Analyse


Pas de place pour l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire


15 02 2020

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Mahmoud A, Gad M, Elgendy A, et al. Efficacy and safety of aspirin for primary prevention of cardiovascular events: a meta-analysis and trial sequential analysis of randomized controlled trials. Eur Heart J 2019;40:607-17. DOI: 10.1093/eurheartj/ehy813


Conclusion
Cette méta-analyse montre une nouvelle fois que l’aspirine n’est pas associée à une réduction de la mortalité, toutes causes confondues, en prévention primaire, même pour le patient diabétique ou le patient à haut risque cardiovasculaire (>7,5% à 10 ans). Les auteurs décrivent une petite réduction du risque de survenue d’infarctus du myocarde, mais ce résultat est caractérisé par une grande hétérogénéité et s’amenuise si l’on se limite aux études les plus récentes, détricotant ainsi l’association classique entre aspirine et diminution de l’incidence d’infarctus myocardique. Certaines études évoquaient un lien entre aspirine et prévention du cancer colorectal, mais ce lien n’est pas confirmé par les études les plus récentes, ce qui est cohérent avec la non-diminution de la mortalité globale constatée dans l’étude qui nous occupe. Cette méta-analyse montre aussi que l’aspirine est associée à un plus grand risque de saignement majeur et d’hémorragies intracrâniennes, tempérant ainsi le faible bénéfice attendu pour certains patients.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le CBIP, tout comme le SIGN, European Guidelines et la recommandation Domus Medica, n’accordent pas de place à l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire. Cette étude n’apporte pas d’argument solide justifiant de modifier les recommandations concernant l’utilisation de l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire. L’addition des résultats observés dans les revues systématiques réalisées encore récemment sur le sujet confortent fortement ces résultats.



En 2012, nous avons conclu dans Minerva (1) suite à la publication d’une méta-analyse (2) faisant le point sur l’intérêt de l’aspirine en prévention primaire (absence d’antécédent ischémique coronarien ou d’AVC) que celle-ci, de bonne qualité méthodologique, confirmait un intérêt limité de l’aspirine sur 6 ans en moyenne pour la prévention de l’infarctus du myocarde, sans différence entre les sexes, mais pas pour la mortalité cardiovasculaire et la mortalité par cancer. Par contre, le risque d’hémorragie était augmenté. Ces données étaient confirmées en 2019 par l’équipe de Zheng (3) également commentée dans Minerva (4). Une nouvelle méta-analyse avec des critères d’inclusion différents a paru utile.

 

Cette méta-analyse menée en 2018 inclut 11 RCTs et plus de 157000 patients (5). PubMed, Embase, Medline et Web of Science ont été consultés sans restriction de langue de publication et les bibliographies des articles ont été consultées afin d’inclure d’autres références si nécessaire. Les critères d’inclusion étaient la randomisation, la comparaison aspirine versus pas d’aspirine ou placebo, l’absence de tout antécédent cardiovasculaire, un nombre de patients minimal de 500. Les doses journalières d’aspirine variaient de 75 à 100 mg, sauf pour les deux études les plus anciennes pour lesquelles les doses variaient de 300 à 500 mg. Cette étude combine les résultats de trois études récentes (ASCEND, ASPREE et ARRIVE, incluant respectivement des patients diabétiques, des patients de plus de 65 ans et des patients à risque cardiovasculaire modéré) aux résultats de 8 autres études menées de 1988 à 2016. Une analyse séquentielle a été menée, séparant les résultats des études dont l’année de mi-inclusion était antérieure à 2000 de celles postérieures à ce seuil.

Le critère primaire d’efficacité était la mortalité, toutes causes confondues. Le critère secondaire d’efficacité était la mortalité cardiovasculaire : infarctus du myocarde, accident ischémique. Le critère primaire de sécurité était la survenue d’un saignement majeur et le critère secondaire de sécurité était la survenue d’une hémorragie intracrânienne. La qualité des études a été analysée avec l’outil bien connu de la Cochrane Collaboration ( Cochrane Collaboration’s tool for assessing risk of bias ).

Après un suivi moyen de 6,6 ans, la mortalité ne semble pas influencée par l’administration d’aspirine : RR de 0,98 avec un IC à 95% de 0,93 à 1,92. Cet effet reste consistant même après exclusion des études non-versus-placebo et des deux études incluant une minorité de patients à risque cardiovasculaire établi (RR de 0,99 avec un IC à 95% de 0,94 à 1,04). Cependant, la prise d’aspirine est associée à une augmentation de la survenue de saignement majeur : RR de 1,47 avec un IC à 95% de 1,31 à 1,65 et d’hémorragies intracrâniennes : RR de 1,33 avec un IC à 95% de 1,13 à 1,58. Les auteurs observent un effet similaire sur la mortalité toutes causes confondues et sur les saignements majeurs chez les patients diabétiques et ceux dont le risque cardiovasculaire à 10 ans > à 7,5%. L’analyse séquentielle semble tempérer ce résultat, limitant la réduction de risque relatif (RRR) à 5% si l’on ne prend en compte que les résultats des essais les plus récents.

La survenue de décès de cause cardiovasculaire et d’accidents ischémiques est similaire dans les deux bras de l’étude.

Les auteurs décrivent moins d’infarctus du myocarde dans le groupe traité, mais le calcul de cet effet est caractérisé par une grande hétérogénéité parmi les études incluses. Une analyse secondaire en sous-groupes prédéfinis montre qu’il n’y a pas de bénéfice à traiter par l’aspirine : RR de 0,90 avec IC à 95% de 0,79 à 1,02.

Versus placebo, l’incidence des saignements majeurs est supérieure dans le groupe traité : RR de 1,47 (avec IC à 95% de 1,31 à 1,65). Ces résultats ne changent pas après exclusion des études où l’aspirine n’est pas comparée à un placebo (RR de 1,44 avec IC à 95% de 1,28 à 1,62 ; p < 0,0001 ; I2 = 29%), ni après exclusion des études incluant des patients avec un antécédent cardiovasculaire (RR de 1,44 avec IC à 95% de 1,27 à 1,63 ; p < 0,0001 ; I2 = 34).

L’aspirine est associée à un plus grand risque d’hémorragie intracrânienne : RR de 1,33 (avec IC à 95% de 1,13 à 1,58 ; p = 0,001, I2 = 0%).

 

Conclusion

Cette méta-analyse montre une nouvelle fois (1-4) que l’aspirine n’est pas associée à une réduction de la mortalité, toutes causes confondues, en prévention primaire, même pour le patient diabétique ou le patient à haut risque cardiovasculaire (>7,5% à 10 ans). Les auteurs décrivent une petite réduction du risque de survenue d’infarctus du myocarde, mais ce résultat est caractérisé par une grande hétérogénéité et s’amenuise si l’on se limite aux études les plus récentes, détricotant ainsi l’association classique entre aspirine et diminution de l’incidence d’infarctus myocardique.

Certaines études évoquaient un lien entre aspirine et prévention du cancer colorectal (6), mais ce lien n’est pas confirmé par les études les plus récentes (7), ce qui est cohérent avec la non-diminution de la mortalité globale constatée dans l’étude qui nous occupe.

Cette méta-analyse montre aussi que l’aspirine est associée à un plus grand risque de saignement majeur et d’hémorragies intracrâniennes, tempérant ainsi le faible bénéfice attendu pour certains patients.

 

Pour la pratique

Le CBIP, tout comme le SIGN, European Guidelines et la recommandation Domus Medica (8-12), n’accordent pas de place à l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire.

Cette étude n’apporte pas d’argument solide justifiant de modifier les recommandations concernant l’utilisation de l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire. L’addition des résultats observés dans les revues systématiques réalisées encore récemment sur le sujet confortent fortement ces résultats.

Références  

  1. Chevalier P. Aucun intérêt de l’aspirine en prévention primaire ? MinervaF 2012;11(3):28-9.
  2. Seshasai SRK, Wijesuriya S, Sivakumaran R, et al. Effect of aspirin on vascular and nonvascular outcomes. Meta-analysis of randomized controlled trials. Arch Intern Med 2012;172:209-16. DOI: 10.1001/archinternmed.2011.628
  3. Zheng SL, Roddick AJ, et al. Association of aspirin use for primary prevention with cardiovascular events and bleeding events: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2019;321:277-87. DOI: 10.1001/jama.2018.20578
  4. Valentin S. Aspirine en prévention cardiovasculaire primaire : du nouveau ? Minerva bref 17/11/2019.
  5. Mahmoud A, Gad M, Elgendy A, et al. Efficacy and safety of aspirin for primary prevention of cardiovascular events: a meta-analysis and trial sequential analysis of randomized controlled trials. Eur Heart J 2019;40:607-17. DOI: 10.1093/eurheartj/ehy813
  6. Rothwell JF, Price JF, Fowkes FG, et al. Short-term effects of daily aspirin on cancer incidence, mortality, and non-vascular death: analysis of the time course of risks and benefits in 51 randomized controlled trials. Lancet 2012;379:1602-12. DOI: 10.1016/S0140-6736(11)61720-0
  7. Mc Neil JJ, Nelson MR, Woods RL, et al. ASPREE investigator Group. Effect of aspirin, on all-cause mortality in the healthy elderly. N Engl J Med 2018;379:1519-28. DOI: 10.1056/NEJMoa1803955
  8. CBIP. Trois études majeures le confirment: l’acide acétylsalicylique n’a pas sa place dans la prévention cardiovasculaire primaire. Folia Pharmacotherapeutica, avril 2019.
  9. CBIP. Acide acétylsalicylique en prévention primaire des accidents cardio-vasculaires et du cancer. Folia Pharmacotherapeutica, septembre 2012.
  10. Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Risk estimation and the prevention of cardiovascular disease. SIGN 2017. (SIGN publication no. 149). Disponible sur: http://www.sign.ac.uk
  11. Piepoli MF, Hoes AW, Agewall S, et al; ESC Scientific Document Group. 2016 European guidelines on cardiovascular disease prevention on clinical practice (constituted by representatives of 10 societies and by invited experts) Developed with the special contribution of the European Association for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation (EACPR). Eur Heart J 2016;37:2315-81. DOI: 10.1093/eurheartj/ehw106
  12. Boland B, Christiaens T, Goderis G, et al. Globaal cardiovasculair risicobeheer. Domus Medica 2007 (in herziening). (uniquement disponible en Néerlandais)

 

 

 




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