Analyse


La vitamine D réduit-elle la mortalité par cancer ?


16 10 2020

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste
Analyse de
Zhang Y, Fang F, Tang J, et al. Association between vitamin D supplementation and mortality: systematic review and meta-analysis. BMJ 2019;366:l4673. DOI: 10.1136/bmj.l4673


Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse correctement conduite montre que la prise de vitamine D3 n’a pas d’influence sur la mortalité totale. Cependant, la prise de vitamine D3 semble bien, à court terme, réduire la mortalité par cancer. L’ampleur de l’effet était toutefois modeste, et d’autres études avec la mortalité par cancer comme principal critère de jugement et un suivi suffisamment long devront encore confirmer ce résultat.



Dans Minerva, nous avons déjà discuté d’une synthèse méthodique Cochrane qui montrait que les suppléments de vitamine D3 chez les personnes âgées en maison de repos et de soins (majoritairement des femmes), outre leur utilité dans la prévention des fractures, semblaient aussi avoir un effet bénéfique en termes de mortalité (1,2).

 

Les auteurs d’une synthèse méthodique avec méta-analyses, plus récente (3), ont sélectionné, à partir de plusieurs bases de données (dont MEDLINE, Embase et le registre central Cochrane, jusqu’au 26 décembre 2018), 52 études randomisées contrôlées comparant l’effet d’un supplément en vitamine D sur la mortalité globale par comparaison avec un placebo ou avec l’absence de traitement. Les rapports de cas, les séries de cas et les études observationnelles ont été exclues, de même que les études portant sur des formes hydroxylées de la vitamine D (calcifédiol, alfacalcidol) et sur des analogues de la vitamine D (calcitriol, calcipotriol). La sélection des études, l’extraction des données et l’évaluation de la qualité méthodologique au moyen de l’outil de la Collaboration Cochrane « Risque de biais » ont été effectuées par deux auteurs indépendants. Un faible risque de biais dans tous les domaines a été constaté pour 21 études. La méta-analyse a été effectuée en intention de traiter.

75454 adultes de plus de 18 ans ont été inclus. Les résultats montrent que la vitamine D n’a pas d’influence sur la mortalité totale : RR de 0,98 avec IC à 95% de 0,95 à 1,02 ; I² = 0%. Une analyse de sensibilité excluant les études ayant un risque de biais élevé ou indéterminé est arrivée aux mêmes résultats. Une analyse de sous-groupes a indiqué une mortalité totale plus faible, et ce de manière statistiquement significative, avec la vitamine D3 (colécalciférol) qu’avec la vitamine D2 (ergocalciférol), bien qu’aucune des deux n’était associée à une mortalité totale plus faible par rapport au groupe contrôle. Il n’y avait pas de différence en fonction de la dose (plus ou moins que 2 000 UI), de l’administration en bolus ou non, de l’administration quotidienne ou intermittente, de l’association ou non à la prise de calcium, du taux sérique en 25-hydroxyvitamine D à l’entrée dans l’étude (> 50 nmol/l versus < 50 nmol/l), de l’âge moyen (> 70 ans versus < 70 ans), du sexe, du lieu de séjour (domicile versus maison de repos et de soins), de la durée du suivi (> 3 ans versus < 3 ans), de l’année de publication (avant 2014 versus 2014 ou après) et de la latitude (> 40° versus < 40°).

La dose et la posologie pour la supplémentation en vitamine D variaient d’une étude à l’autre, de sorte que les auteurs n’ont pas pu déterminer une dose quotidienne potentiellement efficace pour la vitamine D. Le taux sérique en 25-hydroxyvitamine D à l’entrée dans l’étude n’était généralement pas suffisamment faible pour permettre de montrer une valeur ajoutée évidente de la supplémentation en vitamine D. Nous savons, sur la base d’une étude observationnelle, qu’un faible taux sérique en 25-hydroxyvitamine D accroît le risque de décès par maladie cardiovasculaire et par cancer (4,5).

L’étude n’a pas non plus montré d’influence de la supplémentation en vitamine D sur la mortalité cardiovasculaire et sur la mortalité non liée à un problème cardiovasculaire et non liée à un cancer. Le risque de décès par cancer, en revanche, était 16% plus faible dans le groupe vitamine D : RR de 0,84 avec IC à 95% de 0,74 à 0,95 ; I² = 0%. Dans une analyse de sous-groupe, seule la vitamine D3 semblait en être responsable. Si l’on prend les chiffres absolus, la différence était de 2,2% de risque de décès versus 1,8%, ce qui revient à un nombre de sujets à traiter (Number Needed to Treat, NNT) de 250. Seules 12 des 52 études (79 à 25871 patients par étude) ont examiné l’effet sur la mortalité due au cancer. Dans aucune étude individuelle, la vitamine D n’a montré une diminution statistiquement significative de la mortalité par cancer, y compris les deux études ayant le plus de poids (6).

Dans ces deux études, le suivi était relativement court, à savoir 3 et 5 ans (7,8) et la puissance était peut-être insuffisante pour montrer un effet sur la mortalité par cancer. En outre, dans l’étude VITAL, 42,5% des patients du groupe contrôle (n =12944) prenaient aussi de la vitamine D à une dose < 800 UI/jour. Cela compromet la comparaison entre les deux groupes (8). D’autre part, les auteurs soulignent qu’une étude similaire menée aux Pays-Bas (9) a également montré un effet protecteur de la vitamine D contre le décès par cancer, avec un rapport de cotes (RC) de 0,87 (avec IC à 95% de 0,79 à 0,96). Toutefois, les auteurs de cette étude avaient aussi inclus des études avec de la vitamine D hydroxylée, des analogues de la vitamine D et des associations de vitamine D et de calcium.

 

Que disent les guides de pratique clinique

Hormis l’utilisation de la vitamine D en association avec le calcium pour le traitement de l’ostéoporose (10,11), il n’existe pas de directive claire sur l’utilisation de la vitamine D. Le NICE encourage la supplémentation en vitamine D pour les populations sujettes à une carence en vitamine D, telles que enfants de moins de 4 ans, les femmes enceintes et celles qui allaitent, les personnes âgées de plus de 65 ans, les personnes qui ne sont jamais exposées au soleil, les personnes à peau foncée, les végétariens qui ne mangent pas de noix (12). En Belgique, le colécalciférol est disponible en gouttes et en ampoule. Le rapport de consensus sur l’utilisation rationnelle du calcium et de la vitamine D considère suffisant un taux sérique en 25-hydroxyvitamine D3 (= le plus actif des métabolites du colécalciférol) supérieur à 20 ng/ml (= 50 nmol/l) (13). Cette valeur cible peut être retenue. La synthèse méthodique et méta-analyse décrite ci-dessus ne permet pas de dégager une recommandation concrète concernant l’utilisation de la vitamine D en prévention du décès par cancer.

 

Conclusion

Cette synthèse méthodique et méta-analyse correctement conduite montre que la prise de vitamine D3 n’a pas d’influence sur la mortalité totale. Cependant, la prise de vitamine D3 semble bien, à court terme, réduire la mortalité par cancer. L’ampleur de l’effet était toutefois modeste, et d’autres études avec la mortalité par cancer comme principal critère de jugement et un suivi suffisamment long devront encore confirmer ce résultat.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Les bienfaits de la vitamine D chez la femme âgée (institutionnalisée). Minerva bref 28/05/2012.
  2. Bjelakovic G, Gluud LL, Nikolova D, et al. Vitamin D supplementation for prevention of mortality in adults. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 7. DOI: 10.1002/14651858.CD007470.pub2
  3. Zhang Y, Fang F, Tang J, et al. Association between vitamin D supplementation and mortality: systematic review and meta-analysis. BMJ 2019;366:l4673. DOI: 10.1136/bmj.l4673
  4. Chowdhury R, Kunutsor S, Vitezova A, et al. Vitamin D and risk of cause specific death: systematic review and meta-analysis of observational cohort and randomised intervention studies. BMJ 2014;348:g1903. DOI: 10.1136/bmj.g1903
  5. Wang TJ. Vitamin D and cardiovascular disease. Annu Rev Med 2016;67:261-72. DOI: 10.1146/annurev-med-051214-025146
  6. Michiels B. Qu’entend-on par le « poids » d’une étude dans une méta-analyse ? MinervaF 2016;15(10):266-7.
  7. Avenell A, MacLennan GS, Jenkinson DJ, et al; RECORD Trial Group. Long-term follow-up for mortality and cancer in a randomized placebo-controlled trial of vitamin D(3) and/or calcium (RECORD trial). J Clin Endocrinol Metab 2012;97:614-22. DOI: 10.1210/jc.2011-1309
  8. Manson JE, Cook NR, Lee IM, et al; VITAL Research Group. Vitamin D supplements and prevention of cancer and cardiovascular disease. N Engl J Med 2019;380:33-44. DOI: 10.1056/NEJMoa1809944
  9. Keum N, Lee DH, Greenwood DC, et al. Vitamin D supplementation and total cancer incidence and mortality: a meta-analysis of randomized controlled trials. Ann Oncol 2019;30:733-43. DOI: 10.1093/annonc/mdz059
  10. Ostéoporose. Ebpracticenet 1/01/2000. Dernière mise à jour: 22/09/2017. Dernière révision contextuelle: 19/12/2017.
  11. Richtlijn osteoporose en fractuurpreventie. Derde herziening. Nederlandse vereniging voor Reumatologie/NHG 2011.
  12. National Institute for Health and Care Excellence. Vitamin D: supplement use in specific population groups. NICE. Public health guideline [PH56]. Published date: 26 November 2014. Last updated: 30 August 2017 (geraadpleegd op 26 maart 2020).
  13. INAMI. L'usage rationnel du calcium et de la vitamine D. Réunion de consensus du 28/05/2015. Conclusions - Rapport du jury - Texte long.

 

 

 

 


Auteurs

Laekeman G.
em. Klinische Farmacologie en Farmacotherapie, KU Leuven
COI :

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