Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est la meilleure façon de mesurer la pression artérielle?



Minerva 2004 Volume 3 Numéro 7 Page 105 - 107

Professions de santé


Analyse de
Little P, Barnett J, Barnsley L et al. Comparison of agreement between different measures of blood pressure in primary care and daytime ambulatory blood pressure. BMJ 2002;325:254-9.


Question clinique
Parmi les alternatives possibles pour la mesure de la pression artérielle ambulatoire, laquelle peut le mieux prédire l’efficacité du traitement et les complications?


Conclusion
Cette étude conforte les guides de pratiques récents, qui recommandent que le médecin généraliste ne pose le diagnostic d’hypertension qu’après confirmation par des mesures de tension bien effectuées à domicile par le patient lui-même.


 

Résumé

Contexte

Des études ont montré que la mesure ambulatoire de la pression artérielle présage au mieux des lésions des organes cibles et des accidents cardiovasculaires. La majorité de ces études était cependant effectuée à l’hôpital. La mesure ambulatoire de la pression artérielle n’a pas non plus été comparée aux alternatives (automesures, mesures à domicile) en pratique de médecine générale.

Population étudiée

Au total, 200 patients hypertendus ont été inclus dans l’étude. Parmi eux, 96 nouveaux hypertendus qui, sur base de trois mesures conventionnelles, présentaient une pression artérielle systolique >140 mm Hg ou une pression artérielle diastolique >90 mm Hg. Chez les 104 patients traités pour hypertension, une pression artérielle >140/90 mm Hg était mesurée. Parmi les participants, il y avait 54% de femmes et 33% de personnes âgées de plus de 65 ans.

Protocole d’étude

Les huit médecins et leurs trois assistants (répartis entre trois pratiques) ont mesuré la pression artérielle de cinq manières différentes, standardisées:

1.   L’infirmière expérimentée effectuait trois mesures de la pression artérielle avec deux appareils différents (un appareil à colonne de mercure et un appareil oscillométrique) lors de deux visites différentes des patients.

2.   Le patient mesurait luim-ême sa pression artérielle dans une pièce calme du bâtiment médical, à trois reprises, à l’aide d’un appareil oscillométrique.

3.   Un monitoring tensionnel ambulatoire de 24 heures était effectué.

4.   Le patient mesurait, à son domicile, sa pression quatre fois par jour, avec un appareil oscillométrique, pendant au moins 15 jours d’affilée.

5.   Le médecin mesurait la pression artérielle avec un appareil à colonne de mercure, trois fois, lors d’une consultation.

Mesure des résultats

Diverses techniques d’analyse ont été utilisées pour comparer les différentes mesures de la pression artérielle avec la mesure ambulatoire de la pression artérielle: la différence moyenne, le facteur de corrélation (diagrammes de disper sion et de Bland-Altman), sensibilité d’un test est la proportion de patients réellement malades dans la population qui présente un résultat positif pour le test utilisé (par rapport à l’ensemble des personnes malades). Un test ayant une sensibilité élevée détecte un nombre élevé d’individus véritablement malades, donc peu de faux négatifs. Sensibilité = a / a + c">la sensibilité, les spécificité d’un test est la proportion de personnes qui n’ont pas la maladie dans une population et qui présentent un résultat négatif pour le test utilisé (par rapport à l’ensemble des personnes qui n’ont pas la maladie). Un test ayant une spécificité élevée donne peu de faux positifs. Spécificité = d / (b + d)">la spécificité, rapport de vraisemblance positif permet d’estimer dans quelle mesure la présence d’une maladie chez un patient est plus plausible après un résultat de test positif. On peut également parler de la force probante d'un résultat de test positif. C’est la relation entre la probabilité d’un test positif chez les malades et chez les non-malades. LR+ = sensibilité / (1 – spécificité). Ce nombre est plus grand que 1. Un test diagnostique positif confirme d’autant plus le diagnostic que le LR+ tend vers l’infini.">rapports de vraisemblance positifs et rapport de vraisemblance négatif permet d’estimer dans quelle mesure une maladie chez un patient est moins plausible après un résultat de test négatif. C’est la relation entre la probabilité d’un test négatif chez les malades et chez les non-malades. LR- = (1 – sensibilité) / spécificité. Ce nombre est plus petit que 1. Un test diagnostique informe d’autant plus que le LR- se rapproche de 0.">négatifs pour mettre en évidence l’hypertension et les seuils de traitement.

Résultats

Pour six patients, les données de mesure de pression artérielle ambulatoire ne sont pas disponibles. Toutes les mesures ont été effectuées chez 173 patients.

En moyenne, la pression artérielle systolique mesurée par le médecin est significativement plus élevée (18,9 mm Hg; IC à 95% de 10,1 à 21,7) que les mesures ambulatoires de la pression artérielle. En ce qui concerne le groupe «hypertension insuffisamment traitée», cette différence s’élève même à 21,4 mm Hg (IC à 95% de 17,3 à 25,4). C’est également le cas pour la pression artérielle diastolique (11,4 mm Hg; IC à 95% de 9,7 à 13,0 pour les mesures effectuées par le médecin généraliste). Les mesures répétées par les infirmières, de même que les mesures effectuées par les patients, dans le bâtiment des consultations ou à leur domicile, sont mieux corrélées avec le monitoring ambulatoire (voir tableau). Pour la plupart des méthodes, la différence, par rapport à la mesure ambulatoire de la pression artérielle, était plus grande pour les pressions artérielles plus élevées (augmentation de la corrélation sur le diagramme de Bland-Altman). La majorité des méthodes est suffisamment sensible pour mettre une pression artérielle élevée (en moyenne >75% pour la pression artérielle systolique) en évidence. La spécificité de la mesure conventionnelle des pressions artérielles systoliques et diastoliques par les médecins généralistes est très basse. Toutes les autres méthodes de mesure ont une meilleure spécificité pour dépister une hausse de la pression artérielle.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que «l’effet blouse blanche» n’est pas un artéfact de l’étude mais constitue un élément important pour le diagnostic et le suivi de l’hypertension. Si le monitoring tensionnel ambulatoire n’est pas disponible, les données de pression artérielle issues de mesures répétées effectuées par l’infirmière ou le patient lui-même sont précieuses pour débuter ou ajuster un traitement antihypertenseur.

Financement

L’étude a été financée par le NHS Régional Research and Development et HOPE. PL a été sponsorisé par le Medical Research Council.

Conflits d’intérêt

Aucun. 

 

Discussion

Commentaires sur la méthodologie

Cette étude est multicentrique, transversale, avec une population qui n’est pas constituée de manière aléatoire. Un biais de sélection n’est donc pas exclu (par exemple, les personnes motivées sont principalement incluses). Il n’y a pas de tableau reprenant les caractéristiques des sujets étudiés. Un problème plus important encore, est la succession immuable des mesures de la tension artérielle: premièrement, les mesures par l’infirmière, immédiatement suivies par les mesures effectuées par le patient dans le même bâtiment. En sachant qu’il est bien connu qu’une mesure répétée de la pression entraîne une baisse de celle-ci, il aurait été préférable, dans une étude comparative, d’effectuer les différentes méthodes de mesure de manière aléatoire. Cette limite explique peut-être en partie les résultats étonnamment bons des mesures de pression artérielle effectuées par les patients eux-mêmes dans les locaux de la pratique. La spécificité de ces mesures est la plus élevée de toutes (59,7% pour la systolique et 52,6% pour la pression diastolique).

Les auteurs utilisent, de manière appropriée, un diagramme de Bland-Altman pour présenter clairement les différences entre les méthodes de mesure, mais les créateurs de cette méthode d’analyse élégante ont eux-mêmes donné l’avertissement que leur technique n’est pas destinée à calculer la relation entre d’éventuelles différences 4. Cette erreur fréquente est également reproduite ici. Quand on veut calculer les corrélations entre d’éventuelles différences avec d’autres variables, il faut utiliser de préférence un classique diagramme de dispersion. Enfin, nous trouvons les auteurs quelque peu téméraires: étudier cinq méthodes de mesure de la pression artérielle différentes dans un seul protocole est sans doute vouloir trop en faire. Comment préserver l’exactitude de l’appareillage et la standardisation d’un protocole aussi large?

Place et importance de cette étude

Que les chiffres donnés par une mesure de la pression artérielle à domicile, chez les patients hypertendus, soient plus bas que ceux obtenus lors d’une mesure conventionnelle du médecin, est un fait connu depuis la publi cation historique de Ayman et Golshine en 1940 2. Depuis lors, il a été mis en évidence que les automesures de la pression artérielle sont mieux corrélées avec les lésions des organes cibles que les mesures cliniques, surtout si ces dernières ne sont pas suffisamment standardisées. En outre, les mesures à domicile présentent une meilleure valeur prédictive de la mortalité cardiovasculaire et générale et d’accident vasculaire cérébral. Pour cette dernière pathologie, aucune différence avec la valeur prédictive du monitoring tensionnel ambulatoire automatique n’existe 3. La mise en évidence d’une bonne corrélation entre les mesures à domicile et les données de mortalité apporte un complément d’argument à la valeur scientifique de la méthode de mesure, mais la recherche d’une implantation de cette méthode alternative en première ligne est plutôt pauvre 4. C’est un apport supplémentaire de la présente étude.

Conclusions

Les résultats de cette étude correspondent aux données connues de la littérature:

-  l’hypertension de la blouse blanche est également particulièrement présente en pratique de médecine générale, soit chez environ 25% des patients hypertendus 5;

-  la spécificité des mesures conventionnelles est mauvaise, ce qui doit inciter les généralistes à contrôler la mesure de la pression artérielle par une autre méthode telle que la mesure au domicile par le patient ou par un de ses proches. Dans cette étude, la mesure à domicile atteint une spécificité de 60% pour la systolique et de 53% pour la diastolique, mais dans d’autres études, elle atteint 93% pour la pression artérielle systolique. Cette méthode semble donc parfaitement adéquate comme méthode de dépistage 6;

-  les données concernant la mesure de la pression artérielle par une infirmière et par le patient au cabinet médical sont intéressantes. La pertinence clinique dans le cadre des soins de santé belges en est cependant limitée. En outre, ces méthodes sont encore scientifiquement insuffisamment étayées.

 

Conclusion

Cette étude conforte les guides de pratiques récents 7-9, qui recommandent que le médecin généraliste ne pose le diagnostic d’hypertension qu’après confirmation par des mesures de tension bien effectuées à domicile par le patient lui-même 8.

 

Références

  1. Bland MJ, Altman DG. Statistical methods for assessing agreement between two methods of clinical measurement. Lancet 1986;I:307-10.
  2. Ayman AP, Goldshine AD. Blood pressure determinations by patients with essential hypertension. The difference between clinic and home readings before treatment. Am J Med Sci 1940;200:465-74.
  3. Fagard R, Staessen J, Thijs L. Prediction of cardiac structure and function by repeated clinic and ambulatory blood pressure. Hypertension 1977;29:22-9.
  4. Ohkubo T, Imai Y, Tsuji I et al. Home blood pressure measurement has a stronger predictive power for mortality than does screening blood pressure: a population-based observation in Ohasama, Japan. J Hypertens 1998;16:871-997.
  5. De Cort P. ‘ Wittejaseffect’ en ‘wittejashypertensie’: prevalentie en determinanten. In: Vergelijkende studie van de bloeddruk, verkregen met verschillende methoden bij personen boven de 60 jaar. (Doctoraatsthesis) Leuven: KUL, 1998.
  6. Beltman F, Van Der Meer K, Fennema M. De diagnostiek van wittejashypertensie door middel van thuisbloeddrukmeting. Huisarts Wet 2000;43:155-8.
  7. Stergiou GS, Skleva II, Zourbaki AS et al. Which is the best strategy to diagnose hypertenion: based on home, ambulatory or clinic blood pressure measurements. Am J Hypertens 1998;11:65A.
  8. De Cort P, Philips H, Goovaerts F, Van Royen P. WVVH Aanbeveling goede medische praktijkvoering. Hypertensie. Huisarts Nu 2003;32:387-411.
  9. O’Brien E, Asmar R, Beilin L et al. On behalf of the European Society of Hypertension Working Group on Blood Pressure Monitoring. European Society of Hypertension recommendations for conventional, ambulatory and home blood pressure measurement. J Hypertens 2003:21:821-48.
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