Revue d'Evidence-Based Medicine



Applications digitales sous formes de jeux dans la prise en charge des troubles de la parole chez l'enfant



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 9 Page 213 - 215

Professions de santé

Logopède

Analyse de
Saeedi S, Bouraghi H, Seifpanahi MS, et al. Application of digital games for speech therapy in children : a systematic review of features and challenges. J Healthc Eng;2022:4814945. DOI: 10.1155/2022/4814945


Question clinique
Quelles sont les applications digitales sous forme de jeux disponibles pour les enfants présentant des troubles de la parole ? Quelles sont leurs caractéristiques, leurs impacts sur la parole et les défis identifiés lors de leur mise en œuvre ?


Conclusion
Cette revue systématique de la littérature, méthodologiquement satisfaisante, recense un grand nombre d’applications digitales, dans le cadre d’une prise en charge de la parole. Si l’utilité pratique de cette revue pour le clinicien belge n’est pas évidente, elle met en lumière une intervention intéressante, qui gagnerait à être testée dans notre contexte de soin.


Contexte

Certains enfants font face à des troubles du développement de la parole. En raison des nombreuses conséquences qui peuvent en découler (baisse de l’estime de soi, anxiété, diminution des performances scolaires, et cetera), il est important de prendre ces enfants en charge le plus tôt possible (1). Malheureusement, le contexte actuel ne permet pas à tous ces enfants d’accéder à une prise en charge logopédique, par manque d’accessibilité (2). Dès lors, proposer des exercices à domicile permettrait à certains de combler leurs déficits, de stimuler certaines compétences dans l’attente d’une prise en charge future, ou de poursuivre les exercices de rééducation à domicile, éventuellement de manière plus ludique. Des études ont d’ailleurs démontré que les « jeux sérieux » se montrent efficaces pour améliorer les connaissances et entrainer des compétences variées (3). Récemment, beaucoup d’applications digitales visant à améliorer la parole ont vu le jour (4,5). Elles permettent aux enfants d’apprendre à produire correctement les sons en proposant un feedback. L’étude analysée ici (6) a pour but de fournir une vue d’ensemble des différentes applications digitales sous forme de jeux pour la prise en charge des troubles de la parole chez l’enfant.

 

Résumé

Méthodologie

Revue systématique de la littérature narrative (sans méta-analyse)

Sources consultées 

  • les auteurs ont consulté les bases de données Medline, Scopus, Web of Sciences et IEEE Xplore.

Etudes sélectionnées

  • critères d’inclusion : articles anglophones, résumés de conférences ou d’articles contrôlés par des pairs, qui parlent de jeux digitaux visant à traiter les troubles de la parole, et proposant un feedback aux enfants
  • au total, 27 études menées entre 1988 et 2020 ont été incluses
  • 42 articles ont été exclus pour les raisons suivantes : 9 ne concernent pas les enfants, 15 ciblent une autre pathologie que les troubles de la parole, 7 ne concernent pas les jeux, 9 ne rencontrent pas d’autres critères d’inclusion, 2 sont de faible qualité.

 

Mesure des résultats 

  • aucune méta-analyse n’est réalisée
  • dans cette revue, les auteurs ne s’intéressent pas à des critères en particulier ; il s’agit plutôt d’une synthèse descriptive (voire une revue scope) ; ils listent les différentes applications disponibles, ainsi que leurs particularités et leurs points faibles. 

 

Résultats

  • les différentes études sélectionnées concernent des applications destinées à des enfants âgés de 2 à 14 ans
  • plus de 50% de ces applications sont en anglais, disponibles sur PC (37% sur mobile), mais très peu précisent les phonèmes ciblés
  • il existe 5 niveaux de difficultés ; certaines applications ne proposent que des sons isolés, alors que d’autres proposent des syllabes, des mots, des combinaisons de mots et/ou parfois des phrases
  • plusieurs études sélectionnées concernent les enfants sourds/malentendants ou les autistes (6 et 3 respectivement)
  • la moitié des applications ont été conçues pour être utilisées avec la participation des parents et 10 études précisent qu’un entrainement a été nécessaire
  • les jeux ont montré un effet positif sur la satisfaction, la motivation et l’attention des enfants pendant les exercices d’orthophonie
  • pour ce qui est des obstacles, les auteurs en ont décelés trois principaux : 
    • quelques problèmes avec la reconnaissance vocale
    • des difficultés à gérer les bruits environnants
    • frustration et faible estime de soi ressenties après plusieurs échecs.

 

Conclusion des auteurs 

Les auteurs concluent que les jeux digitaux augmentent la motivation des enfants à suivre la thérapie langagière à domicile. Ces jeux peuvent également être utilisés en séance de logopédie, comme outil de prise en charge. Cependant, pour créer ce genre d’outils, il faut prendre en considération les obstacles qui ont été recensés, et tenter d’y remédier.

 

Financement de l’étude 

Tehran University of Medical Sciences Research Council.

 

Conflit d’intérêts des auteurs 

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie 

Les auteurs ont consulté 4 bases de données (medline, scopus, web of sciences, ieee explore). Tous les articles trouvés ont ensuite été triés à l’aide de critères d’inclusion et d’exclusion, et la qualité de ces études a été évaluée à l’aide de la JBI checklist, par trois auteurs. En cas de désaccord entre les auteurs (4%), une discussion avec un quatrième auteur a permis de trancher. Seules les études de moyenne (4-6 points) et haute qualité (7-9 points) ont été conservées. Cependant, il n’est pas précisé pour quelle raison les auteurs ont décidé de conserver les études de qualité moyenne. Notons qu’il n’y a pas eu de publication du protocole. Fondamentalement, la revue adresse un (trop) grand nombre de questions (les auteurs en formulent 6 de portées très larges). Les études sélectionnées s’étalent sur une large période, allant de 1988 à 2020 et concernent des enfants d’âges très différents (de 2 à 14 ans). De plus, les jeux répertoriés existent en 9 langues et les auteurs n’ont analysé que des études rédigées en anglais. Bien que la qualité des études sélectionnées ait été correctement contrôlée (JBI), les auteurs ne font jamais mention de la qualité scientifique des applications en elle-même. En effet, nous ne savons pas si les créateurs des jeux se sont référés à des données probantes relatives à la prise en charge des troubles de la parole. De plus, il n’y a pas d’informations concernant le type d’approche thérapeutique propre à chaque jeu : par cycle (d’abord les consonnes sourdes, puis les sonores) ? Contraste (une consonne sourde plus sa correspondante sonore) ? Basée sur la complexité (d’abord les plus complexes) ? Méthode distinctive ou basée sur la perception (d’abord travailler la discrimination auditive avant la production) ?

 

Évaluation des résultats de l'étude

Cette revue est uniquement descriptive. De plus, elle ne permet pas de tirer des conclusions pratiques. En effet, si les jeux sont potentiellement motivants et peuvent être utilisés afin d’améliorer le langage, aucune information n’est donnée quant à la façon de les utiliser (fréquence, contexte). De plus, l’efficacité de ces jeux sur la prise en charge n’a pas été évaluée (alors que les auteurs se posent la question en début de revue), et les études n’ont pas été comparées entre-elles. Il aurait été intéressant de savoir à quel point cela se montre efficace auprès de différentes populations (autistes, sourds, mais aussi retards langagiers, troubles articulatoires isolés, syndromes génétiques, et cetera), en comparant par exemple le pourcentage de consonnes correctes (PCC) avant et après la thérapie. Notons également que les jeux recensés ne sont pas disponibles en français ou en néerlandais, ce qui s’avère peu intéressant pour les patients belges. Enfin, les auteurs sont bien conscients de l’importance des feedbacks proposés par les applications. Malheureusement, ceux-ci ne sont qu’auditifs, ce qui risque de ne pas suffire à la plupart des patients. Malgré ces manquements, cette étude reste tout de même intéressante, car elle met en évidence l’utilité que pourraient avoir les applications digitales dans le soutien des prises en charge logopédiques portant sur les troubles de la parole. Il serait d’ailleurs intéressant de créer une application francophone et/ou néerlandophone, qui tiendrait compte des différentes limites mises en évidence par cette revue, et qui se fonderait sur des méthodes scientifiquement validées.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique belge sur les troubles de la parole disponible sur Ebpracticenet n’aborde que les critères de référence vers le logopède, pas les interventions thérapeutiques.  L’ASHA (American Speech Language Hearing Association) (7) ne parle pas des avantages liés à l’utilisation de jeux digitaux dans un contexte de trouble de la parole. Cependant, ce guide de pratique clinique liste un grand nombre de recommandations propres à la prise en charge de ce trouble. Le choix du traitement va dépendre de plusieurs critères, comme l’âge de l’enfant, le type d’erreurs, la sévérité du trouble, et l’impact sur l’intelligibilité de l’enfant (8). Mais quelle que soit la méthode choisie, il est important de fournir au patient des feedbacks qui l’aideront à produire les sons désirés. Parmi les feedbacks possibles :

  • visuels : miroir, gestes, palatographie (fluo sur les points de contact au palais) (9)
  • biologiques : imagerie ultrason (10), outils dans la bouche (11)
  • auditifs : amplifier le son cible (12).

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique de la littérature, méthodologiquement satisfaisante, recense un grand nombre d’applications digitales, dans le cadre d’une prise en charge de la parole. Si l’utilité pratique de cette revue pour le clinicien belge n’est pas évidente, elle met en lumière une intervention intéressante, qui gagnerait à être testée dans notre contexte de soin.

 .

 

 

Références 

  1. Roberts MY. Advances in early communication and language intervention. J Early Intervention 2011;33:298-309. DOI: 10.1177/1053815111429968
  2. Tohidast SA, Mansuri B, Bagheri R, Azimi H. Provision of speech-language pathology services for the treatment of speech and language disorders in children during the COVID-19 pandemic: problems, concerns, and solutions. Int J Pediatr Otorhinolaryngol 2020;138:110262. DOI: 10.1016/j.ijporl.2020.110262
  3. Sipiyaruk K, Gallagher JE, Hatzipanagos S, Reynolds PA. A rapid review of serious games: from healthcare education to dental education. Eur J Dent Educ 2018;22:243-57. DOI: 10.1111/eje.12338
  4. Hair A, Monroe P, Ahmed B, et al. Apraxia world: a speech therapy game for children with speech sound disorders. In IDC ’18: Proceedings of the 17th ACM Conference on Interaction Design and Children 2018:119-31. DOI: 10.1145/3202185.3202733 
  5. Frutos M, Bustos I, Zapirain BG, Zorrilla AM. Computer game to learn and enhance speech problems for children with autism. In Proceedings of the 16th International Conference on Computer Games (CGAMES) 2011. DOI: 10.1109/CGAMES.2011.6000340
  6. Saeedi S, Bouraghi H, Seifpanahi MS, et al. Application of digital games for speech therapy in children : a systematic review of features and challenges. J Healthc Eng;2022:4814945. DOI: 10.1155/2022/4814945
  7. American Speech-Language-Hearing Association (n.d.) Speech Sound Disorders: Articulation and Phonology. (Practice Portal). Retrieved September 11, 2022, from www.asha.org/Practice-Portal/Clinical-Topics/Articulation-and-Phonology/
  8. Williams AL, McLeod S, McCauley RJ. Direct speech production intervention. In Williams AL, McLeod S, McCauley RJ (Eds.), Interventions for speech sound disorders in children. Brookes, 2010:27-39. 
  9. Hitchcock ER, McAllister Byun T, Swartz M, Lazarus R. Efficacy of electropalatography for treating misarticulations of /r/. Am J Speech-Lang Pathol 2017;26:1141-58. DOI:  10.1044/2017_AJSLP-16-0122
  10. Preston JL, McCabe P, Rivera-Campos A,  et al. Ultrasound visual feedback treatment and practice variability for residual speech sound errors. J Speech Lang Hear Res 2014;57:2102-15. DOI: 10.1044/014_JSLHR-S-14-0031
  11. Shriberg LD, Kwiatkowski J. Natural Process Analysis (NPA) : A procedure for phonological analysis of continuous speech samples. Macmillan, 1980.
  12. Hodson B. Evaluating and enhancing children's phonological systems: Research and theory to practice. PhonoComp, 2010. 

 

 


Auteurs

Levaux E.
logopède
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires