Revue d'Evidence-Based Medicine



Kinésithérapie précoce en prévention de l’œdème lymphatique après chirurgie du cancer du sein ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 2 Page 19 - 20

Professions de santé


Analyse de
Torres Lacomba M, Yuste Sánchez MJ, Zapico Goñi A, et al. Effectiveness of early physiotherapy to prevent lymphoedema after surgery for breast cancer: randomised, single blinded, clinical trial. BMJ 2010;340:b5396.


Question clinique
Quelle est l’efficacité d’une kinésithérapie précoce sur l’incidence de l’œdème lymphatique secondaire à un an post chirurgie pour cancer du sein ?


Conclusion
Cette étude semble montrer une efficacité d’une kinésithérapie précoce (incluant un drainage lymphatique manuel) versus programme éducatif dans la prévention d’un oedème lymphatique pendant au moins un an post chirurgie pour cancer du sein incluant un curage des ganglions lymphatiques axillaires. Les résultats de cette 1ère étude associant un drainage lymphatique aux exercices en traitement précoce demandent confirmation.


 

Contexte

L’apparition d’un œdème lymphatique dans l’année post chirurgie incluant un curage de ganglions axillaires pour cancer du sein, représente la complication la plus importante réduisant la qualité de vie de ces patientes (1). Son incidence varie de 5 à 56% à 2 ans par absence de gold standard pour sa définition selon les différentes sources consultées par les auteurs de cette RCT. En prévention, une RCT (2) a montré l’intérêt d’exercices associés à un programme éducatif en termes d’incidence de lymphoedème à 2 ans post chirurgie. L’intérêt d’une kinésithérapie précoce (incluant un drainage lymphatique manuel) n’avait pas encore été évalué.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 120 femmes ayant subi une intervention chirurgicale pour cancer du sein unilatéral confirmé par biopsie, avec curage des ganglions axillaires ; âge moyen 53 ans ; IMC moyen 27
  • dans 1 hôpital universitaire de Madrid entre mai 2005 et juin 2007
  • critères d’exclusion : absence de curage des ganglions axillaires, cancer mammaire bilatéral, maladie systémique, récidive locorégionale, toute contre-indication à une kinésithérapie.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, contrôlée, en simple aveugle
  • évaluation (mesure de la circonférence des bras) préopératoire et au jour 3 à 5 après la sortie d’hôpital 
  • suivie de la randomisation : soit kinésithérapie précoce et programme éducatif (groupe kinésithérapie précoce) (n=60) soit programme éducatif seul (groupe contrôle) (n=60)
  • kinésithérapie précoce : drainage lymphatique manuel, massage des tissus cicatriciels et exercices de stretching et de mobilisation progressive passive et active de l’épaule par un kinésithérapeute expérimenté
  • programme éducatif : informations écrites concernant l’oedème lymphatique secondaire (OLS) avec stratégies individuelles d’implantation des mesures de prévention
  • dans les 2 groupes, 3 séances / semaine durant 3 semaines
  • suivi : 4 visites initialement programmées à 1, 3, 6 et 12 mois post chirurgie ; flexibilité en fonction de la disponibilité de la patiente ; possibilité d’une visite supplémentaire, après appel au kinésithérapeute, si apparition de douleur, inconfort ou tout autre symptôme
  • un kinésithérapeute réalise, en aveugle, les 2 évaluations initiales et les 4 visites de suivi pour toutes les patientes.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : incidence d’OLS à 1 an
  • diagnostic cliniquement significatif si différence maximale de la circonférence des bras en 2 points adjacents ≥ 2 cm
  • modèle de hasards proportionnels de Cox.

 

Résultats

  • à un an, 116 femmes (1 exclue dans le groupe kiné, 3 dans le groupe contrôle)     
  • critère de jugement primaire :
    • 16% (n=18) d’oedème lymphatique secondaire ; différence significative groupe contrôle (25% (n=14)) versus groupe intervention (7% (n=4)) (p=0,01 pour la différence)
    • rapport de hasards kinésithérapie précoce versus contrôle : 0,26 (intervalle de confiance à 95% est souvent choisi. Ceci signifie que, si l’enquête ou étude est reproduite 100 fois dans la même population avec des échantillons différents, dans 95 des cas la valeur trouvée se situera dans l’intervalle de confiance donné. Cela s’appelle un intervalle de confiance à 95%. L’intervalle de confiance nous renseigne sur la fiabilité des valeurs trouvées dans l’étude. Les limites inférieures et supérieures de l’intervalle de confiance sont appelées marges de fiabilité ou limites de confiance. Au moins les valeurs extrêmes sont éloignées, au plus l’intervalle de confiance est étroit et au plus l’effet observé est un reflet fiable de l’effet réel. L’intervalle de confiance dépend de la variabilité (exprimée par l’écart type) et de la taille de l’échantillon (le nombre de personnes dans l’étude). Plus l’échantillon est numériquement important, plus l’intervalle de confiance est étroit.">IC à 95% de 0,09 à 0,79) (p=0,01).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une kinésithérapie précoce peut être une intervention efficace dans la prévention d’un oedème lymphatique secondaire chez des femmes pendant au moins un an post chirurgie pour cancer du sein incluant un curage des ganglions axillaires.

 

Financement 

The Health Institute Carlos III of the Spanish Health Ministry.

 

Conflits d’intérêt 

Aucun n’est déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La présentation de l’étude est détaillée, la méthodologie et les outils de mesure clairement expliqués. La randomisation est faite de façon satisfaisante. Il n’y a pas de double aveugle (impossible) mais l’évaluation est faite en aveugle. L’unicentricité de l’étude peut en limiter l’extrapolabilité.

En fonction de la taille de l’échantillon et des 3% de sorties d’étude, les auteurs ont calculé une puissance de 70% pour détecter une différence de 20% de l’incidence d’oedème lymphatique entre les groupes, ce qui suppose une incidence d’OLS (sur base d’études précédentes) de 30% à 1 an dans le groupe contrôle. L’incidence supposée n’est pas atteinte. Les auteurs utilisent un critère de mesure d’OLS (≥ 2 cm de différence de circonférence de bras) validé dans certaines études (3,4), mais critiqué par d’autres auteurs qui estiment qu’une variation de volume de 10% est une définition plus stricte. La possibilité d’erreurs de mesure semble plus grande avec le critère de cette étude-ci, comme le reconnaissent les auteurs.

Les kinésithérapeutes (1 attribué à chacun des groupes intervention) bénéficient d’une expérience de > 5 ans en traitement de maladies vasculaires incluant le drainage lymphatique, ce qui pose aussi la question de l’extrapolabilité des résultats.

 

Interprétation des résultats

L’œdème lymphatique se développant de 6 à 12 mois en postopératoire (5), avec augmentation nette et progressive de l’incidence à partir de 10 mois dans le groupe contrôle de l’étude de Lacomba, une durée de suivi plus longue aurait été intéressante (6), même si les résultats suggèrent un effet protecteur de la kinésithérapie précoce se maintenant à long terme.

L’œdème lymphatique apparaît plus précocement dans le groupe contrôle versus groupe intervention. Si les caractéristiques initiales paraissent semblables dans les deux groupes (âge, type de chirurgie (42% de quadrantectomie), nombre de ganglions prélevés (moyenne de 14), nombre de jours de drainage), des différences notables ultérieures nous semblent importantes à signaler. Les 18 patientes souffrant d’OLS ont présenté une complication postopératoire. Douze des 18 patientes souffrant de lymphoedème (48% dans le groupe contrôle versus 43% dans le groupe kinésithérapie précoce) ont développé durant les 2e et 3e semaines post chirurgie, un axillary web syndrome (AWS), une complication peu étudiée, sans lien prouvé d’après les auteurs, entre celle-ci et l’apparition d’un œdème lymphatique. Dans l’hypothèse d’une lésion du système lymphatique, un drainage manuel lymphatique a pu aider à la réabsorption (le protocole de kinésithérapie étant, par ailleurs, intensifié au niveau du drainage manuel dès l’apparition d’un AWS, dans le groupe kinésithérapie précoce). Plus de patientes du groupe contrôle versus groupe kinésithérapie précoce subissent (dans les 4 mois postopératoires) une radiothérapie en traitement adjuvant (86 versus 75%). Il n’y a pas d’analyse statistique ; les auteurs mentionnent que les caractéristiques sont les mêmes dans les 2 groupes. Armer et coll. mentionnent déjà en 2009 une incidence de lymphoedème chez près de 60% des patientes subissant un prélèvement de ganglions axillaires et une radiothérapie (7). Douze des 18 patientes présentant un OLS ont un IMC > 25. L’IMC moyen étant de 27,9 (groupe intervention) vs 26,2 (contrôle), les auteurs réalisent un ajustement pour l‘IMC sans modification significative des résultats.

Durant les 3 semaines de traitement, les patientes du groupe intervention réalisent également quotidiennement à domicile des exercices scapulaires et de stretching. Plusieurs études montrent l’efficacité d’exercices de mobilité et de stretching sur la mobilité de l’épaule et la capacité fonctionnelle sans effets indésirables mais l’absence d’efficacité en termes d’apparition d’OLS (critère secondaire) (8). Une RCT (2) (65 patientes) a montré l’intérêt en prévention d’exercices associés à un programme éducatif en termes d’incidence d’OLS à 2 ans post chirurgie (critère primaire). Lacomba et coll. associant un drainage manuel aux exercices obtiennent des résultats supérieurs à 1 an. Un diagnostic et traitement précoces des complications vasculaires postopératoires pourraient se révéler efficaces.

Une synthèse méthodique (9) de très bonne qualité évaluant les traitements conservateurs d’OLS du bras après traitement du cancer du sein, montre l’efficacité de tous les traitements en terme d’amélioration des symptômes subjectifs au niveau du bras et de qualité de vie avec des réductions de volume plus importantes pour les traitements les plus intensifs pratiqués par un professionnel tels un traitement physique complexe, le drainage lymphatique manuel, le garrot pneumatique et le traitement par laser doux ainsi que des réductions moindres pour les traitements effectués par la patiente elle-même tels un vêtement compressif, des exercices et l’élévation du membre. Les auteurs concluent en la nécessité de réaliser des études cliniques de bonne qualité, à large échelle dans ce domaine.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude semble montrer une efficacité d’une kinésithérapie précoce (incluant un drainage lymphatique manuel) versus programme éducatif dans la prévention d’un oedème lymphatique pendant au moins un an post chirurgie pour cancer du sein incluant un curage des ganglions lymphatiques axillaires. Les résultats de cette 1ère étude associant un drainage lymphatique aux exercices en traitement précoce demandent confirmation.

 

Pour la pratique

La première étape du traitement de l’œdème lymphatique consiste en un traitement décongestionnant complexe. Un pansement multi-couches visant la réduction de volume est à considérer comme un 1er choix avant un vêtement compressif (8). Des conseils de prévention d’infection ou traumatisme pouvant causer ou aggraver un œdème lymphatique doivent être donnés (8). Les facteurs sous-jacents pouvant être traités sont à évaluer avant de débuter un programme de traitement d’oedème lymphatique.

La kinésithérapie de mobilisation après un curage axillaire doit être recommandée (Niveau de preuve GRADE 1A) (10).

Cette étude montre l’intérêt d’un traitement précoce par drainage lymphatique pour diminuer l’incidence d’œdème lymphatique.

 

Références

  1. Johansson K, Ohlsson K. Factors associated with the development of arm lymphedema following breast cancer treatment: a match pair case-control study. Lymphology 2002;35:59-71.
  2. Box R, Reul-Hirche H, Bullock-Saxton J, Furnival C. Physiotherapy after breast cancer surgery: results of a randomised controlled study to minimise lymphedema. Br Cancer Res Treat 2002;75:51-64.
  3. Taylor R, Jayasingue U, Koelmeyer L, et al. Reliability and validity of arm volume measurements for assessment of lymphoedema. Phys Ther 2006;86:205-14.
  4. Torres M, Yuste MJ, Prieto D. Estudio de fiabilidad y reproducibilidad de las medidas cirtométricas en miembro superior e inferior sanos. Cuest fisioter 2010;39 (in press).
  5. Stout Gergich N, Pfalzer L, McGarvey C, et al. Preoperative assessment enables the early diagnosis and successful treatment of lymphedema. Cancer 2008;112:2809-18.
  6. Armer JM, Stewart BR. A comparison of four diagnostic criteria for lymphedema in a post-breast cancer population. Lymphat Res Biol 2005;3:208-17.
  7. Armer JM, Stewart BR, Shock RP. 30-month post-breast cancer treatment lymphoedema. J Lymphoedema 2009;4:14-8.
  8. National Institute for Health and Clinical Excellence. Advanced breast cancer - Diagnosis and treatment. NICE Clinical guideline 81, London 2009.
  9. Moseley AL, Carati CJ, Piller NB. A systematic review of common conservative therapies for arm lymphoedema secondary to breast cancer treatment. Ann Oncol. 2007;18:639-46.
  10. Cardoso F, Stordeur S, Vlayen J, et al. Centre fédéral d’expertise des soins de santé 2010. Soutien scientifique au Collège d’Oncologie : mise à jour des recommandations de bonne pratique pour la prise en charge du cancer du sein. KCE reports 143B.
Kinésithérapie précoce en prévention de l’œdème lymphatique après chirurgie du cancer du sein ?

Auteurs

Vanwelde C.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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