Analyse


Dépistage du cancer colorectal par test immunologique de détection du sang occulte sur les selles : efficace en pratique ?


18 11 2015

Professions de santé

Analyse de
Zorzi M, Fedeli U, Schievano E, et al. Impact on colorectal cancer mortality of screening programmes based on the faecal immunochemical test. Gut 2015;64:784-90.


Conclusion
Cette étude d’observation écologique suggère une efficacité du dépistage du cancer colorectal par iFOBT réalisé dans la population des 50 à 69 ans. Par définition, l’interprétation de ces résultats doit être réalisée avec prudence, aucun lien de causalité ne pouvant être affirmé. Ces données ne peuvent pas être extrapolées tel quel au contexte belge.


 

Le dépistage du cancer du colorectal (CCR) a déjà été abordé à plusieurs reprises dans la revue Minerva. En 2012, Minerva concluait que le gFOBT (qui nécessite d’effectuer trois prélèvements de selles pendant trois jours de suite) est un moyen de dépistage du cancer colorectal avec preuves suffisantes de haute qualité en termes de réduction de la mortalité liée au cancer colorectal (1,2). Le KCE (3) soulignait dans son rapport de 2006 que « Pour les autres techniques qui peuvent être considérées comme tests de dépistage primaires comme l’iFOBT (immunochemical FOBT), la sigmoïdoscopie flexible, la colonoscopie, la colonoscopie virtuelle et la détection de l’ADN dans les selles, il n’y a pas encore actuellement de données probantes directes garantissant que le dépistage de masse réduise la mortalité liée au cancer colorectal ». Toutes ces analyses soulignaient l’importance cruciale du taux de participation afin d’atteindre effectivement l’objectif d’une réduction de la mortalité liée au CCR. Les Recommandations Européennes, publiées en 2013 (4), considèrent le gFOBT et le iFOBT comme des tests acceptables mais recommandent le iFOBT en raison d’une meilleure sensibilité et d’une meilleure spécificité (5).

Le test iFOBT, qui se fait en une seule fois, consiste en la détection d’hémoglobine humaine par anticorps spécifique. Une RCT comparant l’iFOBT versus colonoscopie est en cours (2). Les résultats sont attendus pour 2021. A ce jour aucune étude d’observation ne permet de valider la pratique de l’iFOBT dans une population générale. A partir de 2016, l’iFOBT devrait devenir le test de référence pour le programme de dépistage du CCR en Fédération Wallonie-Bruxelles alors qu’il a déjà été adopté en Flandre depuis 2013.

Une étude d’observation écologique italienne (région de Venise) (6) a analysé l’impact d’un programme de dépistage par iFOBT réalisé tous les 2 ans sur la mortalité spécifique, l’incidence du CCR et le taux de chirurgie dans une population de 50-74 ans (à noter que les résultats de ces 2 derniers critères de jugement ne sont pas présentés dans l’article). L’étude compare 2 régions dans lesquelles le dépistage est implémenté à des périodes différentes (région précoce (RP) : 2002 - 2004 versus région tardive (RT) : 2008 - 2009). 50% de la population visée a réalisé le dépistage dans la RP (de 3,8% à 51,4% entre 2002 et 2007) vs 36% dans la RT (de 0,4% en 2008 à 35,8% en 2011). L’étude évalue l’impact du programme de dépistage en calculant la différence de mortalité par CCR dans ces 2 régions sur la période de collecte de données, soit de 2006 à 2011 (c’est-à-dire à distance de l’instauration du programme dans la région RP et « à cheval » sur la période de dépistage dans la région RT) versus période de référence (1995 - 2000, soit avant l’introduction des 2 programmes, avec une mortalité spécifique par CCR similaire dans les 2 régions à ce moment-là). L’étude montre une réduction de la mortalité spécifique de 22% (RR 0,78 avec IC à 95% de 0,68 à 0,89) dans la région RP, c’est-à-dire dans laquelle le dépistage a été implémenté plus tôt, par rapport à la région RT. Cette réduction du risque est statistiquement significative chez les femmes (RR 0,64 avec IC à 95% de 0,51 à 0,80) mais non significative chez les hommes (RR 0,87 avec IC à 95% de 0,73 à 1,04). Les auteurs n’émettent aucune hypothèse pour expliquer cette différence entre hommes et femmes. La diminution de la mortalité spécifique diminue après environ 4 années. Un taux de participation très important au programme de dépistage (69% sur l’entièreté de la période étudiée) est à noter. Par comparaison, le taux de participation au programme de dépistage en Fédération Wallonie-Bruxelles (par gFOBT) n’est que de 7,5% sur les 5 dernières années (7) et de 43% en Flandre (par iFOBT). Ces données démontrent-ils une meilleure acceptabilité de ce dépistage dans la pratique ? L’étude ne mentionne pas le taux de faux positifs, le nombre de colonoscopies réalisées, les effets indésirables éventuels liés à la mise au point d’un test de dépistage positif. Les résultats d’une étude écologique comme celle-ci (étude d’observation au niveau de régions) sont à interpréter avec prudence et aucun lien de causalité ne peut être affirmé. Les résultats sont en outre donnés en différences relatives et pas en réduction absolue du risque, ce qui n’aide pas le lecteur à évaluer le bénéfice clinique réel de l’intervention.

 

Conclusion 

Cette étude d’observation écologique suggère une efficacité du dépistage du cancer colorectal par iFOBT réalisé dans la population des 50 à 69 ans. Par définition, l’interprétation de ces résultats doit être réalisée avec prudence, aucun lien de causalité ne pouvant être affirmé. Ces données ne peuvent pas être extrapolées tel quel au contexte belge.

 

Références 

  1. Chevalier P. Dépistage du cancer du côlon : quelle méthode est la plus acceptable et donc mieux réalisée ? Minerva online 28/09/2012.
  2. Quintero E, Castells A, Bujanda L, et al; COLONPREV Study Investigators. Colonoscopy versus fecal immunochemical testing in colorectal-cancer screening. N Engl J Med 2012;366:697-706.
  3. De Laet C, Neyt M, Vinck I, et al; Health Technology Assessment. Dépistage du cancer colorectal : connaissances scientifiques actuelles et impact budgétaire pour la Belgique. Health Technology Assessment (HTA). Bruxelles: Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE), 2006. KCE reports 45 B (D/2006/10.273/58).
  4. European Colorectal Cancer Screening Guidelines Working Group, von Karsa L, Patnick J, Segnan N, et al. European guidelines for quality assurance in colorectal cancer screening and diagnosis: overview and introduction to the full supplement publication. Endoscopy 2013;45:51-9.
  5. Guittet L, Comparison of guaiac and immunochemical faecal occult blood tests in screening for colorectal cancer in a general average risk population. Gut 2007;56:210-4.
  6. Zorzi M, Fedeli U, Schievano E, et al. Impact on colorectal cancer mortality of screening programmes based on the faecal immunochemical test. Gut 2015;64:784-90.
  7. Données d’évaluation du programme de dépistage du cancer colorectal en Fédération Wallonie-Bruxelles. Newsletter du CCREF, mai 2015.

 


Auteurs

Verstraete B.
Centre Académique de Médecine Générale, Université Catholique de Louvain
COI :

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