Analyse


Quel risque d’hémorragie intracrânienne avec l’aspirine en prévention primaire ?


15 06 2020

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Huang WY, Saver JL, Wu YL, et al. Frequency of intracranial hemorrhage with low-dose aspirin in individuals without symptomatic cardiovascular disease: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2019;76:906‐14. DOI: 10.1001/jamaneurol.2019.1120


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse de qualité méthodologique suffisante montre une augmentation significative du risque d’hémorragie intracrânienne (HI) avec l’aspirine en prévention primaire. Une augmentation significative du risque d’hémorragie sous-durale ou épidurale est observée. Cela renforce le message de non-recommandation de l’aspirine en prévention primaire de manière générale. Le bénéfice mal établi d’une faible dose d’aspirine en prévention d’événement cardiovasculaire est fortement contrebalancé par le risque d’hémorragie intracrânienne. Néanmoins, le risque majoré d’HI observé dans cette méta-analyse était principalement déterminé par l’étude ASPREE réalisée chez les patients > 70 ans.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le guide de pratique ESC et le CBIP ne recommandent pas l’utilisation de l’aspirine chez les patients sans pathologie cardiovasculaire car la balance bénéfice – risque n’est pas favorable. La revue systématique avec méta-analyses discutée ici montre une augmentation significative du risque d’hémorragie intracrânienne avec l’aspirine en prévention primaire. Les recherches doivent être affinées si l’on veut prouver qu’un type de patient en particulier pourrait malgré tout bénéficier de l’aspirine en prévention primaire.



 

Nous avons déjà analysé à plusieurs reprises dans Minerva la place de l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire (1-6). Ces 3 analyses les plus récentes font état d’un manque d’arguments (balance bénéfice-risque non favorable) pour accorder une place à l’aspirine en prévention primaire. Ces analyses se basaient sur 2 méta-analyses récentes (6,7). Une autre étude réalisée en Nouvelle-Zélande a cherché à déterminer quels patients resteraient malgré tout bénéficiaires de l’aspirine en prévention primaire (c'est-à-dire les patients à haut risque cardiovasculaire et faible risque de saignements) (8). Le risque d’hémorragie intracrânienne (HI) est le plus redouté avec l’aspirine. Les nouvelles données disponibles (trois larges études randomisées contrôlées (9,11)), le manque de consistance des données sur le risque d’HI ainsi que le manque de détails sur les sous-types de saignements les plus fréquents ont mené à la réalisation d’une revue systématique et méta-analyse.

 

Dans la méta-analyse de Huang (12) publiée en 2019, les auteurs ont inclus les études randomisées contrôlées (RCTs) comparant la prise d’aspirine (depuis 6 mois minimum) versus placebo ou pas d’aspirine. La présence de maladies cardiovasculaires (CV) symptomatiques préexistantes ainsi que des doses d’aspirine supérieures à 100 mg par jour étaient des critères d’exclusion. Les bases de données PubMed, Embase et Central ont été consultées de 1966 à 2018, ainsi que le registre des études cliniques ClinicalTrials.gov. La qualité des études a été évaluée selon les 6 domaines du « Cochrane risk of bias tool ». Le critère d’évaluation primaire était le risque d’HI. Les critères d’évaluation secondaires concernaient les sous-types d’HI : hémorragie intracérébrale, sous-arachnoïdienne, sous-durale ou épidurale. L’analyse a été réalisée en intention de traiter, avec un modèle à effets aléatoires.  

Treize RCTs ont été incluses, représentant un total de 134446 patients. Les populations étudiées étaient variables, incluant notamment des patients avec diabète (N=3), ≥ 1 facteur de risque CV (N=4), polycythémie essentielle (N=1) ou des patients âgés sans démence ni dépendance (N=1). L’âge variait de 43 à 74 ans, et la durée de suivi de 2,3 à 8,2 années. Les auteurs ont relevé un biais de performance dans 3 études (non menées en aveugle), ainsi qu’un biais d’attrition dans 3 études.

Les résultats montrent que la prise d’aspirine à faible dose augmente la survenue d’HI, avec un risque relatif (RR) de 1,37 avec IC de 95% de 1,13 à 1,66 (8 études), une augmentation de risque absolu de 0,17% et un nombre de sujets nécessaire pour nuire (NNH) de 580. Cet effet devient non significatif (RR de 1,28 avec IC de 95% de 0,99 à 1,65) après exclusion de l’étude ASPREE (chez les personnes âgées), lors d’une analyse de sensibilité.

Concernant les sous-types d’HI, les auteurs décrivent une augmentation non significative du risque d’hémorragie intracérébrale (RR de 1,23 avec IC de 95% de 0,98 à 1,54 ; 10 études), ainsi que du risque d’hémorragie sous-arachnoïdienne (RR de 1,13 avec IC à 95% de 0,70 à 1,83 ; 5 études). Ils ont par contre observé une augmentation significative du risque d’hémorragie sous-durale ou épidurale (RR de 1,53 avec IC de 95% de 1,08 à 2,18 ; 4 études). Dans une analyse en sous-groupes, l’aspirine à faible dose augmentait le risque d’hémorragie intracérébrale avec un RR de 1,84 avec IC de 95% de 1,04 à 3,27 (2 études) dans les populations asiatiques avec un BMI < 25.

 

Conclusion

Cette revue systématique avec méta-analyse de qualité méthodologique suffisante montre une augmentation significative du risque d’hémorragie intracrânienne (HI) avec l’aspirine en prévention primaire. Une augmentation significative du risque d’hémorragie sous-durale ou épidurale est observée. Cela renforce le message de non-recommandation de l’aspirine en prévention primaire de manière générale. Le bénéfice mal établi d’une faible dose d’aspirine en prévention d’événement cardiovasculaire est fortement contrebalancé par le risque d’hémorragie intracrânienne. Néanmoins, le risque majoré d’HI observé dans cette méta-analyse était principalement déterminé par l’étude ASPREE réalisée chez les patients > 70 ans.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique ESC (13) et le CBIP (14) ne recommandent pas l’utilisation de l’aspirine chez les patients sans pathologie cardiovasculaire car la balance bénéfice – risque n’est pas favorable. La revue systématique avec méta-analyses discutée ici montre une augmentation significative du risque d’hémorragie intracrânienne avec l’aspirine en prévention primaire. Les recherches doivent être affinées si l’on veut prouver qu’un type de patient en particulier pourrait malgré tout bénéficier de l’aspirine en prévention primaire.

 

 

Références  

  1. Chevalier P. Aspirine en prévention primaire chez les patients souffrant de diabète ? Minerva bref 15/09/2017.
  2. Kunutsor SK, Seidu S, Khunti K. Aspirin for primary prevention of cardiovascular and all-cause mortality events in diabetes: updated meta-analysis of randomized controlled trials. Diabet Med 2016;34:316-27. DOI: 10.1111/dme.13133
  3. Valentin S. Aspirine en prévention cardiovasculaire primaire : du nouveau ? Minerva bref 17/11/2019.
  4. Zheng SL, Roddick AJ, et al. Association of aspirin use for primary prevention with cardiovascular events and bleeding events: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2019;321:277-87. DOI: 10.1001/jama.2018.20578
  5. Valentin S. Pas de place pour l’aspirine en prévention cardiovasculaire primaire. Minerva bref 15/02/2020.
  6. Mahmoud A, Gad M, Elgendy A, et al. Efficacy and safety of aspirin for primary prevention of cardiovascular events: a meta-analysis and trial sequential analysis of randomized controlled trials. Eur Heart J 2019;40:607-17. DOI: 10.1093/eurheartj/ehy813
  7. Zheng SL, Roddick AJ. Association of aspirin use for primary prevention with cardiovascular events and bleeding events: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2019;321:277-87. DOI: 10.1001/jama.2018.20578
  8. Selak V, Jackson R, Poppe K, et al. Personalized prediction of cardiovascular benefits and bleeding harms from aspirin for primary prevention: a benefit-harm analysis. Ann Intern Med 2019;171:529-39. DOI: 10.7326/M19-1132
  9. Gaziano JM, Brotons C, Coppolecchia R, et al. ARRIVE Executive Committee. Use of aspirin to reduce risk of initial vascular events in patients at moderate risk of cardiovascular disease. Lancet 2018;392:1036-46. DOI: 10.1016/S0140-6736(18)31924-X
  10. Bowman L, Mafham M, Wallendszus K, et al. ASCEND Study Collaborative Group. Effects of aspirin for primary prevention in persons with diabetes mellitus. NEJM 2018;379:1529-39. DOI: 10.1056/NEJMoa1804988
  11. McNeil JJ, Wolfe R, Woods RL, et al. ASPREE Investigator Group. Effect of aspirin on cardiovascular events and bleeding in the healthy elderly. NEJM 2018;379:1509-18. DOI: 10.1056/NEJMoa1805819
  12. Huang WY, Saver JL, Wu YL, et al. Frequency of intracranial hemorrhage with low-dose aspirin in individuals without symptomatic cardiovascular disease: a systematic review and meta-analysis. JAMA Neurol 2019;76:906-14. DOI: 10.1001/jamaneurol.2019.1120
  13. Piepoli MF, Hoes AW, Agewall S, et al; ESC Scientific Document Group. 2016 European guidelines on cardiovascular disease prevention on clinical practice (constituted by representatives of 10 societies and by invited experts) Developed with the special contribution of the European Association for Cardiovascular Prevention & Rehabilitation (EACPR). Eur Heart J 2016;37:2315-81. DOI: 10.1093/eurheartj/ehw106
  14. CBIP. Trois études majeures le confirment: l’acide acétylsalicylique n’a pas sa place dans la prévention cardiovasculaire primaire. Folia Pharmacotherapeutica, avril 2019.

Auteurs

Mouzon A.
pharmacien hospitalier clinicien CHU UCL Namur (Site Godinne), attachée au service de Pharmacie et de Gériatrie
COI :

Sennesael A-L
pharmacien hospitalier, Service Pharmacie clinique Namur, Thrombosis and Hemostasis Center, Sites de Dinant et Godinne
COI :

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