Revue d'Evidence-Based Medicine



La dapagliflozine, un médicament dont les indications de prescription doivent être précisées dans le traitement de l’insuffisance cardiaque



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 5 Page 100 - 103

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Solomon SD, McMurray JJ, Claggett B, et al. Dapagliflozin in heart failure with mildly reduced or preserved ejection fraction. N Engl J Med 2022;387:1089-98. DOI: 10.1056/NEJMoa2206286


Question clinique
Quel est, pour des patients souffrant d'insuffisance cardiaque et une fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) > 40%, le bénéfice de la dapagliflozine par rapport à un placebo, en plus du traitement habituel, sur un critère composite d'aggravation de l'insuffisance cardiaque (définie soit comme une hospitalisation non planifiée pour insuffisance cardiaque, soit comme une visite urgente pour insuffisance cardiaque) et de décès cardiovasculaire ?


Conclusion
Pour les auteurs de cette étude, chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque et dont la fraction d'éjection est légèrement réduite ou préservée, la dapagliflozine a entraîné une diminution du risque du composite principal (aggravation de l'insuffisance cardiaque ou décès d'origine cardiovasculaire), une aggravation moindre des événements d'insuffisance cardiaque et des décès d'origine cardiovasculaire, et une diminution de la charge des symptômes, sans excès d'événements indésirables. Ces données fournissent des preuves supplémentaires à l'appui de l'utilisation d'un i-SGLT2 comme traitement essentiel chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, indépendamment de la présence ou de l'absence de diabète sucré de type 2 ou de la fraction d'éjection ventriculaire gauche. Pour Minerva, si la dapagliflozine a un effet positif sur la fonction cardiaque chez le patient en insuffisance cardiaque, la grande hétérogénéité de la population incluse dans l’essai clinique analysé ne permet de dégager des indications très précises sur le moment où ce médicament peut être introduit. Les effets secondaires doivent de plus être mieux connus dans ce contexte particulier.


Contexte

La dapagliflozine est une gliflozine, inhibiteur du cotransporteur sodium / glucose 2 (i-SGLT2), classe de médicaments utilisée dans le diabète sucré de type 2. Il s’est avéré jouer un rôle dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. En 2021, Minerva a analysé (1) un modèle mathématique suggérant mais ne démontrant pas, dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection systolique diminuée, un avantage d’un traitement ajoutant à une approche de base (une combinaison d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un sartan et un β-bloquant) une association de trois médicaments d’autres classes, dont l’association sacubitril–valsartan et la dapagliflozine (un i-SGLT2) (2). Cette étude permettait de soulever cependant des hypothèses à tester par des essais cliniques randomisés rigoureusement conduits. En 2019, une étude randomisée (3) versus placebo a montré que, chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque avec une fraction d'éjection réduite, le risque d'aggravation de l'insuffisance cardiaque ou de décès d'origine cardiovasculaire était plus faible chez ceux recevant la dapagliflozine, indépendamment de la présence ou non de diabète sucré. Dans cet essai mené chez des patients (fraction d’éjection systolique < 40 %) gênés dans leurs activités physiques malgré un traitement dit optimisé (l’association sacubitril + valsartan n’avait été ajoutée au traitement que chez 1 patient sur 10), la revue Prescrire (4) a calculé qu’environ une complication a été évitée chez 1 patient sur 20 et une mort chez 1 patient sur 40. Une nouvelle étude randomisée, dite DELIVER, vient d’être publiée, testant le médicament chez des malades avec une insuffisance cardiaque et une fraction d'éjection ventriculaire gauche > 40% (5).

 

 

Résumé

Population étudiée

  • 6263 patients randomisés sur base des critères d’éligibilité suivants :
    • âgé d’au moins 40 ans
    • insuffisance cardiaque stabilisée, avec ou sans diabète sucré de type 2 
    • FEVG > 40% (les patients avec une FEVG ≤ 40% étaient éligibles à condition d’avoir une FEVG > 40% à l’enregistrement)
    • signes de cardiopathie structurelle 
    • niveau élevé de peptide natriurétique
    • recrutement en ambulatoire ou lors d’une hospitalisation pour insuffisance cardiaque
  • étaient exclus : les patients qui avaient bénéficié d’une gliflozine < 4 semaines, GFR < 25 ml/min/1,73m2, PAS < 95 mmHg ou > 160 mmHg avec ≥ 3 médications ou ≥ 180 mmHg indépendamment des traitements en cours, maladie cardiovasculaire non stabilisée depuis > 12 semaines
  • caractéristiques des patients inclus : âge médian de 72 ans, 44% de femmes, recrutement international de différents continents, 30% avec FEVG ≥ 60%, 18% avec histoire de FEVG < 40%, 45% de diabétiques.

 

Protocole d’étude

Il s’agit d’un essai randomisé, multicentrique, en double aveugle, de phase III, avec 2 bras :

    • traitement usuel + dapagliflozine 10 mg per os / jour
    • traitement usuel + placebo
  • évaluation au bout d’une médiane de 2,3 ans.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement primaire : composite de l'aggravation de l'insuffisance cardiaque, définie soit comme une hospitalisation non planifiée pour insuffisance cardiaque, soit comme une visite urgente pour insuffisance cardiaque, soit comme un décès cardiovasculaire
  • critères de jugement secondaires : 
    • nombre total de cas d’aggravation de l'insuffisance cardiaque et de décès cardiovasculaires
    • variation par rapport au départ du score total des symptômes sur le questionnaire de cardiomyopathie de Kansas City (KCCQ) à 8 mois 
    • mort cardiovasculaire.

 

Résultats

  • critère de jugement primaire : survenu chez 512 patients (16,4%) dans le groupe dapagliflozine et chez 610 patients (19,5%) dans le groupe placebo (HR de 0,82 avec IC à 95% de 0,73 à 0,92 ; p < 0,001) ; résultats similaires si FEVG < 60% (RR de 0,83 avec IC à 95% de 0,73 à 0,95 ; p = 0,009)
  • critères de jugement secondaires : 
    • nombre de décès d'origine cardiovasculaire et d'épisodes d'aggravation de l'insuffisance cardiaque : plus faible dans le groupe dapagliflozine que dans la population globale (rapport des taux de 0,77 avec IC à 95% de 0,67 à 0,89 ; p < 0,001)
    • score total des symptômes du KCCQ : bénéfice en faveur de la dapagliflozine
    • mort cardiovasculaire : différence non significative avec RR de 0,88 avec IC à 95% de 0,74 à 1,05) en faveur de la dapagliflozine.

 

Conclusion des auteurs

La dapagliflozine a réduit le risque combiné d'aggravation de l'insuffisance cardiaque ou de décès cardiovasculaire chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque avec une fraction d'éjection légèrement réduite ou préservée. 

 

Financement de l’étude

Etude financée par la firme AstraZeneca.

 

Conflit d’intérêts des auteurs

La plupart des auteurs ont des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique, notamment AstraZeneca.

 

 

Discussion

Evaluation de la méthodologie 

Il s’agit d’une étude randomisée à 2 bras en double aveugle basée sur un protocole méthodologiquement bien construit, avec une analyse en intention de traiter et des considérations statistiques bien définies a priori. L’étude a été calibrée avec un recrutement de 6100 patients suivis pendant au moins 13,5 mois (et jusqu'à 39 mois) devant entraîner la survenue d'au moins 1117 événements, ce qui donne à l'essai une puissance de 93% pour détecter un rapport de risque de 0,80 pour la comparaison des dapagliflozine et placebo pour le résultat principal dans la population globale, avec un niveau alpha bilatéral de 0,024. Ces conditions ont été remplies à la clôture de l’étude avec un recrutement de 6263 patients et la survenue de 1122 événements. Pour le traitement de base auquel on ajoute la dapagliflozine ou le placebo, le protocole mentionne que tous les patients doivent être traités conformément aux normes régionales de soins de l’insuffisance cardiaque et des comorbidités existantes (y compris le traitement de l'hypertension, des cardiopathies ischémiques, de la fibrillation auriculaire, du diabète, de l'hyperlipidémie) sans le définir.

 

Évaluation des résultats 

Pour mieux cibler les indications du médicament dans la pratique médicale, il faudrait avoir des critères d’inclusion plus précis. Le traitement de base donné aux patients n’est décrit que de façon très superficielle et seulement dans le supplément en ligne. Les classes de médicaments utilisés sont données (diurétiques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, etc.) mais jamais les associations reçues. Il est donc difficile de savoir si la situation d’un patient donné est couverte dans l’essai. À noter qu’il y avait moins de 5% des patients ayant reçu l’association sacubitril–valsartan, concurrent de la dapagliflozine à laquelle il conviendrait de la comparer (1). La définition de la FEVG est également problématique. Elle doit être > 40% au moment de l’enregistrement mais on ne sait pas chez combien de patients elle a été plus basse auparavant dans l’histoire de leur insuffisance cardiaque. L’essai inclut aussi des patients avec une FEVG ≥ 60%, sans faire la distinction entre insuffisances cardiaques systolique et diastolique dont l’approche thérapeutique n’est pas la même. Enfin le recrutement a porté sur tous les continents avec des regroupements discutables (comme mettre l’Arabie saoudite en Europe) et dont les pratiques médicales ne sont pas forcément similaires en raison notamment de différents systèmes de santé publique et accès médicamenteux. De plus, l’étude n’est pas assez puissante pour déterminer l’effet sur la mortalité cardiovasculaire. Le suivi n’est pas non plus assez long. Notons que tous les sous-groupes de l'essai sont de faible puissance et que les résultats à l'intérieur de ces sous-groupes doivent donc être interprétés avec prudence. Un autre problème majeur vient de l’analyse très superficielle de la toxicité, les auteurs affirment qu’il n’y a pas de différence significative entre les deux bras sans détailler les données, y compris dans le supplément en ligne. Rappelons le profil des effets indésirables des gliflozines comme les infections urinaires ou génitales ou les fasciites nécrosantes du périnée ou comme la déshydratation, l’hypotension artérielle ou l’insuffisance rénale (6). Ces problèmes auraient dû être explicitement développés. Rappelons que près de la moitié des patients inclus dans l’essai étaient diabétiques.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Dans sa dernière mise à jour, la société européenne de cardiologie (7) recommande la dapagliflozine ou l'empagliflozine pour tous les patients atteints d’insuffisance cardiaque à FEVG réduite déjà traités par un inhibiteur de l'enzyme de conversion de l'angiotensine ou du complexe sacubitril/valsartan, un bêta-bloquant et un antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, qu'ils soient diabétiques ou non. Les sociétés américaines (8) vont dans le même sens en recommandant ces médicaments pour réduire le risque d’hospitalisation pour décompensation cardiaque et la mortalité cardiovasculaire, indépendamment de la présence d'un diabète de type 2. La britannique NICE (9) ne les mentionne pas en 2018. Pour la revue Prescrire (10), l’ajout de dapagliflozine chez les patients insuffisants cardiaques dont la fraction d’éjection ventriculaire est nettement abaissée et qui sont gênés dans leurs activités physiques malgré un traitement dit optimisé associant surtout inhibiteur de l’enzyme de conversion ou sartan et diurétique antagoniste de l’aldostérone, semble réduire les complications et allonger la durée de vie mais cette indication reste à confirmer.

 

 

Conclusion de Minerva

Pour les auteurs de cette étude, chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque et dont la fraction d'éjection est légèrement réduite ou préservée, la dapagliflozine a entraîné une diminution du risque du composite principal (aggravation de l'insuffisance cardiaque ou décès d'origine cardiovasculaire), une aggravation moindre des événements d'insuffisance cardiaque et des décès d'origine cardiovasculaire, et une diminution de la charge des symptômes, sans excès d'événements indésirables. Ces données fournissent des preuves supplémentaires à l'appui de l'utilisation d'un i-SGLT2 comme traitement essentiel chez les patients souffrant d'insuffisance cardiaque, indépendamment de la présence ou de l'absence de diabète sucré de type 2 ou de la fraction d'éjection ventriculaire gauche.
Pour Minerva, si la dapagliflozine a un effet positif sur la fonction cardiaque chez le patient en insuffisance cardiaque, la grande hétérogénéité de la population incluse dans l’essai clinique analysé ne permet de dégager des indications très précises sur le moment où ce médicament peut être introduit. Les effets secondaires doivent de plus être mieux connus dans ce contexte particulier.

 

 


Références 

  1. Sculier JP. Des effets positifs rapportés par un traitement dit global de l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection systolique réduite, permettant de générer des hypothèses pour des essais mais non de changer la pratique clinique. MinervaF 2021;20(3):33-6
  2. Vaduganathan M, Claggett BL, Jhund PS, et al. Estimating lifetime benefits of comprehensive disease-modifying pharmacological therapies in patients with heart failure with reduced ejection fraction: a comparative analysis of three randomised controlled trials. Lancet 2020;396:121‑8. DOI: 10.1016/S0140-6736(20)30748-0  
  3. McMurray JJ, Solomon SD, Inzucchi SE, K, et al. Dapagliflozin in patients with heart failure and reduced ejection fraction. N Engl J Med 2019;381:1995‑2008. DOI: 10.1056/NEJMoa1911303
  4. Rédaction Prescrire. Dapagliflozine (forxiga°) et insuffisance cardiaque chronique. Une alternative à l’association sacubitril + valsartan, avec les effets indésirables graves communs aux gliflozines. Revue Prescrire 2021;41:725-7
  5. Solomon SD, McMurray JJ, Claggett B, et al. Dapagliflozin in heart failure with mildly reduced or preserved ejection fraction. N Engl J Med 2022;387:1089-98. DOI: 10.1056/NEJMoa2206286 
  6. Répertoire commenté des médicaments. Gliflozines (inhibiteurs du SGLT2). CBIP mai 2023. 
  7. Authors/Task Force Members, McDonagh TA, Metra M, Adamo M, et al; ESC Scientific Document Group. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: Developed by the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC). With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur J Heart Fail 2022;24:4‑131. DOI: 10.1002/ejhf.2333
  8. Heidenreich PA, Bozkurt B, Aguilar D, et al. 2022 AHA/ACC/HFSA Guideline for the management of heart failure: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Joint Committee on Clinical Practice Guidelines. J Am Coll Cardiol 2022;79:e263‑e421. DOI: 10.1016/j.jacc.2021.12.012
  9. Taylor CJ, Moore J, O’Flynn N. Diagnosis and management of chronic heart failure: NICE guideline update 2018. Br J Gen Pract 2019;69:265‑6.  DOI: 10.3399/bjgp19X702665
  10. Rédaction Prescrire. Insuffisance cardiaque chronique. L’essentiel sur les soins de premier choix. Revue Prescrire actualisation octobre 2021;42:73.




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