Analyse


L’importance des acides gras polyinsaturés (oméga 3 et oméga 6) dans la prévention des affections cardiovasculaires : faits et mythes


01 03 2019

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
1. Abdelhamid AS, Martin N, Bridges C, et al. Polyunsaturated fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD012345.pub3 ; 2. Abdelhamid AS, Brown TJ, Brainard JS, et al. Omega-3 fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD003177.pub4; 3. Hooper L, Al-Khudairy L, Abdelhamid AS, et al. Omega-6 fats for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD011094.pub4


Conclusion
Ces trois synthèses méthodiques et méta-analyses Cochrane montrent qu’une augmentation de la consommation d’acides gras polyinsaturés (avec l’alimentation ou en supplément) n’a pas d’influence sur la mortalité globale et sur la mortalité cardiovasculaire, ni sur les événements cardiovasculaires et cérébrovasculaires. Ces études étaient très hétérogènes sur le plan de la population d’étude et sur le plan de la conception de l’étude.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le Conseil Supérieur de la Santé est formel dans son avis pour une alimentation équilibrée avec limitation de la consommation des aliments riches en lipides. Les apports recommandés en acides gras oméga 3 et oméga 6 sont compris respectivement entre 1 et 2% et entre 4 et 8% de l’apport énergétique total. Le rapport oméga 3/oméga 6 idéal fait l’objet de débats, mais serait de peu d’importance du moment que les apports atteignent les niveaux recommandés. La Société internationale pour l’étude des acides gras et des lipides (International Society for the Study of Fatty Acids and Lipids, ISSFAL) donne en outre les recommandations suivantes : apport en acide linoléique (oméga 6) égal à 2% de l’apport énergétique, apport en acide linolénique (oméga 3) égal à 0,7% de l’apport énergétique et 500 mg d’une association d’acide eicosapentaénoïque (EPA) et d’acide docosahexaénoïque (DHA) par jour. En assurer le suivi dans la pratique est une tâche autrement difficile…



Les acides gras polyinsaturés se caractérisent par la présence d’au moins deux liaisons doubles dans leur chaîne de carbones. La dénomination oméga 3 et oméga 6 tient à la position de la première liaison double : respectivement sur le 3e et le 6e atome de carbone à partir du groupement méthyle situé à l’extrémité. A température ambiante, les acides gras polyinsaturés sont plutôt liquides que solides ; on les trouve dans les huiles de poisson et les huiles végétales. L’acide alpha-linolénique, un acide gras oméga 3, et l’acide linoléique, un acide gras oméga 6, sont des acides gras essentiels pour l’être humain, et sont donc des composants indispensables de l’alimentation. L’acide eicosapentaénoïque (EPA) et l’acide docosahexaénoïque (DHA)*, que l’on trouve tous deux dans l’huile de poisson, sont des acides gras oméga 3 que l’organisme synthétise à partir d’acide alpha-linolénique. Un apport suffisant dans l’alimentation étant toutefois nécessaire pour subvenir aux besoins, ils sont dits « semi-essentiels ».

 

Minerva a déjà traité de la contribution possible des acides gras polyinsaturés à la santé (cardiovasculaire). Après un infarctus du myocarde, un traitement avec des acides gras polyinsaturés réduirait la mortalité totale, mais le nombre de sujets à traiter (NST) est élevé (pour éviter un décès, 77 patients doivent être traités pendant 3,5 ans). Il n’est donc pas recommandé d’instaurer des suppléments d’acides gras polyinsaturés chez ces patients (1,2). Dans les cas d’insuffisance cardiaque symptomatique, la consommation quotidienne d’1 g d’acides gras oméga 3 entraînerait une réduction absolue du risque de décès de 1,8% (avec IC à 95% de 0,3 à 3,9) et une réduction absolue du risque de décès ou d’hospitalisation de 2,3% (avec IC à 95% de 0,0 à 4,6). Cela revient à un NST de 56 pour la mortalité et un NST de 44 pour la mortalité ou l’hospitalisation (3,4). Une méta-analyse d’études hétérogènes n’a pas apporté de preuve fiable quant à l’intérêt de prise d’acides gras oméga 3 (de composition très variable) par des patients présentant des affections cardiovasculaires ou un diabète sur le plan de la diminution de la mortalité ou la prévention d’une resténose après une intervention coronaire percutanée (5,6).

 

Les effets thérapeutiques possibles des acides gras polyinsaturés font donc l’objet de discussions. Trois synthèses méthodiques et méta-analyses Cochrane récentes ont examiné l’effet des acides gras polyinsaturés sur le plan de la prévention cardiovasculaire primaire et secondaire (7-9).

 

Acides gras polyinsaturés et prévention cardiovasculaire (7) :

49 études ont été incluses (depuis les années 1960 jusqu’à ce jour), dans lesquelles 24272 patients ont été suivis pendant au moins un an. Les études avec suivi de longue durée (> 5 ans) remontent au siècle passé. Deux études d’une durée de 5 ans ont été publiées en 2006 et 2013 (10,11). Dans 33 études, les participants n’avaient pas d’antécédents de maladie cardiovasculaire. La consommation quotidienne d’acides gras polyinsaturés a été estimée comme représentant 3,9 à 8% de la consommation énergétique totale (cf. la recommandation du Conseil Supérieur de la Santé (12) : 1% à 2% de la consommation énergétique totale pour les oméga 3 et 4 à 8% pour les oméga 6). Dans la plupart des études, les acides gras polyinsaturés ont été administrés sous la forme de gélules, mais dans huit études, on a plutôt donné des conseils diététiques, dans huit autres études, on a fait prendre par exemple plus de noix ou de margarine, et dans trois études, on a opté pour l’utilisation combinée de différentes sources d’acides gras polyinsaturés. Onze études avaient un faible risque de biais. Les auteurs n’ont pas pu constater que les acides gras polyinsaturés apportaient un avantage significatif en termes de mortalité globale et de mortalité cardiovasculaire (N = 24 et 16), ni quant au nombre d’événements coronaires et cardiovasculaires (N = 15 et 16) et d’AVC (N = 11). Sous l’influence des acides gras polyinsaturés, le cholestérol total et les triglycérides ont légèrement diminué (différence moyenne respectivement de -0,12 mmol/l avec IC à 95% de -0,23 à -0,02 et de -0,12 avec IC à 95% de -0,20 à -0,04), tandis que le cholestérol HDL et le cholestérol LDL n’ont pas été influencés et que le poids corporel a augmenté en moyenne de 0,76 kg (IC à 95% de 0,34 à 1,19).

 

Acides gras oméga 3 et prévention cardiovasculaire (8) :

Le plus souvent, les patients ont pris des acides gras oméga 3 sous forme de gélules, mais, dans certaines études, on a utilisé une alimentation enrichie, ou bien des conseils diététiques ont été donnés. Dans les groupes contrôles, les patients recevaient un placebo ou prenaient une alimentation habituelle. Parmi les 79 études (n =112059 participants), 25 avaient un faible risque de biais. Le suivi des patients a duré de 12 à 72 mois. Ni avec l’EPA, ni avec le DHA, on n’a observé de différence statistiquement significative entre les personnes qui prenaient une dose élevée et celles qui prenaient une faible dose, quant à la mortalité générale et la mortalité cardiovasculaire et quant au nombre d’événements cardiovasculaires, d’AVC et d’arythmie.

 

Acides gras oméga 6 et prévention cardiovasculaire (9) :

On a sélectionné 19 études (n = 6 461) portant sur des acides gras oméga 6. Trois études avaient un faible risque de biais. Les acides gras oméga 6 réduisaient le taux de cholestérol dans le sang (différence moyenne de -0,33 mmol/l avec IC à 95% de -0,50 à -0,16), mais n’avaient pas d’effet sur le cholestérol LDL et sur le cholestérol HDL, les triglycérides et l’IMC (13). Ici non plus, il n’y avait pas de gain sur le plan de la mortalité générale et de la mortalité cardiovasculaire, du nombre d’événements cardiovasculaires et d’AVC.

 

Ces trois synthèses méthodiques et méta-analyses ne peuvent donc pas montrer qu’un supplément alimentaire en acides gras polyinsaturés apporte un avantage sur le plan cardiovasculaire. A ce jour, il s’agit de la revue la plus complète sur la valeur des suppléments en acides gras polyinsaturés, et elle comprend aussi un certain nombre d’études plus récentes de grande qualité (après 2000). Uniquement dans les études portant sur les suppléments en oméga 6, les faits probants complémentaires sont limités (seulement 1 étude supplémentaire après 2010), et en outre ces études sont globalement de moins bonne qualité. Les critères d’évaluation dans cette revue ont été clairement définis (mortalité totale et cardiovasculaire, événements cardiovasculaires et cérébrovasculaires), mais, globalement, le suivi de ces critères d’évaluation dans les différentes études était d’une durée relativement courte (un à deux ans dans la plupart des études) avec une forte variation d’un an à huit ans. Par ailleurs, il y avait aussi une importante hétérogénéité clinique sur le plan de la population de l’étude (tant des personnes en bonne santé que des personnes avec divers grades de risque de pathologie cardiovasculaire et/ou de (pré)diabète (de type 1 et de type 2)). Une conception en double aveugle n’était pas toujours possible (comme en cas de conseils diététiques et de suppléments dans l’alimentation). Les acides gras polyinsaturés étaient administrés sous diverses formes : tant en gélules que via l’alimentation. Les prises de faibles quantités et de grandes quantités ont été déterminées de manière arbitraire. Lorsque l’apport avait lieu par le biais de l’alimentation, les quantités étaient moins précises. Mais la consommation quotidienne moyenne n’était pas non plus toujours connue en cas de compléments à l’alimentation.

 

Un groupe d’étude a obtenu les mêmes résultats en 2019 (VITAL, numéro ClinicalTrials.gov : NCT01169259) sur le plan de la prévention cardiovasculaire pour les acides gras oméga 3 d’origine marine (14).

 

Conclusion

Ces trois synthèses méthodiques et méta-analyses Cochrane montrent qu’une augmentation de la consommation d’acides gras polyinsaturés (avec l’alimentation ou en supplément) n’a pas d’influence sur la mortalité globale et sur la mortalité cardiovasculaire, ni sur les événements cardiovasculaires et cérébrovasculaires. Ces études étaient très hétérogènes sur le plan de la population d’étude et sur le plan de la conception de l’étude.

 

Pour la pratique

Le Conseil Supérieur de la Santé est formel dans son avis pour une alimentation équilibrée avec limitation de la consommation des aliments riches en lipides. Les apports recommandés en acides gras oméga 3 et oméga 6 sont compris respectivement entre 1 et 2% et entre 4 et 8% de l’apport énergétique total. Le rapport oméga 3/oméga 6 idéal fait l’objet de débats, mais serait de peu d’importance du moment que les apports atteignent les niveaux recommandés (12). La Société internationale pour l’étude des acides gras et des lipides (International Society for the Study of Fatty Acids and Lipids, ISSFAL) donne en outre les recommandations suivantes : apport en acide linoléique (oméga 6) égal à 2% de l’apport énergétique, apport en acide linolénique (oméga 3) égal à 0,7% de l’apport énergétique et 500 mg d’une association d’acide eicosapentaénoïque (EPA) et d’acide docosahexaénoïque (DHA) par jour (15). En assurer le suivi dans la pratique est une tâche autrement difficile…

 

* EPA et DHA sont indiqués comme médicament en Belgique (Omacor®).

 

Références 

  1. Christiaens T. Zijn vitamine E en polyonverzadigde vetzuren zinvol na een infarct? Minerva 2001;30(7):332-3.
  2. Gissi-PREVENZIONE INVESTIGATORS. Dietary supplementation with n-3 polyunsaturated fatty acids and vitamin E after myocardial infarction: results of the GISSI-Prevenzione trial. Lancet 1999;354:447-55. DOI: 10.1016/S0140-6736(99)07072-5
  3. Brohet C. Acides gras polyinsaturés et insuffisance cardiaque (étude GISSI-HF). MinervaF 2009;8(6):70-1.
  4. Gissi-HF Investigators, Tavazzi L, Maggioni AP, Marchioli R, et al. Effect of n-3 polyunsaturated fatty acids in patients with chronic heart failure (the GISSI-HF trial): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet 2008;372:1223-30. DOI:  10.1016/S0140-6736(08)61239-8
  5. Chevalier P. Omega 3 et risque cardio-vasculaire. Minerva bref 24/11/2010.
  6. Filion KB, El Khoury F, Bielinski M, et al. Omega-3 fatty acids in high-risk cardiovascular patients: a meta-analysis of randomized controlled trials. BMC Cardiovasc Disord 2010;10:24. DOI: 10.1186/1471-2261-10-24
  7. Abdelhamid AS, Martin N, Bridges C, et al. Polyunsaturated fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD012345.pub3
  8. Abdelhamid AS, Brown TJ, Brainard JS, et al. Omega-3 fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD003177.pub4
  9. Hooper L, Al-Khudairy L, Abdelhamid AS, et al. Omega-6 fats for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD011094.pub4
  10. Chlebowski RT, Blackburn GL, Thomson CA, et al. Dietary fat reduction and breast cancer outcome: interim efficacy results from the women’s intervention nutrition study. J Natl Cancer Inst 2006;98:1767-76. DOI: 10.1093/jnci/djj494
  11. Alvarez-Perez J, Sanchez-Villegas A, Diaz-Benitez EM, et al. Influence of a Mediterranean dietary pattern on body fat distribution: results of the PREDIMED-Canarias intervention randomized trial. J Am Coll Nutr 2016;35:568-80. DOI: 10.1080/07315724.2015.1102102
  12. Recommandations nutritionnelles pour la Belgique. Conseil Supérieur de la Santé, 2016. CSS n° 9285.
  13. Dayton S, Pearce ML, Hashimoto S, et al. A controlled clinical trial of a diet high in unsaturated fat in preventing complications of atherosclerosis. Circulation 1969;15(1, Suppl 2):II–1-63.
  14. Manson JE, Cook NR, Lee IM, et al; VITAL Research Group. Marine n-3 fatty acids and prevention of cardiovascular disease and cancer. N Engl J Med 2019;380:23-32. DOI: 10.1056/NEJMoa1811403
  15. Intake of PUFA in healthy adults. URL: https://www.issfal.org/statement-3 (site consulté le 16 novembre 2018).

 




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