Analyse


Interventions complexes menées par les infirmières de soins primaires auprès des patients diabétiques : quelle efficacité ?


15 02 2020

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste
Analyse de
Crowe M, Jones V, Stone MA, Coe G. The clinical effectiveness of nursing models of diabetes care: a synthesis of the evidence. Int J NursStud 2019;93:119-28. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2019.03.004


Conclusion
Les résultats non concordants de cette synthèse narrative de la littérature ne permettent pas de soutenir l’efficacité des interventions complexes menées par les infirmières de soins primaires auprès des patients diabétiques sur un paramètre objectif comme l’hémoglobine glyquée. Cependant, en prenant en compte la perspective économique ou la satisfaction du patient, il est possible qu’elles puissent apporter un vrai bénéfice, surtout chez les patients très mal contrôlés.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Les guides de pratiques cliniques belges mettent en évidence un besoin d’interdisciplinarité et d’organisation des soins « à l’aide d’une équipe de soignants qui travaillent en collaboration, avec une répartition claire des tâches des différents intervenants se basant sur le même protocole de prise en charge du diabète ». On retiendra que les interventions complexes menées par les infirmières de soins primaires auprès des patients diabétiques pourraient offrir des avantages en terme d’efficience pour le système de santé et de satisfaction du patient dans la relation soignant-soigné, principalement en cas de diabète mal contrôlé. Cependant, les résultats de cette synthèse narrative n’apportent aucune réponse claire, nette ou pragmatique, mais tout au plus des hypothèses devant être testées selon une méthodologie correcte et rigoureuse.



La plupart des patients diabétiques sont suivis par des médecins généralistes (1). Ils présentent souvent des signes biologiques de faible contrôle glycémique (1), possiblement du fait d’une difficulté pour le praticien à rencontrer les différents objectifs de la prise en charge : temps, contrôles réguliers et adaptations rapides des traitements. La diversité des patients, les différences culturelles et linguistiques, les manques de protocoles adaptés et les difficultés liées à des algorithmes de suivi complexes ont également été identifiés comme barrières d’une prise en charge adéquate pour le médecin généraliste (2). Or, le diabète est une pathologie potentiellement invalidante aux répercussions multiples sur l’existence (3,4), dans ses dimensions physiques, psychologiques, affectives, relationnelles …

La prévalence du diabète étant, comme bon nombre de pathologies chroniques, en expansion épidémiologique (5), de plus en plus de soins sont confiés aux infirmières de soins primaires (6). Dans un article de Minerva de 2006, nous avions déjà rappelé que la littérature s’intéressait de plus en plus au suivi des patients chroniques par des infirmières, particulièrement dans le diabète de type 2 (7).

Publiée en 2003, une revue Cochrane (3) avait été réalisée sur le sujet : elle avait montré que la présence d’une infirmière spécialisée dans le diabète pouvait améliorer le contrôle glycémique sur une courte période (6 mois max), tout en ne sachant pas conclure quant à l’efficacité d’une prise en charge sur une plus longue durée (12 mois ou au-delà). Les épisodes d’hypo- ou hyperglycémies, ainsi que le nombre d’hospitalisations ou la qualité de vie n’étaient pas modifiés de façon significative. Cette synthèse méthodique a été complétée (prise en compte des études qualitatives) et mise à jour en 2019 : c’est ce travail d’actualisation dont il est question ici (8).

 

Cette recherche s’intéressait à l’efficacité pratique (“ l’effectiveness ” anglo-saxonne) d’interventions menées par des infirmières en soins primaires auprès de patients diabétiques. Les critères de jugement étaient l’hémoglobine glyquée (critère principal) mais également d’autres paramètres clinico-biologiques (pression artérielle, glycémie, exploration des anomalies lipidiques), ainsi que l’expérience du patient et le rapport coût-efficacité de l’intervention.

Ce choix de critères larges est justifié par les auteurs par la volonté de prendre en compte la diversité des interventions infirmières. Celles-ci peuvent en effet concerner l’éducation à la maladie, à sa gestion par le patient lui-même ou encore la promotion des mesures hygiéno-diététiques (nutrition et activité physique…). Il peut également s’agir d’interventions psycho-comportementales ou de simples consultations de suivi avec prise de la tension, de la glycémie ou la réalisation d’une prise de sang. Dans tous les cas, on ne peut circonscrire à une seule action ces interventions, qui sont à chaque fois ajustées aux besoins du patient : on parle d’ailleurs “ d’interventions complexes ”, un concept formalisé en 2008 (9), mais correspondant en fait à la réalité de terrain rencontrée chaque jour par tout médecin généraliste.

 

18 études ont rencontré les critères d’éligibilité. Parmi elles, on comptait un audit, 3 essais ouverts, 2 essais randomisés en grappes, 2 études qualitatives, une étude de cohorte historique prospective, une étude de cohorte rétrospective, 2 essais randomisés pragmatiques et 6 essais contrôlés randomisés. Les critères de sélection des études et l’analyse des biais avec l’outil Cochrane (Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias) sont correctement décrits. Au total, 33971 patients, présentant un diabète de type 1 ou 2, ont été inclus. Etant donné la diversité des études écluses, les résultats sont rapportés sous forme de synthèse narrative.

Si l’on se base sur l’amélioration du niveau d’hémoglobine glyquée, 3 essais cliniques randomisés de bonne qualité méthodologique ont retrouvé une différence significative en faveur des interventions infirmières, de même que la cohorte historique prospective. Toutefois, 2 RCTs en grappe, 2 RCTs pragmatiques et 3 autres RCTs ne rapportent pas de différence. En cas de télécoaching (méthode COACH), les auteurs rapportent observer des résultats statistiquement favorables à une intervention des infirmières. Cependant, lorsqu’on regarde plus attentivement les résultats chiffrés, l’HbA1c moyenne est de 6,8% versus 7% dans le groupe contrôle à 6 mois (p = 0,003) et de 6,9% versus 7,0% à 18 mois (p = 0,046). Si les résultats sont statistiquement significatifs, la question de leur pertinence clinique est clairement posée.

Certaines études décrivent une diminution des valeurs de pression artérielle, de cholestérol total ou de BMI, tandis que d’autres ne montrent aucune différence statistiquement significative.

Concernant l’efficience de ces interventions, une RCT conclut quant à de possibles économies substantielles en cas de généralisation de ces interventions, particulièrement chez des patients dont l’HbA1c de base est mal contrôlée. Ces résultats sont appuyés par 3 autres publications.

Au sujet de la satisfaction des patients, 4 études rapportent des résultats favorables à une intervention des infirmières. 2 études qualitatives montrent que c’est principalement la connaissance relative au diabète qui est améliorée suite aux interventions des infirmières et que c’est cette connaissance qui permet aux patients de mieux gérer leur diabète. Une autre étude montre que les plus-values des interventions prodiguées par les infirmières reposent sur l’approche centrée sur le patient et la recherche de son autonomisation, ainsi que l’éducation au diabète.

Les politiques de santé publique se saisissent en tout cas de ces thématiques, comme on peut le remarquer par exemple en France avec la récente toute première promotion d’infirmières de pratique avancée. Une première lecture de ces différents résultats fait dire que ces éléments pourraient conforter des retombées positives que l’on peut imaginer en se plaçant du point de vue du médecin généraliste, à qui ce type de dispositif libèrerait du temps de pratique. Une autre lecture, cohérente avec une approche centrée sur le patient, fait dire que suivre des patients diabétiques nécessite du temps, de la flexibilité et un suivi attentif. Et qu’il appartient aux praticiens d’organiser leur temps de travail pour répondre à cet objectif.

 

Conclusion

Les résultats non concordants de cette synthèse narrative de la littérature ne permettent pas de soutenir l’efficacité des interventions complexes menées par les infirmières de soins primaires auprès des patients diabétiques sur un paramètre objectif comme l’hémoglobine glyquée. Cependant, en prenant en compte la perspective économique ou la satisfaction du patient, il est possible qu’elles puissent apporter un vrai bénéfice, surtout chez les patients très mal contrôlés.

 

Pour la pratique

Les guides de pratiques cliniques belges mettent en évidence un besoin d’interdisciplinarité et d’organisation des soins « à l’aide d’une équipe de soignants qui travaillent en collaboration, avec une répartition claire des tâches des différents intervenants se basant sur le même protocole de prise en charge du diabète » (10). On retiendra que les interventions complexes menées par les infirmières de soins primaires auprès des patients diabétiques pourraient offrir des avantages en terme d’efficience pour le système de santé et de satisfaction du patient dans la relation soignant-soigné, principalement en cas de diabète mal contrôlé. Cependant, les résultats de cette synthèse narrative n’apportent aucune réponse claire, nette ou pragmatique, mais tout au plus des hypothèses devant être testées selon une méthodologie correcte et rigoureuse.

 

 

Références 

  1. American Diabetes Association. Standards of medical care in diabetes. Diabetes Care 2020;43 (Suppl 3),S1-S212.
  2. Murrells T, Ball J, Maben J, et al. Nursing consultations and control of diabetes in general practice: a retrospective observational study. Br J Gen Pract 2015;65:e642-8. DOI: 10.3399/bjgp15X686881
  3. Loveman E, Royle P, Waugh N. Specialist nurses in diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2003, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD003286
  4. Nicolucci A, Kovacs Burns K,Holt RI, et al, Diabetes attitudes, wishes and needs second study (DAWN2): cross-national benchmarking of diabetes-related psychosocial outcomes for people with diabetes. Diabet Med 2013;30:767–77. DOI: 10.1111/dme.12245
  5. Rapport global sur le diabète. OMS, 2016, page 8.
  6. Murrells T, Ball J, Maben J, et al. Nursing consultations and control of diabetes in general practice: a retrospective observational study. Br J Gen Pract 2015;65:e642-8. DOI: 10.3399/bjgp15X686881
  7. Laperche J, Chevalier P. Généralistes et infirmières, partenaires pour le suivi des patients chroniques? [Editorial] MinervaF 2006;5(7):97.
  8. Crowe M, Jones V, Stone MA, Coe G. The clinical effectiveness of nursing models of diabetes care: a synthesis of the evidence. Int J Nurs Stud 2019;93:119-28. DOI: 10.1016/j.ijnurstu.2019.03.004
  9. Craig P, Dieppe P, Macintyre S, et al, Developing and evaluating complex interventions: the new Medical Research Council guidance. BMJ 2008;337:a1655. DOI: 10.1136/bmj.a1655
  10. Bastiaens H, Benhalima K, Cloetens H, et al. Diabète sucré de type 2. Recommandations de Bonne Pratique. SSMG/DomusMedica 2015.

 

 

 

 




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