Revue d'Evidence-Based Medicine



Le traitement hormonal de substitution chez la femme ménopausée ne reste pas recommandé même s’il est associé à une diminution de l’incidence du cancer du sein en cas d’hystérectomie



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 1 Page 2 - 5

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Chlebowski RT, Anderson GL, Aragaki AK, et al. Association of menopausal hormone therapy with breast cancer incidence and mortality during long-term follow-up of the women’s health initiative randomized clinical trials. JAMA 2020;324:369-80. DOI: 10.1001/jama.2020.9482


Question clinique
Quelle est l'efficacité de l'association d'œstrogène plus progestatif (en cas de présence de l’utérus) ou d'œstrogène seul (en cas d’hystérectomie) pour les femmes ménopausées en bonne santé âgées de 50 à 79 ans incluses dans les essais de la WHI, versus placebo, en termes d'incidence du cancer du sein et de mortalité par cancer du sein ?


Conclusion
Pour les auteurs de cette étude de suivi à long terme de 2 essais randomisés, l'utilisation de CEE, par rapport à un placebo, chez les femmes ayant déjà subi une hystérectomie, est significativement associée à une incidence et une mortalité par cancer du sein plus faibles, alors que la prescription de CEE plus MPA, par rapport à un placebo, chez les femmes qui avaient un utérus intact, est significativement associée à une incidence plus élevée du cancer du sein, mais à aucune différence significative dans la mortalité par cancer du sein. Pour Minerva, ces traitements hormonaux doivent être évités en raison d’une balance bénéfice/risque défavorable et la recommandation de 2013 sur le traitement hormonal de substitution reste valable.


Contexte

Pour Minerva, en 2013 (1,2) sur base d’une revue systématique avec notamment les études de la Women’s Health Initiative (WHI) concernant des femmes en bonne santé âgées de 50 à 79 ans, un traitement hormonal de substitution (THS) n’était pas indiqué en prévention primaire et secondaire des affections cardiovasculaires, de la démence ou de la perte des capacités cognitives chez les femmes ménopausées. Un THS était efficace dans la prévention des fractures dues à l’ostéoporose après la ménopause mais cette option thérapeutique ne se justifie que chez les femmes pour lesquelles le risque est important et pour lesquelles un autre traitement n’est pas possible. En 2013, il n’y avait pas suffisamment de données pour estimer le risque sur le long terme de l’utilisation du THS chez les femmes de moins de 50 ans en préménopause ou ménopausées. En 2020, les deux essais de la WHI ont fait l’objet d’une analyse avec un suivi à plus long terme (3).


Résumé

Population étudiée

  • femmes ménopausées, âgées de 50 à 79 ans
  • consentement éclairé écrit
  • mammographie de base non évocatrice de cancer
  • absence d’antécédent de cancer du sein
  • survie attendue > 3 ans.

 

Protocole d’étude

  • il s’agit de deux études randomisées conduites l’une chez des femmes avec un utérus préservé et l’autre chez des femmes hystérectomisées
    • intervention : 
      • utérus intact : 0,625 mg/j d'œstrogènes conjugués équins (CEE) plus 2,5 mg/j d'acétate de médroxyprogestérone (MPA)
      • hystérectomie : 0,625 mg/j CEE seuls
    • comparateur :  placebo.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : incidence du cancer du sein
  • critères de jugement secondaires :
    • décès par cancer du sein (cancer du sein suivi de décès attribué au cancer du sein) 
    • décès après cancer du sein (cancer du sein suivi de décès quelle qu'en soit la cause).

 

Résultats

  • un total de 27347 femmes ménopausées (âge médian : 63 ans) ont participé aux 2 essais d'hormonothérapie ; chez les femmes avec un utérus, 8506 ont été randomisées pour CEE plus MPA versus 8102 pour placebo ; en cas d’hystérectomie, 5310 ont été randomisées pour CEE versus 5429 pour placebo ; le premier (suivi médian de 18,9 ans) a été arrêté en 2002 après une durée médiane d'intervention de 5,6 ans, et le second (suivi médian de 16,2 ans) en 2004 après une durée médiane d'intervention de 7,2 ans
  • critère de jugement primaire :
    • CEE : incidence significativement plus faible du cancer du sein avec le THS avec 238 cas (incidence annualisée 0,30%) versus 296 (incidence annualisée 0,37%) : HR de 0,78 (avec IC à 95% de 0,65 à 0 ,93 ; p = 0,005)
    • CEE + MPA : incidence significativement plus élevée du cancer du sein avec le THS : 584 cas (incidence annualisée, 0,45%) versus 447 (incidence annualisée 0,36%) : RR cumulatif de 1,28 (avec IC à 95% de 1,13 à 1,45 ; p < 0,001) 
  • critères de jugement secondaires :
    • décès par cancer du sein
      • CEE : significativement moins de décès par cancer du sein : : 30 décès (mortalité annualisée, 0,031%) versus 46 (mortalité annualisée, 0,046 %) avec le placebo : HR de 0,60 (avec IC à 95% de 0,37 à 0,97 ; p = 0,04)
      • CEE + MPA : pas de différence statistiquement significative avec 71 décès dans le groupe traité (mortalité annualisée, 0,045%) versus 53 dans le groupe placebo (mortalité annualisée, 0,035%) : HR de 1,35 (avec IC à 95% de 0,94 à 1,95 ; p = 0,11)
    • décès après cancer du sein
      • CEE : pas de différence significative avec 100 femmes (mortalité annualisée, 0,12%) dans le groupe de traitement contre 121 (mortalité annualisée, 0,15%) : RR de 0,80 (avec IC à 95% de 0,60 à 1,05 ; p = 0,11)
      • CEE + MPA : pas de différence significative avec 213 femmes (mortalité annualisée, 0,16%) dans le groupe traité contre 172 (mortalité annualisée, 0,13%) dans le groupe placebo : HR de 1,19 (avec IC à 95% de 0,97 à 1,47 ; p = 0,10).

 

Conclusion des auteurs

Dans cette étude de suivi à long terme de 2 essais randomisés, l'utilisation randomisée préalable de CEE seul, par rapport à un placebo, chez les femmes ayant déjà subi une hystérectomie, était significativement associée à une incidence et une mortalité par cancer du sein plus faibles, alors que l'utilisation de CEE plus MPA, par rapport à un placebo, chez les femmes qui avaient un utérus intact, était significativement associée à une incidence plus élevée du cancer du sein, sans différence significative dans la mortalité par cancer du sein. 

 

Financement de l’étude

Le financement de l'étude The Women’s Health Initiative program a été assuré par  the NHLBI, National Institutes of Health, Department of Health and Human Services.

 

Conflit d’intérêt des auteurs 

Plusieurs auteurs déclarent des conflits d'intérêt.


Discussion

Evaluation de la méthodologie

Il faut se rappeler que le principal objectif défini par le protocole des deux essais était en termes de bénéfices la prévention de la maladie coronarienne et en termes de dommage la survenue de cancers du sein invasifs. Les deux essais ont dû être arrêtés précocement, l’essai CEE plus MPA en 2002 pour survenue d’un excès de complications vasculaires (8 embolies pulmonaires, 8 AVC, 7 accidents coronariens) et de cancers du sein (rapport bénéfices/ risques défavorable) et l’essai CEE en 2004 pour excès d’AVC (8 pour 10000 femmes par année de traitement). Les participantes avaient été informées par courrier d'arrêter immédiatement les médicaments de l'étude. Des enquêtes menées 8 à 12 mois après l'intervention ont révélé une utilisation limitée de l'hormonothérapie hors protocole : 4,3% dans le groupe CEE + MPA et 4,5% dans le groupe CEE seul. Des évaluations ultérieures, recueillies annuellement entre 2005 et 2010, ont trouvé que moins de 4% des femmes avaient un usage personnel d'hormonothérapie. Une dernière évaluation en 2011-2012 a montré que le recours à une hormonothérapie restait faible (< 4%). Les résultats rapportés dans la présente publication sont donc assez « purs » et apportent des informations intéressantes sur les effets de l’hormonothérapie substitutive sur le risque (femmes avec leur utérus conservé) ou la protection (femmes hystérectomisées) de développer un cancer du sein. Les HR sur le risque de cancer du sein restent stables dans les deux essais après l’intervention thérapeutique. Vu l’arrêt précoce de l’essai, les résultats non significatifs de mortalité par cancer du sein ne peuvent être considérés pour des raisons de puissance que comme exploratoires.

 

Evaluation des résultats

Pour la pratique médicale, on ne peut tirer d’autres conclusions que ce type de THS ne doit pas être utilisé chez la femme ménopausée, en raison de la toxicité cardiovasculaire liée à cette hormonothérapie. Les deux essais avaient été conçus non seulement pour savoir si elle permettrait de réduire l’incidence du cancer du sein mais aussi de protéger contre le développement d’une cardiomyopathie ischémique. Pour cet objectif – primaire dans le design de l’étude – c’est le contraire qui a été observé. Les essais ont été arrêtés par un nombre observé excessif de complications (infarctus myocardique, AVC, embolie pulmonaire) même si cela ne s’est pas traduit par un excès de mortalité globale ou cardiovasculaire (4). Il faut se rappeler que les études randomisées, pour des raisons éthiques évidentes, ne sont pas le meilleur moyen pour mettre en évidence les effets secondaires des interventions thérapeutiques.

 

Que disent les guides de pratique clinique?

L’US Preventive Services Task Force en 2022 (5) recommande de ne pas prescrire une combinaison d'œstrogènes et de progestatifs pour la prévention primaire des maladies chroniques chez les femmes ménopausées et déconseille l'utilisation d'œstrogènes seuls pour ce même objectif chez les personnes ménopausées qui ont subi une hystérectomie. Pour la revue française Prescrire (6), « les traitements hormonaux de la ménopause, par voie locale ou générale, sont à écarter chez les femmes à risque d’accidents thromboemboliques artériels ou veineux, ou à risque de tumeurs œstrogéno-dépendantes telles que cancers du sein ou de l’endomètre. Pour limiter les troubles provoqués par une sécheresse vaginale, en cas d’effet insuffisant d’un gel vaginal hydratant ou lubrifiant, un estrogène par voie vaginale à la posologie minimale efficace est une option à réserver aux patientes très gênées et en cas de gêne majeure non soulagée, un traitement hormonal substitutif à la dose minimale efficace et pendant la durée la plus courte possible est un recours éventuel ».

 

Conclusion de Minerva

Pour les auteurs de cette étude de suivi à long terme de 2 essais randomisés, l'utilisation de CEE, par rapport à un placebo, chez les femmes ayant déjà subi une hystérectomie, est significativement associée à une incidence et une mortalité par cancer du sein plus faibles, alors que la prescription de CEE plus MPA, par rapport à un placebo, chez les femmes qui avaient un utérus intact, est significativement associée à une incidence plus élevée du cancer du sein, mais à aucune différence significative dans la mortalité par cancer du sein. Pour Minerva, ces traitements hormonaux doivent être évités en raison d’une balance bénéfice/risque défavorable et la recommandation de 2013 sur le traitement hormonal de substitution reste valable. 

 

 

Références 

  1. De Weirdt S, Lemiengre M. Un traitement hormonal substitutif en prévention des affections chroniques apparaissant après la ménopause? Minerva Analyse 15/10/2013
  2. Nelson HD, Walker M, Zakher B, Mitchell J. Menopausal hormone therapy for the primary prevention of chronic conditions: a systematic review to update the U.S. Preventive Services Task Force recommendations. Ann Intern Med 2012;157:104-13. DOI: 10.7326/0003-4819-157-2-201207170-00466
  3. Chlebowski RT, Anderson GL, Aragaki AK, et al. Association of menopausal hormone therapy with breast cancer incidence and mortality during long-term follow-up of the women’s health initiative randomized clinical trials. JAMA 2020;324:369-80. DOI: 10.1001/jama.2020.9482
  4. Manson JE, Aragaki AK, Rossouw JE, et al. Menopausal hormone therapy and long-term all-cause and cause-specific mortality: the Women’s Health Initiative randomized trials. JAMA 2017;318:927‑38. DOI: 10.1001/jama.2017.11217
  5. US Preventive Services Task Force; Mangione CM, Barry MJ, Nicholson WK, et al. Hormone therapy for the primary prevention of chronic conditions in postmenopausal persons: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA 2022;328:1740‑6. DOI: 10.1001/jama.2022.18625
  6. Rédaction Prescrire. Troubles liés à la ménopause. L’essentiel sur les soins de premier choix. Prescrire, actualisation sept. 2022. 




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