Revue d'Evidence-Based Medicine



Des plantes sous forme de médicaments et de compléments alimentaires



Minerva 2021 Volume 20 Numéro 6 Page 66 - 68

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien

 

Des plantes médicinales ou des préparations à base de plantes médicinales peuvent se présenter sous forme de médicaments ou de compléments alimentaires. Il est souvent difficile de faire la différence entre les boîtes, alors que ces beaux emballages dissimulent des réalités bien distinctes.

Si le nom d’une préparation n’apparaît pas au Répertoire Commenté des Médicaments, il ne s’agit pas d’un médicament, mais peut-être d’un complément alimentaire. Les compléments alimentaires ont certes le droit d’exister tout comme les médicaments. Nous souhaitons donner ici quelques conseils pratiques, basés sur la qualité, la sécurité et l’efficacité, des conseils destinés à la pratique.

Les compléments alimentaires font partie de l’alimentation. L’acheminement depuis le producteur jusqu’au consommateur s’effectue de manière fluide. On ne peut imaginer la mise en quarantaine de chaque conteneur de pommes de terre dans l’attente de contrôles approfondis prouvant qu’il s’agit bien de pommes de terre (Solanum tuberosum) et qu’elles sont propres à la consommation humaine. Cela entraînerait rapidement des pénuries alimentaires. Un flux fluide repose sur la confiance, que des contrôles ponctuels viennent régulièrement confirmer. Les compléments alimentaires bénéficient en partie de cette continuité. Nous partons du principe que les ingrédients des compléments alimentaires ont prouvé leur innocuité et éventuellement leur utilité. Avant de proposer une préparation à la vente, le producteur de compléments alimentaires doit passer par l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA). C’est la notification. L’AFSCA est ainsi au courant des produits en circulation en Belgique. Au sein de l’AFSCA, la commission d’avis des préparations de plantes enquête sur la qualité de certains compléments alimentaires. Le producteur reste responsable de son produit, mais peut être mis en demeure en cas de manquement.

Ce sont là quelques éléments du volet qualité des compléments alimentaires. Contrairement aux compléments alimentaires, qui font l’objet d’une notification, les médicaments sont enregistrés auprès de la commission pour les médicaments à base de plantes (CMP) de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Le dossier qualité d’un médicament à base de plantes est plus vaste que celui d’un médicament classique. Il débute avec la culture et la récolte du matériel végétal. Les préparations ne doivent contenir ni herbicides, ni pesticides ni métaux lourds (mercure (Hg), plomb (Pb), cadmium (Cd), arsenic (As)). Une contamination microbiologique doit être exclue. L’entreprise doit prouver au moyen d’un diagramme de flux que rien n’a été laissé au hasard, depuis l’identification de la plante et son retrait du sol ou sa cueillette, jusqu’à sa transformation (extraction par exemple) et son conditionnement en médicament soigneusement emballé. Les exigences sont de plus en plus strictes, en partie par le biais de directives européennes. L’enregistrement d’un médicament peut facilement prendre deux ans, alors que la notification d’un complément alimentaire nécessite seulement quelques semaines. Ainsi s’explique pourquoi les fabricants optent massivement pour la notification au lieu de l’enregistrement.

La coexistence de compléments alimentaires et de médicaments donne parfois lieu à des situations curieuses. Un même extrait de millepertuis peut prendre trois formes : 1) un complément alimentaire pour un esprit sain, 2) un médicament en vente libre utilisé contre la dépression et 3) un médicament soumis à prescription pour le traitement des épisodes dépressifs majeurs. Le choix de la forme a des conséquences importantes. Les médicaments, qu’ils soient soumis à prescription ou en vente libre, ne peuvent être délivrés qu’en pharmacie. Par ailleurs, il existe une pharmacovigilance continue pour les médicaments. Si le patient développe des effets indésirables, il peut donc compter à tout moment sur l’aide des médecins et des pharmaciens, qui savent aussi comment effectuer la déclaration à l’AFMPS. Tous les rapports sont examinés et compilés au niveau européen par l’Agence européenne des médicaments (EMA). Lorsqu’il s’agit de médicaments à base de plantes, il est important de décrire avec précision la composition. Il ne s’agit pas de se contenter de dire qu’il s’agit de curcuma, par exemple. À tout le moins, l’espèce doit être indiquée, de préférence sous son nom latin (ex. Curcuma longa), ainsi que la partie végétale (ex. rhizome), les caractéristiques de l’extrait (ex. extrait sec, concentré 25 x, solvant d’extraction éthanol 96%), la dose utilisée et la durée du traitement. Les interactions entre les médicaments à base de plantes et les autres médicaments sont prises en compte. La survenue d’interactions est tellement fréquente que l’on pourrait y consacrer un livre (1). Il est impossible d’organiser le même suivi pour les compléments alimentaires car le circuit de distribution n’est pas circonscrit, et l’assistance des professionnels de santé n’a rien d’évident. En conséquence, trop de problèmes restent ignorés, et les éventuels rapports sont de qualité douteuse. Lorsqu’une plante est mise sur le marché en tant que complément alimentaire dans un pays de l’Union européenne, la Belgique doit en autoriser la commercialisation durant six mois. Si la Belgique ne soulève pas d’objection sérieuse pendant cette période, l’approbation devient définitive. Certaines entreprises préfèrent les pharmacies comme canal de distribution unique pour leurs compléments alimentaires. Cela permet d’inclure les compléments alimentaires dans les antécédents médicamenteux et de surveiller les interactions possibles avec, par exemple, la chimiothérapie, à la fois à l’hôpital et en première ligne.

Mais toutes ces plantes sont-elles efficaces ? L’indication thérapeutique des médicaments à base de plantes n’est pas toujours étayée par des données probantes. Le comité des médicaments à base de plantes (Herbal Medicinal Product Committee, HMPC) de l’Agence européenne des médicaments, institué en 2004, étudie l’utilisation des plantes dans un contexte thérapeutique. Selon une directive européenne, une préparation à base de plantes peut être autorisée pour une indication thérapeutique si elle est d’un usage médical au moins trentenaire dans un contexte occidental (pas en Chine, en Inde, en Amérique du Sud ou en Afrique, par exemple) (2). Il est alors question de « l’usage traditionnel ». Si une préparation à base de plantes a une efficacité thérapeutique étayée par des données probantes, son usage médical pendant dix ans en Europe est suffisant, et le statut « usage bien établi » peut être attribué pour une indication déterminée. La même terminologie est utilisée pour les combinaisons de plantes. Les compléments alimentaires sont généralement constitués de toutes sortes de combinaisons (plantes, vitamines, substances chimiques) qui ne sont pas basées sur un usage traditionnel, mais sont conçues par le fabricant de manière à se démarquer de la concurrence. De telles associations ne sont pas autorisées pour les médicaments. Le HMPC regroupe toutes les informations sur l’usage traditionnel et sur l’usage bien établi sous la forme de monographies (similaires aux notices) et de rapports d’évaluation (similaires aux articles de synthèse). Les entreprises peuvent utiliser ces documents pour l’enregistrement de leurs médicaments à base de plantes. De cette manière, le HMPC peut faciliter l’enregistrement des médicaments à base de plantes dans l’Union européenne. Les entreprises doivent encore démontrer elles-mêmes la qualité de leurs préparations. Elles sont également liées par la législation nationale sur la publicité des médicaments en vente libre (3). Les publicités pour les compléments alimentaires ne peuvent faire état que d’allégations relatives à la santé, et non d’indications thérapeutiques. Cette limitation est toutefois souvent commodément contournée. Par exemple, il est noté que le safran est efficace dans le traitement des troubles dépressifs majeurs, par comparaison avec un placebo. Un tel message donne l’impression que le safran sous toutes ses formes thérapeutiques aide au traitement de la dépression, ce qui n’est pas vrai. En revanche, la notice patient d’un médicament et le résumé des caractéristiques du produit (RCP) fournissent des informations fiables et vérifiées.

Pour conclure, nous nous appuyons sur un examen par les pairs au sein de l’équipe éditoriale pour formuler quelques recommandations concernant la stratégie :

  • Les compléments alimentaires et les médicaments à base de plantes devraient être différenciés encore plus clairement, à la fois pour les consommateurs/patients (par exemple par une étiquette claire sur l’emballage) et pour les professionnels de santé (comme une distinction claire entre les allégations de santé et les indications thérapeutiques dans les informations sur le produit).
  • Tant les médicaments à base de plantes que les compléments alimentaires doivent faire partie du dossier médico-pharmaceutique, en vue de détecter les effets indésirables, les interactions possibles et les interférences avec le diagnostic.
  • En outre, la rédaction s’inquiète de la circulation quasi illimitée des compléments alimentaires au niveau européen. Cette situation rend difficile l’accompagnement par les professionnels de santé et l’application des réglementations nationales.

 

 

Références 

  1. Williamson E, Driver S, Baxter K, Preston CL. Stockley’s herbal medicines interactions. Online. URL: https://about.medicinescomplete.com/publication/stockleys-herbal-medicines-interactions-2/ , site consulté le 17 avril 2021.
  2. European Medicines Agency. URL: https://ec.europa.eu/health//sites/health/files/files/eudralex/vol-1/dir_2001_83_consol_2012/dir_2001_83_cons_2012_en.pdf site consulté le 17 avril 2021.
  3. Arrêté royal de 7 avril 1995 relatif à l'information et à la publicité concernant les médicaments à usage humain. Moniteur Belge du 12 mei 1995. URL: http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=1995040761&table_name=loi et http://www.ejustice.just.fgov.be/doc/rech_n.html



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