Analyse


Quelles sont les interventions susceptibles de prévenir les automutilations chez les enfants et les adolescents ?


18 12 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Witt KG, Hetrick SE, Rajaram G, et al. Interventions for self-harm in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD013667.pub2


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, de 17 études hétérogènes qui présentent souvent un risque élevé de biais montre, avec un niveau de preuve élevé, que la thérapie comportementale dialectique pendant les 12 premiers mois, par rapport à la prise en charge habituelle (améliorée), réduit le risque de récurrence d’automutilation chez les enfants et les adolescents. Aucun effet de la thérapie familiale n’a pu être montré par rapport à la prise en charge habituelle (améliorée), et ce avec un niveau de preuve modéré. D’autres interventions psychologiques spécifiques, y compris la thérapie comportementale individuelle, n’étaient pas meilleures que la prise en charge habituelle (améliorée), mais, en raison d’un manque d’études et du risque élevé de biais dans plusieurs études, nous ne pouvons pas tirer de conclusions définitives à ce sujet.



Minerva a déjà traité de l’étude SHIFT (1,2), une étude randomisée contrôlée pragmatique, menée au Royaume-Uni dans une structure de soins spécialisée, qui n’a pas pu montrer qu’une thérapie familiale standardisée était plus efficace que la prise en charge habituelle pour le traitement des adolescents avec au moins deux épisodes d’automutilation.

 

Une récente synthèse méthodique de la Cochrane a examiné, en plus de la thérapie familiale, les effets d’autres interventions psychosociales ou pharmacologiques chez les enfants et les adolescents (jusqu’à 18 ans) présentant toute forme de comportement d’automutilation (3). Il s’agit ici d’automutilation intentionnelle, comme se couper, se pendre, sauter d’une hauteur, etc., et d’auto-empoisonnement, comme une overdose de drogue ou autre, indépendamment de la motivation ou de l’intention de se suicider.

Trois chercheurs, indépendamment l’un de l’autre, ont sélectionné les articles dans différentes bases de données (dont le registre Cochrane des essais contrôlés sur les troubles mentaux fréquents (Cochrane Common Mental Disorders Specialised Register), le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL), la base de données Cochrane des synthèses méthodiques (Cochrane Database of Systematic Reviews), MEDLINE Ovid, Embase Ovid et PsycINFO Ovid, jusqu’en juillet 2020 et dans des sources complémentaires telles que les abstracts de conférences, les listes de références et des contacts des auteurs et des experts. 17 études randomisées contrôlées comparant une intervention psychosociale spécifique et la prise en charge habituelle (prise en charge standard des enfants et des adolescents en dehors de l’étude) (N = 11), une prise en charge psychiatrique non spécifique (N = 3) ou la prise en charge habituelle améliorée (complétée, par exemple avec une psychoéducation, un entraînement à l’affirmation de soi, des contacts réguliers avec des professionnels de santé, une approche d’évaluation standard) (N = 3) ont été incluses. La population était composée de 2280 jeunes (âge moyen de 14,7 ans (ET 1,5 an) dont 87,6% de sexe féminin et ayant récemment (dans les 6 mois) présenté un épisode d’automutilation avec admission à l’hôpital ou dans un service clinique pour automutilation. Le protocole de l’étude prévoyait aussi une recherche systématique dans la littérature pour trouver des études randomisées contrôlées évaluant l’efficacité des médicaments par rapport à un placebo ou à une autre intervention pharmacologique. Cependant, les chercheurs n’ont pu retenir aucune étude pharmacologique, ce qui pourrait s’expliquer par des doutes sur l’innocuité des médicaments psychotropes chez les enfants et les adolescents. Le principal critère de jugement était le nombre d’épisodes récurrents d’automutilation (connu par les déclarations du patient et les données hospitalières) au cours d’un suivi pouvant aller jusqu’à deux ans après l’intervention. Les critères de jugement secondaires étaient l’observance, la dépression, le désespoir, les capacités fonctionnelles globales, les capacités fonctionnelles sociales, les idées suicidaires et le suicide.

Par rapport à la prise en charge habituelle (améliorée) ou à une psychothérapie non spécifique, la thérapie comportementale dialectique était associée, de manière statistiquement significative, à un nombre réduit d’épisodes récurrents d’automutilation (43% contre 30%; OR de 0,46 avec IC à 95% de 0,26 à 0,82 ; N = 4, n = 270 ; I² = 0% ; GRADE élevé). Cependant, une étude n'a trouvé aucune différence statistiquement significative entre la thérapie comportementale dialectique et la psychothérapie non spécifique après 12 mois. Contrairement à la thérapie cognitivo-comportementale, qui met l’accent sur la modification des schémas de pensée et des comportements (incorrects), la thérapie comportementale dialectique vise à stimuler le développement de compétences grâce auxquelles le patient apprend à reconnaître et accepter les pensées et les émotions sans les juger ni essayer de les changer, de les supprimer ou de les éviter. Il s’agit d’une thérapie intensive avec séances hebdomadaires de thérapie individuelle ou familiale et un soutien téléphonique au besoin. L’effet positif de ce traitement pourrait s’expliquer par une meilleure adaptation de la thérapie aux besoins individuels du patient. Les résultats secondaires ont également montré une amélioration à court terme au niveau de l’observance, de la dépression, du désespoir et des idées suicidaires. Par comparaison avec la prises en charge habituelle, la thérapie cognitivo-comportementale individuelle n’a montré aucune différence statistiquement significative dans les épisodes récurrents d’automutilation (N = 2, n = 51 ; I² = 29% ; GRADE faible en raison du risque élevé de biais de notification dans une étude). De même pour la thérapie familiale, il n’y avait pas de différence entre les épisodes récurrents d’automutilation et la prise en charge habituelle (améliorée) (N = 2, n = 191 ; I² = 0% ; GRADE modéré), et ce n’était pas non plus le cas pour la thérapie basée sur la mentalisation par comparaison avec la prise en charge habituelle (N = 2, n = 85 ; I² = 68% ; GRADE très faible en raison de l’incertitude sur la façon dont l’automutilation a été mesurée dans une étude). Cette dernière thérapie suppose que le comportement inadapté et impulsif découle d’un manque de compréhension de la motivation et de l’émotion de son propre comportement et de celui des autres. On essaie d’y remédier par des séances individuelles hebdomadaires et des séances familiales mensuelles sur une longue période.

Par ailleurs, les auteurs donnent également quelques résultats d’interventions psychologiques dont l’évaluation a eu lieu pendant les interventions plutôt qu’après. Ainsi, il n’y avait pas de preuve d’une diminution des épisodes récurrents d’automutilation avec des entretiens de motivation (visant à supprimer les facteurs limitant la participation aux séances de traitement) pendant un suivi d’une durée de 6 mois (N = 1, n = 63), avec une thérapie de groupe pendant un suivi d’une durée de 6 mois (N = 2, n = 430; I² = 65%) ou de 12 mois (N = 3, n = 490 ; I² = 77%), avec des interventions permettant un contact à distance pendant un suivi d’une durée de 12 mois (N = 1, n = 105) ou avec une approche psychodiagnostique pendant un suivi d’une durée de 12 ou 24 mois (N = 1, n = 69). Les interventions permettant un contact à distance ont pour but de maintenir le contact sur le long terme avec les enfants et les adolescents. Cela peut améliorer les connaissances sur les déclencheurs et les signes avant-coureurs de l’automutilation, fournir des informations sur les comportements d’adaptation alternatifs et offrir un accès à de l’aide. L’approche psychodiagnostique vise à identifier les sources de douleur psychologique et leur rapport avec les comportements problématiques, tels que l’automutilation, et à rechercher un moyen pour briser ce cycle.

Bien que les auteurs tentent de décrire les différentes interventions psychologiques, il reste difficile de les distinguer les unes des autres. Il s’agit souvent d’interventions complexes composées de divers éléments. La plupart des études ne donnent pas une description suffisante de la prise en charge habituelle, et il y a probablement beaucoup de variations entre les études elles-mêmes. Nous devons également tenir compte du fait que, précisément en raison de sa plus grande flexibilité pour adapter le traitement aux besoins du patient, la prise en charge habituelle peut être plus bénéfique que les interventions plus complexes.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le NICE préconise une formation adéquate pour les professionnels de la santé qui entrent en contact avec des personnes qui s’automutilent. Tant en première ligne qu’en deuxième ligne, toutes les personnes qui se présentent pour automutilation doivent passer un dépistage psychosocial après avoir reçu les soins physiques nécessaires. Les facteurs psychologiques, psychiatriques (dépression et comportement suicidaire) et sociaux sous-jacents doivent être examinés pour estimer le risque d’un épisode ultérieur d’automutilation. Sur cette base, un traitement approprié doit être instauré (4). Cela nécessite une politique de soins bien organisée avec une coopération suffisante entre les différents types d’organisations de soins et de soignants qui va au-delà de la coopération ad hoc autour d’un patient individuel (5).

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, qui a été correctement menée d’un point de vue méthodologique, de 17 études hétérogènes qui présentent souvent un risque élevé de biais montre, avec un niveau de preuve élevé, que la thérapie comportementale dialectique pendant les 12 premiers mois, par rapport à la prise en charge habituelle (améliorée), réduit le risque de récurrence d’automutilation chez les enfants et les adolescents. Aucun effet de la thérapie familiale n’a pu être montré par rapport à la prise en charge habituelle (améliorée), et ce avec un niveau de preuve modéré. D’autres interventions psychologiques spécifiques, y compris la thérapie comportementale individuelle, n’étaient pas meilleures que la prise en charge habituelle (améliorée), mais, en raison d’un manque d’études et du risque élevé de biais dans plusieurs études, nous ne pouvons pas tirer de conclusions définitives à ce sujet.

 

 

Références 

  1. Baetens I, Poelman T. Automutilation à l’adolescence : quelle est l’utilité de la thérapie familiale ? MinervaF 2020;19(6):64-8.
  2. Cottrell DJ, Wright-Hughes A, Collinson M, et al. A pragmatic randomised controlled trial and economic evaluation of family therapy versus treatment as usual for young people seen after second or subsequent episodes of self-harm: the Self-Harm Intervention - Family Therapy (SHIFT) trial. Health Technol Assess 2018;22:1-222. DOI: 10.3310/hta22120
  3. Witt KG, Hetrick SE, Rajaram G, et al. Interventions for self-harm in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2021, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD013667.pub2
  4. National Institute for Health and Care Excellence. Self-harm in over 8s: short-term management and prevention of recurrence. NICE Clinical guideline [CG16] Published date: 28 July 2004.
  5. Deboutte D, Smet M, Walraven V, et al. L’urgence psychiatrique pour enfants et adolescents. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2010. KCE Reports 135B. D/2010/10.273/50.

 


Auteurs

Baetens I.
Brussels University Consultation Center (BRUCC); departement psychologie, VUB
COI :

Buelens T.
Universiteit van Amsterdam, Departement Klinische Psychologie
COI :

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