Analyse


La consommation de viande rouge (transformée) accroît-elle le risque de coronaropathie ?


15 10 2021

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste
Analyse de
Al-Shaar L, Satija A, Wang DD, et al. Red meat intake and risk of coronary heart disease among US men: prospective cohort study. BMJ 2020;371:m4141. DOI: 10.1136/bmj.m4141


Conclusion
Cette étude de cohorte prospective, qui a été correctement menée, utilisant des données cumulatives de questionnaires répétés sur une période de 30 ans, montre que la consommation de viande rouge transformée et non transformée est corrélée à un risque plus élevé de coronaropathie et de coronaropathie fatale. L’étude suggère également que le remplacement de la viande rouge par des noix, des légumineuses, du soja, une combinaison de sources alimentaires à base de plantes, de produits laitiers et de céréales complètes peut réduire le risque de coronaropathie.



 

Une vaste étude de cohorte dans laquelle plus de 100000 personnes ont été suivies pendant plus de 30 ans a permis de montrer que la consommation de protéines animales était associée à une mortalité cardiovasculaire accrue tandis que la consommation de protéines végétales était associée à une mortalité globale plus faible. On ne retrouve toutefois pas de tels résultats chez les personnes qui ont un mode de vie sain. De plus, la pertinence clinique de ces associations a été remise en question (1,2).

 

Une récente étude de cohorte prospective a examiné la corrélation entre la consommation de viande rouge et le risque de coronaropathie (3). La population de l’étude était composée de 43272 professionnels de santé américains de sexe masculin âgés en moyenne de 53 ± 9,5 ans, avec un BMI de 25,2 ± 3,3 et sans maladie cardiovasculaire ni cancer. Ils ont été suivis pendant 30 ans (1986-2016) au moyen de différents questionnaires. Au début de l’étude et tous les deux ans par la suite, il leur a été demandé de remplir un questionnaire évaluant leurs antécédents médicaux, leur mode de vie et leur alimentation : antécédents familiaux de coronaropathie, BMI, tabagisme, consommation d’aspirine, origine ethnique, statut professionnel, profession, résidence, état civil, activité physique, apport énergétique total, consommation de multivitamines. En outre, un questionnaire de fréquence alimentaire a été administré au début de l’étude et tous les quatre ans par la suite pour estimer la qualité générale de l’alimentation. Au début de l’étude, la consommation quotidienne médiane de viande rouge (totale) était de 0,85 portion standard (0,21 et 1,93 pour le premier et le cinquième quintiles), celle de viande rouge non transformée (y compris hamburger, steak, porc et agneau) était de 0,50 portion standard (0,14 et 1,29 pour les premier et cinquième quintiles) et celle de viandes rouges transformées (y compris hot-dog, bacon, salami) était de 0,21 portion standard (0,00 et 0,93 pour les premier et cinquième quintiles).

Les données cumulatives des différents questionnaires ont été traitées dans un modèle à risques proportionnels de Cox avec correction pour tenir compte de l’âge, des facteurs de risque cardiovasculaire non liés à l’alimentation (tels que le BMI, le degré d’activité physique, le tabagisme), de l’apport énergétique total et d’autres variables alimentaires importantes (telles que la consommation de poulet, d’œufs, de poisson, de légumes, de fruits et de noix). On a ainsi pu constater qu’une consommation plus importante de viande rouge (totale), de viande rouge non transformée et de viande transformée était associée de manière positive à un risque plus élevé de coronaropathie (HR respectivement de 1,28 (avec IC à 95% de 1,14 à 1,45), de 1,18 (avec IC à 95% de 1,05 à 1,32) et de 1,19 (avec IC à 95% de 1,07 à 1,33)). Pour chaque augmentation d’une portion par jour de viande rouge, le risque de coronaropathie augmentait de 12%. La corrélation entre la consommation de viande rouge et la coronaropathie fatale était légèrement plus forte (HR de 1,38 (avec IC à 95% de 1,15 à 1,66) pour la viande rouge (totale) ; 1,29 (avec IC à 95% de 1, 08 à 1,53) pour la viande rouge non transformée ; 1,21 (avec IC à 95% de 1,02 à 1,43) pour la viande rouge transformée). En utilisant le même modèle d’analyse, il a également été possible de montrer que le remplacement d’une portion quotidienne de viande rouge (totale) par une portion de noix (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,82 à 0,96), de légumineuses (HR de 0,82 avec IC à 95% de 0,70 à 0,96), de soja (HR de 0,67 avec IC à 95% de 0,48 à 0,93), une combinaison de sources de protéines végétales (HR de 0,86 avec IC à 95% de 0,8 à 0,93), de produits laitiers (tant riches en matières grasses (HR de 0,88 avec IC à 95% de 0,82 à 0,94) qu’à faible teneur en matières grasses (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,84 à 0,95), de céréales complètes (HR de 0,62 avec IC à 95% de 0,53 à 0,73) et d’œufs (HR de 0,90 avec IC à 95% de 0,81 à 1,01) était en corrélation avec un risque significativement plus faible de coronaropathie. En revanche, le remplacement d’une portion de viande rouge (totale, non transformée et transformée) par jour par une portion de poisson ou de volaille n’était pas corrélé à un risque plus faible de coronaropathie. La raison expliquant cette observation pourrait être que cette étude ne tenait pas compte de la méthode de préparation du poisson et de la volaille (par exemple frits ou bouillis).

La force de cette étude de cohorte prospective réside dans le fait que les différents questionnaires ont été administrés de manière répétée sur une période de 30 ans, ce qui permettait d’absorber les fluctuations temporaires de la consommation individuelle des différents produits alimentaires. Les données cumulatives ont été traitées dans un modèle à risques proportionnels de Cox qui a pris en compte de nombreux facteurs de confusion. Malgré cela, il se peut que d’autres facteurs susceptibles d’avoir biaisé les résultats n’aient pas été examinés. Enfin, il faut également souligner que cette étude a été menée auprès de professionnels de santé américains et que, par conséquent, les résultats ne peuvent pas être simplement extrapolés à la population générale belge.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Le récent guide de Domus Medica concernant la gestion du risque cardiovasculaire global (2020) souligne l’importance d’une alimentation saine pour limiter le risque de maladie cardiovasculaire (4). Les recommandations nutritionnelles du Conseil Supérieur de la Santé (2019) pour la population adulte belge axées sur les aliments (5) contiennent des recommandations concrètes concernant (la limitation de) la consommation de viande rouge. Il est conseillé à la population adulte belge de limiter la consommation de viande rouge à 300 grammes par semaine et celle de viande transformée à 30 grammes par semaine, notamment pour prévenir les maladies cardiovasculaires. La viande rouge peut être remplacée par des légumineuses, du poisson, de la volaille, des œufs et d’autres substituts. Il est important de choisir des produits de substitution qui remplacent la viande dans toutes ses propriétés. Le guide américain de l’American College of Cardiology (ACC)/American Heart Association (AHA) (6) préconise également, dans le cadre de la prévention primaire des maladies cardiovasculaires, de recommander aux adultes une alimentation saine, en privilégiant la consommation de légumes, de fruits, de noix, de céréales complètes, de protéines végétales ou animales maigres et de poisson, limitant l’apport en acide gras trans, en viande rouge, en viande rouge transformée, en glucides raffinés et en boissons sucrées.

 

Conclusion

Cette étude de cohorte prospective, qui a été correctement menée, utilisant des données cumulatives de questionnaires répétés sur une période de 30 ans, montre que la consommation de viande rouge transformée et non transformée est corrélée à un risque plus élevé de coronaropathie et de coronaropathie fatale. L’étude suggère également que le remplacement de la viande rouge par des noix, des légumineuses, du soja, une combinaison de sources alimentaires à base de plantes, de produits laitiers et de céréales complètes peut réduire le risque de coronaropathie.

 

 

Références 

  1. Mullie P. La consommation de protéines animales entraîne-t-elle une augmentation de la mortalité ? Minerva bref 15/05/2017.
  2. Song M, Fung TT, Hu FB, et al. Association of animal and plant protein intake with all-cause and cause-specific mortality. JAMA Intern Med 2016;176:1453-63. DOI: 10.1001/jamainternmed.2016.4182
  3. Al-Shaar L, Satija A, Wang DD, et al. Red meat intake and risk of coronary heart disease among US men: prospective cohort study. BMJ 2020;371:m4141. DOI: 10.1136/bmj.m4141
  4. Évaluation du risque cardiovasculaire en première ligne. Ebpracticenet. Domus Medica 2020. (Guideline uniquement disponible en néerlandais.)
  5. Recommandations alimentaires pour la population Belge adulte - 2019. Bruxelles: CSS; 2019. Avis n° 9284.
  6. 2019 ACC/AHA Guideline on the primary prevention of cardiovascular disease: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines. J. Am Coll Cardiol 2019;74:1376-414. DOI: 10.1016/j.jacc.2019.03.009

 




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