Revue d'Evidence-Based Medicine



Le traitement oral du diabète de type 2 en question(s)



Minerva 2013 Volume 12 Numéro 3 Page 27 - 27

Professions de santé


 

 

Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone


 

La littérature EBM (Médecine Factuelle) la plus récente est-elle en train de réorganiser le traitement oral du diabète de type 2 ? La connaissance que nous pensons avoir de l’utilisation de la metformine est mise en cause par une récente méta-analyse (1). De plus, dans le « consensus statement » publié conjointement par les deux organismes majeurs en diabétologie (EASD-européen et ADA-nord-américain), les experts, s’appuyant sur l’idée EBM que le patient est au centre de la décision de soins, laissent à celui-ci la décision du choix thérapeutique (2).

Le présent éditorial vise à replacer le traitement oral du diabète de type 2 dans une perspective rationnelle.

Tous – notre formation classique nous y contraint inconsciemment – nous pensons avoir du diabète une vision claire : caractérisé par une hyperglycémie, dû à un déficit (absolu ou relatif) de la sécrétion d’insuline, il entraîne à long terme, s’il n’est pas traité, des complications au niveau des petits vaisseaux (microangiopathie) et des gros vaisseaux (macroangiopathie) ; la causalité de la glycémie moyenne dans ces complications est prouvée (3). Cette dernière - et extraordinaire - étude utilise comme marqueur de la qualité du traitement l’hémoglobine glycosylée (HbA1c). En conséquence, le principe du traitement du diabète (lire : l’hyperglycémie) est simple : tout moyen qui contrôle la glycémie moyenne (lire : HbA1c) sans effets secondaires insupportables est bon. Et bien heureusement, de nouvelles classes médicamenteuses sont mises à notre disposition. Soit.

 

Analysons cela pas-à-pas.

La perception de la causalité repose sur des fréquences d’évènements observés et liés entre eux, une argumentation solide (dont une éventuelle expérimentation) venant en clé de voûte (4).La causalité de l’hyperglycémie dans la morbidité du diabète de type 1 est forte, surtout pour la microangiopathie ; cela n’est absolument pas le cas pour le diabète de type 2, ou une multicausalité doit être comprise (5,6).

Une manière pour un clinicien de quantifier l’impact clinique réel de cette relation causale est de chiffrer le « nombre de sujets à traiter » (NST) (7), de l’ordre de 15 pour la rétinopathie du type 1 ; le temps doit toujours être spécifié : 6 ans et demi ici. En comparaison, le seul essai de qualité dans le type 2 pour la microangiopathie (8) nous donne un NST de 40 pour un sulfamidé (le glibenclamide) sur 10 ans. Gardons en mémoire le NNN, indice conceptuellement proche du NST, mais pour les effets indésirables (7).

Le second problème majeur d’interprétation des essais publiés est le problème des « surrogate end-points » ou effecteurs-substituts : remplacer un décompte d’évènements cliniques pertinents (par essence dichotomiques) par une valeur de laboratoire (l’HbA1c) continue, supposée intermédiaire dans la chaîne causale, est un pari risqué lorsque la chaîne causale testée est l’action d’un médicament (9). Ce pari est risqué au point d’observer que, sous intensification du traitement hypoglycémique visant une cible d’HbA1c basse chez les patients de type 2, on observe une surmortalité cardiovasculaire (10) (NNN de 100 en 3 ans et demi, étude stoppée, bien entendu).

Un troisième problème rencontré dans les essais publiés est l’utilisation de critères de jugement « composites » (11) ; additionner dans le décompte d’évènements cliniques microangiopathies de différents types et évènements macrovasculaires eux aussi différents (accidents vasculaires et infarctus myocardiques, par exemple) rend l’interprétation des résultats extrêmement douteuse.

Dans ces conditions, outre l’essai cité plus haut (8), retenons que la metformine reste la médication de choix pour le patient diabétique type 2 en surpoids (12) (NST de 20 sur 10 ans pour la macroangiopathie) ; un sulfamidé (le gliclazide) exprime un NST de 70 sur 5 ans pour la microangiopathie (13).

Mais alors, que penser des articles cités en introduction (1,2) ? Une méta-analyse peut être la meilleure et la pire des choses : il faut bien entendu, pour se trouver sur le premier versant du jugement, que chaque étude incluse dans la méta-analyse soit de qualité ; dans le cas présent, sur 15 études retenues par les auteurs, seules 5 ont un effecteur cliniquement pertinent. En ce qui concerne une prise de position (« consensus statement »), même issue d’organismes prestigieux, n’oublions pas qu’il s’agit d’avis d’experts (le plus bas niveau de preuve en médecine factuelle) ; de plus, placer le patient en position de décideur alors que les preuves sont de qualité médiocre, voire inexistantes et que les impacts économiques peuvent être énormes selon le choix des médications, nous pose problème. Une fine analyse des enjeux sous-jacents, y compris de possibles conflits d’intérêts, a été faite (14).

Le traitement oral du diabète de type 2 fait du patient (la victime) et du clinicien (prisonnier de son empathie pour la victime) les acteurs d’un drame qu’il convient de ne pas transformer en théâtre tragique au sens classique du terme, lieu où s’expriment les passions humaines. Nous pensons que la médecine factuelle peut nous aider grandement.

 

 

Michel Vanhaeverbeek et Thibaut Richard sont membres du Gerhpac (Groupe d’épistémologie appliquée et de clinique rationnelle des hôpitaux publics du Pays de Charleroi).

 

Références

  1. Boussageon R, Supper I, Bejan-Angoulvant T, et al. Reappraisal of metformin efficacy in the treatment of type 2 diabetes: a meta-analysis of randomised controlled trials. PLoS Med 2012;9:e1001204.
  2. Inzucchi SE, Bergenstal RM, Buse JB, et al; American Diabetes Association (ADA); European Association for the Study of Diabetes (EASD). Management of hyperglycemia in type 2 diabetes: a patient-centered approach: position statement of the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetes Care 2012;35:1364-79.
  3. The effect of intensive treatment of diabetes on the development and progression of long-term complications in insulin-dependent diabetes mellitus. The Diabetes Control and Complications Trial Research Group. N Engl J Med 1993;329:977-86.
  4. Sloman SA. Causal models : how people think about the world and its alternatives. Oxford; New York: Oxford University Press; 2005.
  5. Kirk EP, Klein S. Pathogenesis and pathophysiology of the cardiometabolic syndrome. J Clin Hypertens (Greenwich) 2009;11:761-5.
  6. Garcia C, Feve B, Ferre P, et al. Diabetes and inflammation: fundamental aspects and clinical implications. Diabetes Metab 2010;36:327-38.
  7. Richard T, Vanhaeverbeek M, Van Meerhaeghe A. [The number needed to treat (NNT)]. Rev Med Brux 2011;32:453-8.
  8. Intensive blood-glucose control with sulphonylureas or insulin compared with conventional treatment and risk of complications in patients with type 2 diabetes (UKPDS 33). UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) Group. Lancet 1998;352:837-53.
  9. Yudkin JS, Lipska KJ, Montori VM. The idolatry of the surrogate. BMJ 2011;343:d7995.
  10. Gerstein HC, Miller ME, Genuth S, et al. Long-term effects of intensive glucose lowering on cardiovascular outcomes. N Engl J Med 2011;364:818-28.
  11. Richard T, Brohee D, Van Meerhaeghe A, Vanhaeverbeek M. Oral pharmacologic treatment of type 2 diabetes mellitus. Ann Intern Med 2012;157:76; author reply -7.
  12. Effect of intensive blood-glucose control with metformin on complications in overweight patients with type 2 diabetes (UKPDS 34). UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) Group. Lancet 1998;352:854-65.
  13. Patel A, MacMahon S, Chalmers J, et al. Intensive blood glucose control and vascular outcomes in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;358:2560-72.
  14. Aron D, Pogach L. Transparency standards for diabetes performance measures. JAMA 2009;301:210-2.
Le traitement oral du diabète de type 2 en question(s)

Auteurs

Richard T.
endocrinologue, Service de Médecine Interne CHU de Charleroi-Chimay
COI :

Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI :

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