Analyse


Prostatectomie ou surveillance active pour un cancer localisé de la prostate à faible risque ?


15 09 2018

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Wilt TJ, Jones KM, Barry MJ, et al. Follow-up of prostatectomy versus observation for early prostate cancer. N Engl J Med 2017;377:132-42. DOI: 10.1056/NEJMoa1615869


Conclusion
L’analyse à long terme conforte les conclusions précédentes. En cas de cancer de la prostate localisé à faible risque chez l’homme de moins de 75 ans, la prostatectomie radicale ne conduit pas à une diminution significative des mortalités totale et spécifique du cancer de la prostate. Elle est par contre associée à plus d’incontinence urinaire et de troubles sexuels.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le KCE et le collège d’Oncologie recommandent pour les patients atteints d’un cancer localisé de la prostate à risque faible n’optant pas pour une stratégie à visée curative, de leur proposer d’envisager une surveillance active en tenant compte de leurs préférences et de l’état de leurs fonctions urinaire, sexuelle et digestive (niveau de preuve faible ; forte recommandation) et de les informer du fait qu’actuellement le traitement immédiat n’a, par rapport à la surveillance active, démontré aucun bénéfice en terme de mortalité après 10-12 ans de suivi (niveau de preuve modéré ; forte recommandation). Cette étude avec un suivi de près de 20 ans renforce ces recommandations. Une surveillance active en cas de cancer de la prostate localisé à faible risque reste donc une option acceptable permettant d’éviter les complications plus importantes de la prostatectomie. Au patient de décider



En 2011 et en 2012, Minerva a revu les études randomisées et de registre (1-4) montrant qu’une stratégie de temporisation face à un cancer de prostate localisé (score de Gleason   ≤ 7 et stades T1 ou T2) est une attitude défendable par rapport à un traitement à visée curative immédiate (prostatectomie ou radiothérapie radicale). Minerva a commenté en 2017 les résultats à 10 ans de l’étude ProtecT comparant suivi actif, chirurgie ou radiothérapie (5,6) pour un cancer de la prostate localisé et avec un risque faible à intermédiaire. Cette étude ne montrait pas de différence quant à la mortalité spécifique par cancer de la prostate et à la mortalité globale. L’impact négatif sur les fonctions urinaire, sexuelle et intestinale était plus faible avec la surveillance active, et ce de manière statistiquement significative. Une autre étude du même type, avec l’acronyme PIVOT et ayant fait l’objet d’une première publication en 2012 (7) a été commentée dans Minerva (8), soulignant qu’en cas de cancer de la prostate localisé à faible risque, la prostatectomie ne conduit pas, par rapport à la surveillance active, à une diminution de la mortalité totale et de la mortalité liée au cancer de la prostate. Cette étude vient d’être à nouveau analysée avec un suivi de près de 20 ans (9), permettant de confirmer les résultats et aussi de voir les impacts fonctionnels du traitement sur la qualité de vie.

 

L’étude PIVOT (pour « Prostate Cancer Intervention versus Observation Trial ») a recruté entre 1990 et 2002 des hommes âgés de moins de 75 ans avec un cancer prostatique bien localisé et dépisté par dosage du PSA (mais avec un taux < 50 ng/ml), avec une espérance de vie d’au moins 10 ans et aptes à subir une prostatectomie radicale (10). Les malades éligibles ont été randomisés entre prostatectomie immédiate et expectative armée. Sur 5023 patients potentiellement éligibles, 731 (âge moyen de 67 ans ; taux médian de PSA : 7,8 ng/ml) ont accepté la randomisation (14,5%). La présente analyse date d’août 2014 où 468 patients (64%) étaient décédés avec un suivi minimal de 12 et maximal de 19,5 ans. La durée médiane entre la randomisation et le décès ou la fin du suivi était de 12,7 ans.

Dans cette nouvelle analyse avec un suivi de 19,5 ans, la mortalité cumulative est de 61,3% dans le bras opéré et de 66,8% dans le bras expectative armée : RR de 0,92 (avec IC à 95% de 0,82 à 1,02) et les survies médianes sont respectivement de 13,0 (12,5 à 13,5) et 12,4 (11,4 à 12,8) années. 69 patients (9,4%) sont décédés de leur cancer de la prostate (n=65) ou de son traitement (n=4). La mortalité spécifique au cancer a été de 7,4% avec la chirurgie et de 11,4% avec l’expectative armée (soit une différence absolue de risque de 4,0% avec IC à 95% de -0,2 à 8,3). Les analyses de sous-groupes n’apportent pas de différence très significative, les nombres de sujets sont souvent petits.

Au total, 20,4% des patients du bras expectative armée ont eu un traitement radical (généralement dans les 5 ans post diagnostic) versus 88,5% dans le bras chirurgie. En termes de qualité de la vie, évaluée par le questionnaire SF12 (Medical Outcomes Study 12-Item Short-Form General Health Survey), il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes à long terme même s’il y a plus d’inconfort dans les 2 premières années dans le bras chirurgie. Il y a cependant significativement beaucoup d’incontinence urinaire et de troubles sexuels dans le bras chirurgie. Cette étude va dans le même sens qu’une autre récemment publiée qui rapporte des taux de mortalité spécifique très faible (6) et des conséquences fonctionnelles similaires (11).

 

Conclusion

L’analyse à long terme conforte les conclusions précédentes. En cas de cancer de la prostate localisé à faible risque chez l’homme de moins de 75 ans, la prostatectomie radicale ne conduit pas à une diminution significative des mortalités totale et spécifique du cancer de la prostate. Elle est par contre associée à plus d’incontinence urinaire et de troubles sexuels.

 

Pour la pratique

Le KCE (12,13) et le collège d’Oncologie recommandent pour les patients atteints d’un cancer localisé de la prostate à risque faible n’optant pas pour une stratégie à visée curative, de leur proposer d’envisager une surveillance active en tenant compte de leurs préférences et de l’état de leurs fonctions urinaire, sexuelle et digestive (niveau de preuve faible ; forte recommandation) et de les informer du fait qu’actuellement le traitement immédiat n’a, par rapport à la surveillance active, démontré aucun bénéfice en terme de mortalité après 10-12 ans de suivi (niveau de preuve modéré ; forte recommandation). Cette étude avec un suivi de près de 20 ans renforce ces recommandations. Une surveillance active en cas de cancer de la prostate localisé à faible risque reste donc une option acceptable permettant d’éviter les complications plus importantes de la prostatectomie. Au patient de décider !

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Traitement conservateur versus traitement immédiat du cancer de la prostate. Minerva bref 28/01/2011.
  2. Stattin P, Holmberg E, Johansson JE, et al; National Prostate Cancer Register (NPCR) of Sweden. Outcomes in localized prostate cancer in the National Prostate Cancer Register of Sweden follow-up study. J Natl Cancer Inst 2010;102:950-8. DOI: 10.1093/jnci/djq154
  3. Chevalier P. Prostatectomie radicale versus temporisation (traitement conservateur). Minerva bref 28/01/2012.
  4. Bill-Axelson A, Holmberg L, Ruutu M, et al; SPCG-4 Investigators. Radical prostatectomy versus watchful waiting in early prostate cancer. N Engl J Med 2011;364:1708-17. DOI: 10.1056/NEJMoa1011967
  5. Moris L, Van den Broeck T, Claessens F, Joniau S. Cancer de la prostate localisé : suivi actif, chirurgie ou radiothérapie ? Minerva bref 15/03/2017.
  6. Hamdy FC, Donovan JL, Lane JA, et al. 10-year outcomes after monitoring, surgery, or radiotherapy for localized prostate cancer. N Eng J Med 2016;375:1415-24. DOI: 10.1056/NEJMoa1606220
  7. Wilt TJ, Brawer MK, Jones KM, et al. Radical prostatectomy versus observation for localized prostate cancer. N Engl J Med 2012;367:203-13. DOI: 10.1056/NEJMoa1113162
  8. Claessens F, Joniau S, Laurent M, Van Poppel H. Prostatectomie radicale ou temporisation en cas de cancer de la prostate localisé dépisté par dosage du PSA. Minerva bref 28/04/ 2013.
  9. Wilt TJ, Jones KM, Barry MJ, et al. Follow-up of prostatectomy versus observation for early prostate cancer. N Engl J Med 2017;377:132-42. DOI: 10.1056/NEJMoa1615869
  10. Wilt TJ, Brawer MK, Barry MJ, et al. The Prostate cancer Intervention Versus Observation Trial: VA/NCI/AHRQ Cooperative Studies Program #407 (PIVOT): design and baseline results of a randomized controlled trial comparing radical prostatectomy to watchful waiting for men with clinically localized prostate cancer. Contemp Clin Trials 2009;30:81-7. DOI: 10.1016/j.cct.2008.08.002
  11. Donovan JL, Hamdy FC, Lane JA, et al. Patient-reported outcomes after monitoring, surgery, or radiotherapy for prostate cancer. N Engl J Med 2016;375:1425-37. DOI: 10.1056/NEJMoa1606221
  12. Mambourg F, Jonckheer P, Piérart J, Van Brabandt H. Recommandations nationales de bonne pratique pour la prise en charge du cancer localisé de la prostate : première partie. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2012. KCE Reports 194B. D/2012/10.273/100.
  13. Tombal B, Desomer A, Jonckheer P, et al. Recommandations nationales de bonne pratique pour la prise en charge du cancer localisé de la prostate : seconde partie – Résumé. Good Clinical Practice (GCP) Bruxelles : Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) 2014. KCE Reports 226Bs. D/2014/10.273/51.

 




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