Revue d'Evidence-Based Medicine



Approche pharmacologique et non pharmacologique du comportement désinhibé dans la démence



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 8 Page 186 - 189

Professions de santé

Ergothérapeute, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien, Psychologue

Analyse de
Burley C, Burns K, Brodaty H. Pharmacological and nonpharmacological approaches to reduce disinhibited behaviors in dementia: a systematic review. Int Psychogeriatr 2022;1-17. DOI: 10.1017/S1041610222000151


Question clinique
Quel effet les traitements pharmacologiques et non pharmacologiques ont-ils sur les comportements désinhibés chez les personnes atteintes de démence ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, qui a inclus des études originales de qualité méthodologique indéterminée, suggère que le comportement désinhibé chez les personnes atteintes de démence est amélioré avec certaines approches pharmacologiques et qu’il l’est encore plus avec certaines approches non pharmacologiques. Ces résultats doivent être interprétés avec une grande prudence étant donné l’importante hétérogénéité entre les différentes études s’expliquant pas des différences cliniques, le manque d’études contrôlées contre placebo, le fait que la désinhibition n’a pas été examinée en tant que principal critère de jugement ou que des instruments moins adaptés ont été utilisés pour évaluer la désinhibition.


Contexte

Par « comportement désinhibé », on entend l’incapacité d’une personne à contrôler son comportement. Le comportement désinhibé est l’un des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, avec l’agitation, l’agressivité, l’apathie, la dépression, les délires, les hallucinations et les troubles du sommeil. Outre l’agitation et l’agressivité, les comportements désinhibés incluent également les comportements impulsifs (tels que jeu pathologique, achats compulsifs en ligne, prise de risques) et les comportements sexuellement désinhibés (comportements sexuels verbaux et/ou physiques inappropriés, hypersexualité). La cause du comportement désinhibé dans la démence est multifactorielle. Outre la nature et la gravité de la démence, il y a aussi un lien possible avec des troubles psychiatriques ou des facteurs physiques tels que douleur, infection ou constipation. Un comportement désinhibé peut aussi être une réaction au comportement d’une autre personne, ou il peut être lié à la façon dont l’environnement traite le patient. Vu la complexité du concept, les taux de prévalence des comportements désinhibés dans la démence varient. Des interventions pharmacologiques et non pharmacologiques sont envisagées pour réduire le comportement désinhibé (1).

 

Résumé

 

Méthodologie

Sources consultées

  • MEDLINE, EMBASE et PsychINFO, Social Work Abstracts, le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials) ; entre 2002 et mars 2020
  • uniquement les publications en anglais.

 

Études sélectionnées

  • revues, articles originaux, rapports de cas, études de cohorte et études contrôlées randomisées (RCT) portant sur des interventions pharmacologiques et non pharmacologiques avec des critères de jugement pertinents pour la désinhibition sociale et/ou sexuelle dans la démence
  • exclusion des études chez des personnes atteintes de troubles cérébraux autres que la démence et des études sur les animaux
  • finalement, inclusion de 9 études interventionnelles pharmacologiques et de 21 études interventionnelles non pharmacologiques (22).

Population étudiée

  • personnes atteintes de démence présentant un comportement désinhibé.

Mesure des résultats

  • degré de comportement désinhibé ; dans la plupart des études, mesuré au moyen de l’inventaire neuropsychiatrique (Neuropsychiatric Inventory, NPI) 
  • ampleur de l’effet pour différentes études, et moyenne de l’ampleur de l’effet pour les RCTs.

 

Résultats

  • Interventions pharmacologiques
    • parmi les 9 études incluses, 7 études (n = 2825) ont montré une diminution statistiquement significative du comportement désinhibé avec la rivastigmine (N = 1), la galantamine (N = 1), le citalopram (N = 1), la rispéridone (N = 1), des analgésiques (N = 1), autres produits (N = 2) ; dans aucune étude, le comportement désinhibé n’était pas le critère de jugement principal
    • la moyenne de l’ampleur de l’effet pour les 3 RCTs était faible à modérée (d de Cohen = 0,27).
  • Interventions non pharmacologiques
    • parmi les 21 études incluses, 7 études (n = 1563) ont montré une diminution statistiquement significative du comportement désinhibé avec des modèles de prise en charge spécifiques (comme l’orientation vers un centre de soins psychiatriques spécialisés, une unité cognitive et comportementale, un foyer pour personnes âgées atteintes de démence) (N = 3), une formation du personnel soignant (N = 2), une intervention musicale en groupe (N = 1) et de l’activité physique (N = 1) ; dans aucune étude, le comportement désinhibé n’était le critère de jugement principal
    • la moyenne de l’ampleur de l’effet pour les 7 RCTs était modérée (d de Cohen = 0,49).

 

Conclusion des auteurs

Les approches pharmacologiques (y compris la prise en charge de la douleur et les antidépresseurs) et, dans une plus large mesure, les approches non pharmacologiques (modèles de soins, éducation/formation, exercice et musique) sont efficaces pour réduire les comportements désinhibés.

 

Financement de l’étude

Cette étude a été financée par le Dementia Centre for Research Collaboration et soutenue par le gouvernement australien, le National Health et le Medical Research Council.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

Deux auteurs n’en ont déclaré aucun ; un auteur a été consultant pour Biogen, Nutricia Australia, Roche et Skin2Neuron.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La recherche dans la littérature et la sélection des articles sont correctement décrites. Malgré une longue liste de mots-clés, il est possible que les auteurs soient passés à côté d’études pertinentes en raison de l’utilisation d’autres termes à la place de « comportement désinhibé » (tels que « comportement compulsif » ou « comportement impulsif »). Les auteurs n’ont pas été en mesure d’effectuer une méta-analyse exhaustive en raison d’une importante hétérogénéité entre les études à cause de différences cliniques. Il manque un cadre conceptuel décrivant les mécanismes sous-jacents de la désinhibition. Il est donc difficile de déterminer à l’avance quelles approches pourraient être les plus efficaces, chez quels patients et pour quels sous-types de comportement désinhibé. Le critère de jugement « comportement désinhibé » de la synthèse méthodique n’était pas le principal critère de jugement dans les études originales. Les auteurs ont utilisé un instrument composite ad hoc pour déterminer la qualité méthodologique des différentes études. La méthodologie de l’étude, la sélection des patients, la mesure des résultats et l’analyse statistique ont été prises en compte. Les auteurs affirment que la qualité méthodologique de toutes les études interventionnelles était élevée (score ≥ 11 sur 16). Cependant, les résultats détaillés de cette analyse ne se trouvent ni dans l’article lui-même, ni dans les suppléments à l’article. Par exemple, nous ne savons pas combien de RCTs sur les interventions pharmacologiques ont été réalisées en aveugle, ou quelles études sur les interventions non pharmacologiques avaient un critère de jugement en aveugle.

 

Interprétation des résultats

Les auteurs indiquent l’ampleur de l’effet que les différentes études rapportent ainsi qu’une ampleur d’effet moyenne pour l’ensemble des RCTs incluses. Les approches non pharmacologiques se sont ainsi révélées plus efficaces qu’une approche pharmacologique. Cependant, la plupart des études n’avaient pas de groupe placebo. Vu que la réponse placebo à laquelle on peut s’attendre avec certaines approches non pharmacologiques est élevée et qu’une amélioration naturelle est très possible, les résultats peuvent avoir été surestimés.

Dans la plupart des études, le comportement désinhibé a été mesuré à l’aide de l’échelle NPI. L’échelle NPI mesure également les comportements impulsifs, les comportements inappropriés, les discours inadaptés, les comportements sexuellement inadaptés et les troubles du contrôle des impulsions ; cet instrument semble donc tout à fait adapté pour l’évaluation des comportements désinhibés chez les personnes atteintes de démence. Malgré la fiabilité inter-évaluateur et intra-évaluateur élevée de cette échelle, des doutes subsistent quant au pouvoir discriminant du test (3). En outre, les facteurs personnels et socioculturels ne sont pas suffisamment pris en compte.

Les modèles de soins et d’éducation comprennent souvent des approches à composantes multiples (par exemple soins centrés sur la personne), parfois combinées à des approches concernant les médicaments (par exemple bilan et gestion des médicaments) (4). Il est donc difficile de distinguer entre approches pharmacologiques et non pharmacologiques, mais les approches pharmacologiques ne sont généralement mises en avant qu’en cas d’échec d’une approche non pharmacologique. La synthèse méthodique ne signale rien concernant les sous-domaines du comportement désinhibé (vocal, verbal, physique, sexuel). On ignore si ces sous-domaines n’ont pas été analysés ou si rien n’a été signalé en raison de l’absence d’effet.

 

Que disent les guides de pratique clinique

Le guide de pratique clinique de la Société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) (1) recommande une approche méthodique pour aborder les problèmes comportementaux dans la démence. Pour une approche optimale du comportement problématique, il est, avant tout, important de mieux comprendre sa cause. Une analyse approfondie du comportement est donc essentielle. De plus, un examen approfondi, avec anamnèse (ou hétéro-anamnèse), examen clinique et examen psychiatrique, est nécessaire pour pouvoir définir clairement le problème. Les interventions non pharmacologiques sont suggérées comme traitement de première intention, sans préciser celles qui sont privilégiées. Une intervention pharmacologique peut être envisagée, de préférence en concertation avec un gériatre ou un gérontopsychiatre, lorsqu’une approche non pharmacologique a un effet insuffisant et que les troubles du comportement représentent un danger pour le patient, pour son entourage ou pour les soignants. La prescription de neuroleptiques doit être mise en balance avec d’éventuels effets indésirables graves. On tentera régulièrement de réduire ou arrêter les neuroleptiques (5-10).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique, qui a inclus des études originales de qualité méthodologique indéterminée, suggère que le comportement désinhibé chez les personnes atteintes de démence est amélioré avec certaines approches pharmacologiques et qu’il l’est encore plus avec certaines approches non pharmacologiques. Ces résultats doivent être interprétés avec une grande prudence étant donné l’importante hétérogénéité entre les différentes études s’expliquant pas des différences cliniques, le manque d’études contrôlées contre placebo, le fait que la désinhibition n’a pas été examinée en tant que principal critère de jugement ou que des instruments moins adaptés ont été utilisés pour évaluer la désinhibition.

 

 

Références 

  1. Dieleman-Bij de Vaate AJ, Eizenga WH, Lunter-Driever PG, et al. Dementie. NHG-Standaard 2020.
  2. Burley C, Burns K, Brodaty H. Pharmacological and nonpharmacological approaches to reduce disinhibited behaviors in dementia: a systematic review. Int Psychogeriatr 2022;1-17. DOI: 10.1017/S1041610222000151
  3. Lai CK. The merits and problems of Neuropsychiatric Inventory as an assessment tool in people with dementia and other neurological disorders. Clin Interv Aging 2014;9:1051-61. DOI: 10.2147/CIA.S63504
  4. Zwijsen S, Smalbrugge M, Eefsting J, et al. Coming to grips with challenging behavior: a cluster randomized controlled trial on the effects of a multidisciplinary care program for challenging behavior in dementia. J Am Med Dir Assoc 2014;15:531.e1–531.e10. DOI: 10.1016/j.jamda.2014.04.007
  5. De Paepe P, Petrovic M. Traitement médicamenteux des symptômes neuropsychiatriques de la démence. MinervaF 2006;5(2):23-6.
  6. Sink KM, Holden KF, Yaffe K. Pharmacologic treatment of neuropsychiatric symptoms of dementia. A review of the evidence. JAMA 2005;293:596-608. DOI: 10.1001/jama.293.5.596
  7. Petrovic M, De Meyere M. Sevrage de neuroleptiques chez des résidents de home déments. MinervaF 2007;6(7):110-11.
  8. Fossey J, Ballard C, Juszczak E, et al. Effect of enhanced psychosocial care on antipsychotic use in nursing home residents with severe dementia: cluster randomised trial. BMJ 2006;332:756-61. DOI: 10.1136/bmj.38782.575868.7C
  9. Azermai M, Bourgeois J, Petrovic M. Efficacité et utilité comparées des antipsychotiques utilisés off label chez des adultes. MinervaF 2012;11(6):75-6
  10. Maher AR, Maglione M, Bagley S, et al. Efficacy and comparative effectiveness of atypical antipsychotic medications for off-label uses in adults: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2011;306:1359-69. DOI: 10.1001/jama.2011.1360



Ajoutez un commentaire

Commentaires