Analyse


Des douleurs musculaires en rapport avec les statines : un « mythe urbain » ?


01 10 2021

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Herrett E, Williamson E, Brack K, et al. StatinWISE Trial Group. Statin treatment and muscle symptoms: series of randomised, placebo controlled n-of-1 trials. BMJ 2021;372:n135. DOI: 10.1136/bmj.n135


Conclusion
Cette méta-analyse d’études N = 1 contrôlées par placebo, en double aveugle, qui ont été correctement menées, n’a pas pu montrer de différence quant aux symptômes musculaires entre les périodes de traitement par 20 mg d’atorvastatine et les périodes de placebo chez les utilisateurs de statines qui se plaignaient déjà de symptômes musculaires avant le début de l’étude. La conception N = 1 a également pu montrer que, chez la plupart des utilisateurs de statines, les symptômes musculaires étaient un effet nocebo.



 

La prise chronique de statines réduit le risque de maladie cardiovasculaire d’environ 25% par an, indépendamment du risque cardiovasculaire préexistant, du sexe ou de l’âge. La différence de risque absolu, quant à elle, est déterminée par le risque cardiovasculaire initial (1-6). Des synthèses méthodiques et méta-analyses ont confirmé la sécurité d’emploi des statines et montré que les effets indésirables graves étaient rares. Ainsi, le risque absolu de myopathie est de 1 patient sur 10000 par an, et le risque absolu de rhabdomyolyse est de 2 patients sur 100000 par an. Mais vu le grand nombre de patients traités par statines, ces chiffres ne peuvent être négligés (7). Une étude observationnelle (8,9) et une méta-analyse en réseau d’études randomisées contrôlées (10,11) ont montré que le risque de symptômes musculosquelettiques lors de l’utilisation de statines n’était pas un phénomène rare et pouvait souvent être une raison d’arrêter les statines (8), ce qui est susceptible d’entraîner une augmentation du risque cardiovasculaire.

 

Afin de clarifier le lien causal entre statines et symptômes musculaires, une série d’études N = 1 (N of 1) randomisées contrôlées par placebo ont été menées (12). Il y avait 50 centres de première ligne impliqués au Royaume-Uni. Ils ont recruté des patients qui présentaient des symptômes musculaires lors de la consultation (et le médecin pensait que ces patients allaient arrêter leur statine) et des patients qui, d’après les données de leur dossier médical, avaient arrêté leur statine au cours des trois dernières années en raison de symptômes musculaires. Les patients étaient exclus en cas de concentration sérique d’ALT (alanine aminotransférase) égale ou supérieure à trois fois la limite supérieure, de concentration de créatinine kinase (CK) égale ou supérieure à cinq fois la limite supérieure, de douleurs musculaires généralisées inexpliquées persistantes et de contre-indication à l’atorvastatine 20 mg, de même que les patients dont le médecin généraliste estimait qu’ils ne devaient pas participer. Finalement, 200 participants âgés en moyenne de 69,1 ans (ET 9,5 ans), dont 58% de sexe masculin, ont été inclus, selon la taille de l’échantillon calculée prenant en compte un taux d’abandon de 40%. 70% des participants avaient des antécédents cardiovasculaires, et la concentration sérique de cholestérol total était de 5,3 mmol/l (interquartile (IQR) 4,4 à 6,2 mmol/l). Les participants ont été randomisés en aveugle en huit séquences de 6*2 mois de traitement avec soit 20 mg d’atorvastatine soit un placebo. Chaque séquence peut ainsi être considérée comme une étude N = 1. Les séquences où le patient recevrait uniquement de l’atorvastatine ou un placebo pendant les 4 premiers mois et celles où le patient recevrait uniquement de l’atorvastatine ou un placebo pendant 6 mois ont été exclues. Pour éliminer l’effet du traitement précédent, tous les participants ont été invités à évaluer les symptômes musculaires (douleur, sensibilité, faiblesse, raideur, crampes) uniquement au cours de la dernière semaine de chaque période de traitement, à l’aide d’une échelle visuelle analogique (EVA) de 0 à 10 à marquer (principal critère de jugement). 151 participants avaient au moins un score des symptômes au cours d’une période de traitement avec l’atorvastatine et le placebo. Pour déterminer l’effet global des statines sur le développement des symptômes musculaires, les résultats de ces 151 essais N = 1 ont été combinés avec un modèle linéaire à effets mixtes. Aucune différence statistiquement significative quant au score des symptômes n’a été trouvée entre l’atorvastatine et le placebo (différence moyenne de -0,11 avec un IC à 95% de -0,36 à 0,14 ; p = 0,40). Le taux d’abandon était également réparti entre les périodes de statine et celles de placebo. 18 participants (9%) ont abandonné en raison de symptômes musculaires insupportables pendant une période de statine, contre 13 (7%) pendant une période de placebo.

Les auteurs considèrent comme une force de leur étude que tous les patients inclus avaient déjà des symptômes musculaires avant l’inclusion. En revanche, ils ont exclu les patients qui présentaient une augmentation des paramètres biologiques. Il s’agit donc au final plutôt d’une population d’étude fortement sélectionnée, avec des conséquences pour l’extrapolation à la pratique. Nous ne savons pas non plus si les résultats avec l’atorvastatine valent pour toutes les statines.

La conception N = 1 a permis d’obtenir des informations précises sur les symptômes musculaires pour chaque participant impliqué pendant les six périodes de traitement consécutives avec l’atorvastatine ou le placebo. Cela a ensuite permis de discuter de l’utilité d’un rapport individuel avec le score des symptômes par période de traitement après la fin complète des études N = 1 avec 113 participants. Pour 99 participants (88%), l’étude a été utile, et 74 (66%) ont décidé ou prévu de reprendre le traitement par statines. Pour 17 patients (15%) de ce groupe, le score des symptômes a été d’au moins un point plus élevé pendant les périodes de statine que pendant les périodes de placebo (les patients étaient donc informés que leurs symptômes musculaires pourraient quand même être attribués à l’utilisation de statines) et pourtant, 9 d’entre eux prévoyaient de reprendre le traitement. Sur les 96 patients chez qui l’utilisation de statines était peu susceptible d’être la cause de leurs symptômes musculaires, 65 (68%) prévoyaient de recommencer les statines. Cela suggère que les symptômes musculaires sont généralement un effet nocebo chez les utilisateurs de statines.

La suggestion des auteurs d’intégrer la conception N = 1 dans la prise en charge de première ligne pour aider les patients à haut risque cardiovasculaire à prendre la bonne décision lorsqu’ils envisagent d’arrêter le traitement en raison de troubles musculaires est scientifiquement défendable, mais son application semble moins évidente.

 

Que disent guides de pratique clinique ?

La plupart des guides de pratique clinique sur la prise en charge du risque cardiovasculaire accordent peu d’attention à la myopathie liée aux statines (13). Nous trouvons également peu d’informations pratiques à ce sujet sur le site du Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique (CBIP) (14). DynaMed, en revanche, consacre un paragraphe distinct à ce sujet (15) : il doit être systématiquement conseillé aux patients prenant des statines d’informer immédiatement le médecin en cas de symptômes musculaires ou d’urines foncées. En cas de faiblesse musculaire et de douleurs musculaires sévères inexpliquées, d’urines foncées et de concentration sérique de CK > 10 fois supérieure à la valeur initiale, le diagnostic de rhabdomyolyse doit être envisagé, et le patient doit être immédiatement adressé en deuxième ligne. En cas de douleurs musculaires ou de faiblesse musculaire chez tout patient sous statine, il est recommandé d’envisager l’existence d’une myopathie liée aux statines et de mesurer la concentration sérique de créatinine kinase (CK). Ensuite, il faut commencer par vérifier les interactions médicamenteuses possibles. Si la concentration sérique de CK est < 10 fois la valeur de référence, il est recommandé d’arrêter la statine pendant 2 à 4 semaines. Si les symptômes réapparaissent après la reprise de la statine, il faut l’arrêter à nouveau. Après la disparition des symptômes, une faible dose d’une autre statine est alors instaurée, et la dose est progressivement augmentée. Si les symptômes persistent après l’arrêt du traitement, les taux de thyréostimuline (TSH) et de vitamine D doivent être contrôlés, ou le patient doit être adressé à un spécialiste pour exclure d’autres formes de myopathie.

 

Conclusion

Cette méta-analyse d’études N = 1 contrôlées par placebo, en double aveugle, qui ont été correctement menées, n’a pas pu montrer de différence quant aux symptômes musculaires entre les périodes de traitement par 20 mg d’atorvastatine et les périodes de placebo chez les utilisateurs de statines qui se plaignaient déjà de symptômes musculaires avant le début de l’étude. La conception N = 1 a également pu montrer que, chez la plupart des utilisateurs de statines, les symptômes musculaires étaient un effet nocebo.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Statines et diabète : du neuf ? MinervaF 2008;7(4):58-9.
  2. Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaborators. Efficacy of cholesterol-lowering therapy in 18 686 people with diabetes in 14 randomised trials of statins: a meta-analysis. Lancet 2008;371:117-25. DOI: 10.1016/S0140-6736(08)60104-X
  3. De Weirdt S, Lemiengre M. Utilité des statines chez des sujets à risque cardiovasculaire peu élevé. MinervaF 2012;11(4):43-4.
  4. Tonelli M, Lloyd A, Clement F, et al; for the Alberta Kidney Disease Network. Efficacy of statins for primary prevention in people at low cardiovascular risk: a meta-analysis. CMAJ 2011;183:E1189-202. DOI: 10.1503/cmaj.101280
  5. Fulcher J, O’Connell R, Voysey M, et al, Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT) Collaboration. Efficacy and safety of LDL-lowering therapy among men and women: meta-analysis of individual data from 174,000 participants in 27 randomised trials. Lancet 2015;385:1397-405. DOI: 10.1016/S0140-6736(14)61368-4
  6. Cholesterol Treatment Trialists’ Collaboration. Efficacy and safety of statin therapy in older people: a meta-analysis of individual participant data from 28 randomised controlled trials. Lancet 2019;393:407-15. DOI: 10.1016/S0140-6736(18)31942-1
  7. Collins R, Reith C, Emberson J, et al. Interpretation of the evidence for the efficacy and safety of statin therapy. Lancet 2016;388:2532-61. DOI: 10.1016/S0140-6736(16)31357-5
  8. La rédaction Minerva. Statines : effets musculosquelettiques indésirables. Minerva bref 15/04/2014.
  9. Mansi I, Frei CR, Pugh MJ, et al. Statins and musculoskeletal conditions, arthropathies, and injuries. JAMA Intern Med 2013;173:1-10. DOI: 10.1001/jamainternmed.2013.6184
  10. La rédaction Minerva. Les effets indésirables des statines : préférer la simvastatine et la pravastatine. Minerva bref 15/06/2014.
  11. Naci H, Brugts J, Ades T. Comparative tolerability and harms of individual statins: a study-level network meta-analysis of 246 955 participants from 135 randomized controlled trials. Circ Cardiovasc Qual Outcomes 2013;6:390-9. DOI: 10.1161/CIRCOUTCOMES.111.000071
  12. Herrett E, Williamson E, Brack K, et al. StatinWISE Trial Group. Statin treatment and muscle symptoms: series of randomised, placebo controlled n-of-1 trials. BMJ 2021;372:n135. DOI: 10.1136/bmj.n135
  13. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Ebpracticenet. Domus Medica 1/09/2007. (Ce guide de pratique clinique belge est uniquement disponible en néerlandais.
  14. Statines. Répertoire commenté des médicaments. CBIP septembre 2021.
  15. Statin-associated myopathy. DynaMed. Record No. T361018. EBSCO information services. [updated November 2018, cited September 2021]. Available from: https://www-dynamed-com.gateway2.cdlh.be/condition/statin-associated-myopathy

 


Auteurs

Lemiengre M.
Huisartsenpraktijk De Wijngaard Roeselare; Vakgroep Huisartsgeneeskunde en Eerstelijnsgezondheidszorg, UGent
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires