Revue d'Evidence-Based Medicine



Peut-on préciser l’effet des programmes d’autosoins proposés aux patients prédiabétiques sur l’incidence du diabète de type 2 ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 1 Page 6 - 9

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Sun C, Lei Y, Lin Z, et al. Effects of self-care programs on the incidence of diabetes among adults with prediabetes: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. J Clin Nurs 2022;10.1111/jocn.16384. DOI: 10.1111/jocn.16384


Question clinique
Chez des patients adultes (plus de 18 ans), prédiabétiques, l’incidence du diabète de type 2, comparée entre des groupes où un programme d’autosoin est systématiquement proposé et des groupes avec un traitement traditionnel et des conseils généraux, est-elle modifiée ? Quels en sont les composants de structure préférables ainsi que les principaux éléments de contenu ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse présentant des limites méthodologiques non négligeables, montre que des programmes d’autosoins, expression ambiguë et sans doute inappropriée dans le cadre de ce travail de synthèse, peuvent ralentir ou arrêter l’évolution vers le diabète de type 2 de patients prédiabétiques. Les auteurs préconisent des études de qualité pour identifier le meilleur type d’intervention. Ce type spécifique d’étude paraît tout à fait illusoire dans la mesure où une approche la plus personnalisée possible est souhaitable, bien sûr dans une structuration compatible avec l’environnement communautaire et le type de structures de soins.


Contexte

Le diabète de type 2 est précédé d’une période plus ou moins longue, où le patient -asymptomatique - présente une glycémie anormale sans répondre aux critères de diabète. Ce stade peut être dépisté, et il a été bien montré que des interventions en vue de modifications du mode de vie modifient l’incidence du diabète, essentiellement en le retardant (1,2). Les outils de dépistage restent cependant de qualité variable (3,4) et les bénéfices cliniques à long terme restent douteux (3-5). Maintenir la motivation suffisante des patients quant au fait d’adopter un mode de vie sain pour observer des effets cliniques est difficile. L’autosoin est une technique ayant déjà montré des effets positifs (6) mais les limites méthodologiques de ces études ne sont pas bien documentées. Rappelons que la notion d’autosoins est définie comme ci-après dans les MeSH : « fourniture des services de soin par le patient lui-même, ou sa famille ou ses amis, alors que ces services sont traditionnellement exécutés par un professionnel de santé » (7). Elle diffère de la notion d’éducation du patient qui est définie de la façon suivante : « Enseignement ou la formation des patients au sujet de leurs propres besoins de santé. » (8). C’est dans ce contexte d’incertitude factuelle, mais en présence d’enjeux majeurs de santé publique, qu’est présentée une nouvelle méta-analyse sur le sujet de la prévention du diabète de type 2 par l’éducation de patients prédiabétiques, via des programmes d’autosoins (9).

 

 

Résumé

Méthodologie
 
Revue systématique avec méta-analyse de RCTs.

Sources consultées

  • PubMed, Embase, Cochrane, CINAHL, PsycINFO, Wanfang, CNKI, Chinese Biomedical Database et Open Gray ; listes des références bibliographiques.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion :
    • RCTs publiées de janvier 2002 à décembre 2021
    • patients de 18 ans et plus, prédiabétiques selon les critères de l’ADA
    • intervention : autosoin initiés par une professionnel de la santé
    • comparateur : soins usuels ou éducation à la santé
  • critères d’exclusion : antécédents de diabète, traitement médicamenteux hypoglycémiants, grossesse ou lactation ; études ne proposant que des programmes d’éducation à la santé
  • 10167 études ont été identifiées ; inclusion finale de 15 études dont 14 éligibles pour la méta-analyse ; la durée d’observation va de 3 mois à 4,2 ans ; moyenne de 3,11 ans.


Population étudiée

  • au total, 7401 patients ont été inclus ; 3710 étaient dans le groupe intervention et 3691 dans le groupe contrôle ; l’âge moyen des patients était de 52,6 ans.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement : incidence du diabète
  • les interventions d’autosoins sont détaillées, afin de permettre de regrouper les études selon la classification suivante : éducation en face-à-face ou non, avec ou sans brochure, de durée de plus ou moins un an, éducation par un individu ou une équipe
  • des analyses de sous-groupes basées sur les composants de la structure ont été effectuées pour contraster les effets
  • une analyse critique pour généraliser les éléments de base des composants de contenu a été réalisée.

 

Résultats

  • les résultats sont présentés en 9 forest plots : une méta-analyse globale suivie de 8 méta-analyses où les études sont regroupées selon les dominantes éducatives citées plus haut
  • critère de jugement primaire : incidence du diabète (14 études, 3672 patients dans le groupe « intervention » versus 3651 patients dans le groupe « contrôle ») ; OR de 0,58 avec IC à 95% de 0,46 à 0,73 ; p < 0,001 ; I² = 47% ; modèle à effets aléatoires
  • analyses en sous-groupes : les OR et IC des 8 MA « secondaires » sont reprises dans le tableau suivant :

 

Type

Educ

Face à face

A

Distance

Indiv

Team

Avec

Broch

Sans

Broch

Dur <

1 an

Dur >

1 an

OR

0,55

0,61

0,45

0,64

0,53

0,63

0,41

0,63

IC

0,42 à 0,73

0,40 à 0,92

0,30 à 0,68

0,50 à 0,82

0,42 à 0,69

0,45 à 0,88

0,26 à 0,64

0,50 à 0,79

Légende : Educ = éducation ; Indiv = éducation par un individu ; Team = éducation par une équipe ; Broch = brochure ; Dur = durée

  • les différents couples de types éducatifs (par exemple « face à face » et « A distance ») sont comparés entre eux par un test Z, sans signification mise en évidence (tous les IC se superposent).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’efficacité de programmes d’autosoins sur l’incidence observée du diabète de type 2, chez des patients prédiabétiques ; cet effet est observé pour différentes formes ou contenus de programmes ou méthodes, sans qu’on puisse mettre en évidence un contenu ou une méthode préférentiels.


Financement de l’étude

Cette étude a bénéficié d'un financement de Natural Science foundation of Jiangsu Province of China.
 
Conflits d’intérêt des auteurs

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

La méta-analyse globale paraît bien effectuée tant sur le plan de la sélection des études que sur le plan de la technique statistique. Les auteurs ont suivi les recommandations PRISMA.
Les auteurs notent un funnel plot caractéristique d’un biais de publication, mais une analyse de sensibilité semble rassurante. La qualité des études incluses a été réalisée à l’aide de l’outil RoB de la Cochrane. Il y a un doute quant au risque de biais d’aveuglement pour 4 études et un risque de biais important pour 8, ce qui diminue bien évidemment notre confiance dans les résultats observés. En ce qui concerne les résultats des 8 méta-analyses où les études sont classifiées selon les caractéristiques des programmes d’autosoins, il y a probablement un biais d’ « opportunité », puisque les auteurs ont choisi rétrospectivement de classifier ces études sur des critères dont la pertinence clinique n’est pas établie ; outre cela, les descriptions  des interventions paraissent trop vagues pour une classification rationnelle, même s’ils affirment avoir contacté certaines équipes pour obtenir des détails ; ces résultats sont donc vraisemblablement sans valeur factuelle. L’idée de comparer le contenu ou la forme de programmes d’autosoins est discutable, tant il paraît souhaitable de personnaliser les approches patient par patient ; d’autre part, quand une dénomination (ici l’« autosoins ») regroupe plusieurs approches possibles, il est souvent demandé aux auteurs d’identifier quelle partie précisément du programme apporte des éléments probants.
Cette notion d’autosoins est d’ailleurs source de confusion tant elle est ambiguë et sans doute inappropriée dans le cadre de ce travail de synthèse. Les auteurs ne la définissent pas clairement. Aussi, devons-nous nous reporter aux études incluses pour tenter de la comprendre. La table 2 de l’article analysé montre que ce sont clairement des professionnels qui délivrent une éducation. De plus, l’article britannique de Yates inclus dans cette méta-analyse a pour objectif de déterminer si « les améliorations de la régulation de la glycémie suite au programme éducatif structuré PREPARE se sont maintenues à 24 mois ». On ne parle donc pas de programme visant à une délégation, à des patients, de soins normalement réalisés par des professionnels.  En diabétologie moderne, et particulièrement dans les mesures préventives du type 2, les guides de pratique parlent de formation (éducation) des patients au sujet de leurs propres besoins de santé (donc d’un enseignement) (10).

 

Évaluation des résultats

La sélection des auteurs aboutit à 12 RCTs réalisées dans des populations non européennes, et 2 RCTs réalisés en Grande-Bretagne ; le poids de ces 2 derniers essais dans la méta-analyse globale est au total de 4,9%. Il existe d’autres études que les auteurs auraient pu sélectionner. Par exemple, un RCT britannique (11) étudie 1028 participants, avec un OR de 0,54 (avec IC à 95% de 0,34 à 0,85) et un âge moyen de 65 ans. Comme il est connu que les patients d’origine asiatique (ici +/- 50 ans, cf. plus haut) sont à risque de diabète de type 2 plus tôt dans leur vie, et à un BMI plus faible que les patients caucasiens (12), ceci réduit considérablement les possibilités de généralisation. Un problème important pour l’interprétation des résultats vient de la population majoritairement incluse dans cette revue systématique, principalement asiatique. Les programmes d’autosoins exigent un investissement personnel des patients. Peut-on raisonnablement faire le pari qu’un patient asiatique, dont les bases culturelles sont nettement différentes d’un patient occidental, réagit de la même façon que ces derniers quand on l’invite à s’investir personnellement dans la prise en charge de sa santé ? Les auteurs ne discutent pas d’importantes méta-analyses. Un exemple est la méta-analyse d’Hemmingsen et al. (13) (4511 patients ,11 RCTs, RR de 0,57 avec IC à 95% de 0,50 à 0,64) qui montre que c’est probablement l’addition de l’exercice physique ET de la diététique qui est efficace sur la prévention du diabète de type 2 : tout programme d’éducation doit viser à cela. Enfin, les auteurs n’ont pas mis leur méta-analyse dans la perspective d’éventuels gains cardiovasculaires à long terme ; ceux-ci semblent controversés (3) ou même inexistants selon une méta-analyse plus récente (14). Ils ne discutent pas non plus l’importance du contrôle des autres facteurs de risque que la glycémie dans l’approche du diabète de type 2 (15). Ces notions sont capitales pour l’élaboration de nos politiques de santé.
Dans l’état actuel des preuves, il faut replacer cela dans une perspective à long terme de la prévention micro- et macro-vasculaire dans le diabète de type 2, en insistant à la fois sur l’amont- apprentissage d’une alimentation équilibrée tôt dans la vie (dès la scolarité élémentaire) - et l’aval- avec contrôle de tous les facteurs de risque en-dehors de la glycémie, et notamment le tabagisme, trop souvent négligé.  

 

Que disent les guides de pratique clinique ? 

Dans le guide belge concernant le diabète de type 2 (Domus Medica/SSMG) (16), il n’y a pas de recommandation particulière pour la prévention de l’apparition du diabète chez le patient prédiabétique. NICE (2017) (17) recommande le dépistage systématique du prédiabète chez les patients à risque (calculateur de risque accessible à : « riskcore.diabetes.org.uk ») et recommande les mesures d’intervention classiques concernant les activités physiques, le poids et la nutrition, avec des recommandations détaillées à destination des professionnels de santé : bilan de santé entre 40 et 74 ans, accès aux programmes diététiques hypocaloriques, programmes d’exercice physique, etc…

 


Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse présentant des limites méthodologiques non négligeables, montre que des programmes d’autosoins, expression ambiguë et sans doute inappropriée dans le cadre de ce travail de synthèse, peuvent ralentir ou arrêter l’évolution vers le diabète de type 2 de patients prédiabétiques. Les auteurs préconisent des études de qualité pour identifier le meilleur type d’intervention. Ce type spécifique d’étude paraît tout à fait illusoire dans la mesure où une approche la plus personnalisée possible est souhaitable, bien sûr dans une structuration compatible avec l’environnement communautaire et le type de structures de soins.

 

 

 

Références 

  1. Wens J. Quelle est l’efficacité de quinze années d’adaptation du mode de vie ou de metformine sur le développement du diabète sucré de type 2 ou de complications microvasculaires ? Minerva Analyse 18/05/2016.
  2. Diabetes Prevention Program Research Group. Long-term effects of lifestyle intervention or metformin on diabetes development and microvascular complications over 15-year follow-up: the Diabetes Prevention Program Outcomes Study. Lancet Diabetes Endocrinol 2015;3:866-75. DOI: 10.1016/S2213-8587(15)00291-0
  3. Vanhaeverbeek M. Dépister et traiter le prédiabète est-il efficace pour prévenir le diabète de type 2 ? Minerva Analyse 01/04/2018.
  4. Barry E, Roberts S, Oke J, et al. Efficacy and effectiveness of screen and treat policies in prevention of type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of screening tests and interventions. BMJ 2017;356:i6538. DOI: 10.1136/bmj.i6538
  5. Nathan DM, Bennett PH, Crandall JP, et al. Does diabetes prevention translate into reduced long-term vascular complications of diabetes? Diabetologia 2019;62:1319-28. DOI: 10.1007/s00125-019-4928-8
  6. Timmerman GM. Using self-care strategies to make lifestyle changes. J Holistic Nursing 1999;17:169-83. DOI: 10.1177/089801019901700205
  7. HeTOP. Autosoin. URL: https://www.hetop.eu/hetop/#rr=MSH_D_012648&q=autosoin. Consulté le 06/01/2023.
  8. HeTOP. Education du patient comme sujet. URL: https://www.hetop.eu/hetop/#rr=MSH_D_010353&q=%C3%A9ducation+du+patient. Consulté le 06/01/2023.
  9. Sun C, Lei Y, Lin Z, et al. Effects of self-care programs on the incidence of diabetes among adults with prediabetes: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. J Clin Nurs 2022;10.1111/jocn.16384. DOI: 10.1111/jocn.16384
  10. ElSayed NA, Aleppo G, Aroda VR, et al. American Diabetes Association. 3. Prevention or delay of type 2 diabetes and associated comorbidities: standards of care in diabetes-2023. Diabetes Care 2023;46(Suppl_1):S41–S48. DOI: 10.2337/dc23-S003
  11. Sampson M, Clark A, Bachmann M, et al. Effects of the Norfolk diabetes prevention lifestyle intervention (NDPS) on glycaemic control in screen-detected type 2 diabetes: a randomised controlled trial. BMC Med 2021;19:183. DOI: 10.1186/s12916-021-02053-x
  12. Maskarinec G, Morimoto Y, Jacobs S, et al . Ethnic admixture affects diabetes risk in native Hawaiians: the Multiethnic Cohort. Eur J Clin Nutr 2016;70:1022-7. DOI: 10.1038/ejcn.2016.32
  13. Hemmingsen B, Gimenez-Perez G, Mauricio D, et al. Diet, physical activity or both for prevention or delay of type 2 diabetes mellitus and its associated complications in people at increased risk of developing type 2 diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 12. DOI: 10.1002/14651858.CD003054.pub4
  14. Zucatti P, Teixeira P, Wayerbacher L, et al. Long-term effect of lifestyle interventions on the cardiovascular and all-cause mortality of subjects with prediabetes and type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis. Diabetes Care 2022;45:2787-95. DOI: 10.2337/dc22-0642
  15. Rawshani A, Rawshani A, Franzén S, et al. Risk factors, mortality, and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2018;379:633-44. DOI: 10.1056/NEJMoa1800256
  16. Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2 : Recommandations de Bonne Pratique. Domus Medica/SSMG 2015. URL:  
    https://www.ssmg.be/wp-content/images/ssmg/files/Recommandations_de_bonne_pratique/SSMG_RBP_Diabete.pdf
  17. Natonal Institute of Care Excellence. Type 2 diabetes : prevention in people at high risk. Public health guideline [PH38]. NICE 2012. Last updated: 15 September 2017.  
     




Auteurs

Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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