandis que les 5 autres études utilisaient encore d’autres valeurs seuil (par exemple 125/80 mmHg). L’âge médian des participants était de 56 ans (interquartile 43 à 72), la durée médiane du suivi était de 8 ans (interquartile 3 à 19). Trois études ont été exclues car les données de cohorte provenaient de la même base de données. Deux chercheurs ont évalué la qualité méthodologique des études avec un instrument QUADAS-2 modifié. Toutes les études présentaient un faible risque de biais pour au moins 5 des 7 domaines examinés. Toutefois, dans la moitié des études (13/27), le risque de biais de sélection était élevé, et dans environ la moitié des études (12/27), les facteurs de confusion pertinents n’étaient pas suffisamment pris en compte dans l’analyse des événements cardiovasculaires et de la mortalité. En revanche, toutes les études ont appliqué une correction pour tenir compte de l’âge, du sexe et des antécédents cardiovasculaires, et 25 des 27 études ont également appliqué une correction pour tenir compte du traitement de l’hypertension. Afin de prendre en compte l’importante hétérogénéité clinique entre les études en termes de caractéristiques des patients et de conception de l’étude, toutes les analyses ont été réalisées avec un modèle à effets aléatoires.

Par comparaison avec une tension normale, l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche non traitée était corrélée à une augmentation du risque cardiovasculaire mortel et non mortel, et ce de manière statistiquement significative (HR de 1,36 avec IC à 95% de 1,03 à 2,00 ; N = 8 études ; I² = 0,0%). Chez les patients dont l’hypertension liée à l’effet blouse blanche était traitée, la corrélation n’était plus statistiquement significative (HR de 1,12 avec IC à 95% de 0,91 à 1,39 ; N = 6 études ; I² = 0,0%). Des résultats comparables ont été trouvés pour la mortalité toutes causes confondues : la mortalité était plus élevée, et ce de manière statistiquement significative, si l’hypertension liée à l’effet blouse blanche n’était pas traitée (HR de 1,33 avec IC à 95% de 1,07 à 1,67 ; N = 5 études ; I² = 41,1%), mais ne l’était pas si celle-ci était traitée (HR de 1,11 avec IC à 95% de 0,89 à 1,46 ; N = 3 études ; I² = 0,0%). À noter que le résultat de cette méta-analyse est dû principalement à une très vaste étude espagnole (n = 63910) (18) dans laquelle les patients étaient adressés en deuxième ligne pour une mesure ambulatoire de la pression artérielle et qui incluait un grand nombre de diabétiques (20% alors que la médiane est de 11% pour l’ensemble de la population étudiée dans la synthèse méthodique). Cette étude a été retirée par la suite en raison d'inexactitudes dans l'analyse des données. La façon dont cela affecte le résultat de la présente méta-analyse n'est pas claire.

Une analyse de sensibilité, qui n’était cependant pas décrite dans le protocole d’origine, a montré une mortalité cardiovasculaire plus élevée si l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche n’était pas traitée (HR de 2,09 avec IC à 95% de 1,23 à 4,48 ; N = 3 études ; I² = 0) que si elle l’était (HR de 1,04 avec IC à 95% de 0,65 à 1,66 ; N = 1 étude), confirmant les résultats de l’analyse primaire. Il convient de remarquer qu’une autre analyse de sensibilité post hoc a montré que la corrélation entre l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche non traitée et les événements cardiovasculaires était moins forte lorsque les AVC étaient inclus que lorsqu’ils ne l’étaient pas (respectivement N = 5 études et N = 3 études). La même observation vaut pour l’insuffisance cardiaque. Encore une autre analyse de sensibilité post hoc a montré que l’association statistiquement significative entre l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche non traitée et les événements cardiovasculaires était absente dans l’étude qui n’utilisait pas de tensiomètre ambulatoire validé ainsi que dans les études ayant inclus des patients adressés en deuxième ligne, dans les études plus petites avec moins de 2000 participants, si la durée du suivi était inférieure à 5 ans, dans les études publiées au plus tard en 2012, lors de l’utilisation de la mesure de la tension artérielle à domicile, avec un seuil de pression artérielle sur 24 heures < 130/80 mmHg, si l’âge moyen des sujets de l’étude était inférieur à 55 ans et si les personnes ayant des antécédents cardiovasculaires étaient exclues. Ces résultats de petits sous-groupes sont intéressants, mais à confirmer ou infirmer dans des études ultérieures.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La directive de Domus Medica (1), confirmée dans le rapport de suivi de 2013, recommande qu’avant l’instauration d’un traitement antihypertenseur, les mesures conventionnelles de tension artérielle réalisées par le médecin soient complétées par des mesures effectuées à domicile par le patient. Chez les patients présentant une hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche, le profil de risque cardiovasculaire global doit être soigneusement déterminé et surveillé (19). On ignore encore quelle est l’utilité des antihypertenseurs dans l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche (19).

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique et méta-analyse d’études observationnelles hétérogènes dont la plus vaste a été retirée en raison d'une analyse imprécise des données, suggère une corrélation entre l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche non traitée et des événements cardiovasculaires mortels et non mortels et la mortalité globale. Avec cette étude nous ne pouvons donc pas ignorer un risque cardiovasculaire potentiel de l’hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche. Des groupes à risque plus spécifiques devront être suivis sur une plus longue période avant de pouvoir tirer des conclusions définitives à ce sujet. Cependant, cette étude ne dit absolument rien sur l’utilité d’un traitement antihypertenseur médicamenteux chez les patients présentant une hypertension artérielle liée à l’effet blouse blanche. Des études randomisées contrôlées disposant d’un bon plan expérimental devront être menées pour cela.

 

 

Références 

  1. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertension (Révision). SSMG 2009. Ou : Hypertension. Ebpracticenet 1/11/2009.
  2. De Cort P. Quelle est la meilleure façon de mesurer la pression artérielle? MinervaF 2004;3(7):105-7.
  3. Little P, Barnett J, Barnsley L, et al. Comparison of agreement between different measures of blood pressure in primary care and daytime ambulatory blood pressure. BMJ 2002;325:254-9. DOI: 10.1136/bmj.325.7358.254
  4. De Cort P. Peut-on baser le traitement de l'hypertension sur des mesures a domicile? MinervaF 2005;4(6):94-6.
  5. Staessen JA, Den Hond E, Celis H, et al. Antihypertensive treatment based on blood pressure measurement at home or in the physician’s office. JAMA 2004;291:955-64. DOI:  10.1001/jama.291.8.955
  6. De Cort P. Valeur pronostique de la pression artérielle mesurée à domicile. MinervaF 2005;4(6):97-8.
  7. Bobrie G, Chatellier G, Genes N, et al. Cardiovascular prognosis of ‘masked hypertension’detected by blood pressure self-measurement in elderly treated hypertensive patients. JAMA 2004;291:1342-9. DOI: 10.1001/jama.291.11.1342
  8. De Cort P. Diagnostic de l’HTA : mesures conventionnelles, au domicile ou monitoring de 24 heures ? MinervaF 2012;11(2):17-8.
  9. Hodgkinson J, Mant J, Martin U, et al. Relative effectiveness of clinic and home blood pressure monitoring compared with ambulatory blood pressure monitoring in diagnosis of hypertension: systematic review. BMJ 2011;342:d3621. DOI: 10.1136/bmj.d3621
  10. De Cort P. Effet de la mesure à domicile de la pression. MinervaF 2006;5(4):62-4.
  11. Cappuccio FP, Kerry SM, Forbes L, Donald A. Blood pressure control by home monitoring: meta-analysis of randomised trials. BMJ 2004;329:145-51. DOI: 10.1136/bmj.38121.684410.AE
  12. De Cort P. Moet wittejashypertensie bij ouderen worden behandeld? Minerva 2001;30(7):331-2.
  13. Fagard RH, Staessen JA, Thijs L, et al. Response to antihypertensive therapy in older patients with sustained and nonsustained systolic hypertension. Systolic Hypertension in Europe (Syst-Eur) Trial Investigators. Circulation 2000;102:1139-44. DOI: 10.1161/01.cir.102.10.1139
  14. Piper MA, Evans CV, Burda BU, et all. Diagnostic and predictive accuracy of blood pressure screening methods with consideration of rescreening intervals: a systematic review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2015;162:192-204. DOI: 10.7326/M14-1539
  15. Briasoulis A, Androulakis E, Palla M et al. White-coat hypertension and cardiovascular events: a meta-analysis. J Hypertens 2016;34:593-9. DOI: 10.1097/HJH.0000000000000832
  16. Huang Y, Huang W, Mai W, et al. White-coat hypertension is a risk factor for cardiovascular diseases and total mortality. J Hypertens 2017;35:677-88. DOI: 10.1097/HJH.0000000000001226
  17. Cohen JB, Lotito MJ, Trivedi UK, et al. Cardiovascular events and mortality in white coat hypertension: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med 2019;170:853-62. DOI: 10.7326/M19-0223
  18. Banegas JR, Ruilope LM, de la Sierra A, et al. Relationship between clinic and ambulatory blood-pressure measurements and mortality. N Engl J Med. 2018;378:1509-20. DOI: 10.1056/NEJMoa1712231 (retracted)
  19. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension: The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Society of Hypertension (ESH). Eur Heart J 2018;39:3021-104. DOI: 10.1093/eurheartj/ehy339

 

 

 




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