Analyse


Pas de place pour l’hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19


15 04 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Cortegiani A, Ippolito M, Ingoglia G, et al. Update I. A systematic review on the efficacy and safety of chloroquine/hydroxychloroquine for COVID-19. J Crit Care 2020;59:176-90. DOI: 10.1016/j.jcrc.2020.06.019


Conclusion
L’intérêt de cette revue systématique réside surtout dans son inventaire descriptif, détaillé et critique, des données disponibles sur l’effet de l’hydroxychloroquine chez les patients covid-19, dans la mise en évidence du peu d’études randomisées de qualité à ce sujet et dans la discussion approfondie sur les effets arythmogènes de l’HCQ (les auteurs sont intensivistes). Mais elle est d’un intérêt limité pour la pratique clinique : elle suggère prudemment que l’HCQ pourrait ne pas être efficace dans le traitement des patients covid-19 hospitalisés ni dans celui des cas-contact et conclut à la nécessité de ne continuer à traiter ces patients que dans le cadre de nouvelles études randomisées de bonne qualité. Elle n’apporte pas non plus de données sur l’efficacité de l’administration précoce d’HCQ aux patients non hospitalisés qui représentent la grande majorité des patients covid-19 suivis en première ligne de soins. La saga de l’hydroxychloroquine semble donc enfin se terminer et il faut se demander s’il n’est pas temps d’arrêter de mobiliser encore des ressources dans de nouvelles études évaluant son efficacité dans le traitement du covid-19. Il est interpellant de constater l’abondance de méta-analyses (une trentaine !) publiées en moins d’un an à ce sujet en contraste avec le nombre modeste de RCTs qui les alimentent. Beaucoup d’entre elles sont redondantes ou de faible qualité méthodologique et biaisées, au risque de semer la confusion chez les cliniciens plutôt que de les éclairer sur les décisions à prendre dans leur pratique.



Il y a un an nous avions analysé dans Minerva une des premières études publiées sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine (HCQ) chez les patients hospitalisés pour covid-19 (1,2). Cette étude aux résultats spectaculaires et fortement médiatisés était de piètre qualité méthodologique et ne soutenait aucunement l’usage de l’HCQ en pratique courante. Nous avions conclu à la nécessité urgente de mener à ce sujet des études randomisées rigoureuses et portant sur un nombre suffisant de patients.

Dans cette revue systématique (3) des intensivistes italiens et israéliens ont rassemblé les études sur l’utilisation de chloroquine/hydroxychloroquine (CQ/HCQ) chez des patients covid-19 disponibles dans les banques de données médicales jusqu’en juin 2020, qu’elles soient publiées (Medline, Embase) ou non publiées (sites de prépublications MedRxiv et BioRxiv). 32 études cliniques ont ainsi été sélectionnées portant sur 29000 patients : 6 études contrôlées randomisées (RCT), 14 études observationnelles contrôlées (NRCT) et 12 études observationnelles non comparatives. Les trois quarts d’entre elles (N = 23) ont été jugées par les auteurs à haut risque de biais et leurs données n’ont pas été prises en compte pour l’évaluation globale de l’efficacité de la CQ/HCQ. Sur base des 9 études restantes les auteurs suggèrent que la CQ/HCQ ne réduirait pas le taux de mortalité des patients hospitalisés pour covid-19 ni le taux d’infection des cas-contacts traités en prophylaxie et qu’elle augmenterait même la mortalité en cas de dosage élevé ou d’association aux macrolides. Les auteurs insistent sur le fait que leurs conclusions s’appuient sur un faible niveau de preuve (études pour la plupart non randomisées). Ils ont dû se limiter à une synthèse qualitative et n’ont pu réaliser de méta-analyse quantitative des résultats : ils n’ont trouvé que 2 RCTs suffisamment fiables (faible risque de biais) et elles étaient totalement hétérogènes, l’une d’entre elles comparant l’efficacité de deux dosages différents d’HCQ chez des patients covid-19 hospitalisés et l’autre analysant l’efficacité d’un traitement prophylactique par HCQ chez des cas-contacts.

D’un point de vue méthodologique, cette revue systématique est globalement satisfaisante : son protocole a été préenregistré, la littérature grise a été explorée, la recherche des études a été faite sans restriction de langage, les processus de sélection des études, d’analyse de leur qualité et d’extraction des données ont été menés par deux auteurs indépendamment l’un de l’autre. Les outils employés pour l’analyse du risque de bais sont validés : RoB2 pour les RCTs (Revisited tool for Risk of Bias) et ROBINS-I pour les NRCTs (Risk of Bias in Non-randomized Studies of Interventions). La décision de n’effectuer de méta-analyse qu’en présence d’au moins 2 RCTs suffisamment fiables et homogènes est correcte et avait été pré-spécifiée dans le protocole.

On relève néanmoins certaines lacunes en ce qui concerne la méthode de recherche des études et leur sélection.

  • Les auteurs n’ont pas trouvé 6 études qui étaient pourtant disponibles en ligne avant juin 2020 et qu’on retrouve dans des méta-analyses publiées ultérieurement.

Ils n’ont pas non plus inclus l’étude de Gautret (2) que nous avions analysée précédemment alors qu’ils la citent dans leur publication. Interrogé à ce sujet l’auteur principal a répondu que les patients concernés étaient repris dans une autre étude de Gautret incluse quant à elle dans la revue systématique. Cette réponse s’est avérée inexacte : seuls les patients traités par l’association HCQ-azithromycine (6 sur 20) dans la première étude ont été inclus dans la seconde.

Ils ont inclus une étude mise en ligne sur MedRxiv qui n’a jamais été publiée par la suite, les auteurs s’étant rétractés. On ne peut bien sûr pas en tenir rigueur aux auteurs mais cela pose la question des éventuelles limites de l’intégration dans les revues systématiques des prépublications (9 études sur 32 dans le cas présent) qui prolifèrent depuis récemment sur les nombreux sites les hébergeant (MedRxiv, BioRxiv, Authorea, Preprint.org…).

  • La question de recherche (PICO) était extrêmement large et d’emblée plus adaptée à une revue systématique qualitative qu’à une méta-analyse :
    •           patients atteints de covid-19 ou à risque de le contracter
    • I             CQ ou HCQ seules ou en association avec d’autres substances
    • C           soins standard, placebo, autre médication seule ou associée à l’HCQ, autre dosage de CQ/HCQ
    • O           efficacité : mortalité, amélioration clinique, durée d’hospitalisation, nécessité de ventilation assistée, durée de séjour en soins intensifs, clairance virale, taux d’infection; innocuité : anomalies du QT et arythmies, troubles visuels
    • T            type d’études : RCT, NRCT, études observationnelles non comparatives

Il n’y avait pas de critère de jugement principal défini dans le protocole ni dans la section « PICO » de l’étude mais il apparaît plus oin dans la publication, dans la section « traitement des données » : taux de mortalité pour les patients covid-19 et taux d’infection pour les cas-contacts. Ce flou sème le doute sur le caractère à priori ou ad hoc de la définition de ce critère de jugement.

Deux méta-analyses plus récentes apportent des réponses plus claires et précises sur la question..

  • Une revue systématique de chercheurs français (4) s’est focalisée sur la mortalité des patients traités par HCQ pour covid-19 et a intégré de nombreuses études publiées ou mises en ligne durant les 6 semaines suivant la période de recherche de la revue systématique analysée ici, dont une vaste étude randomisée multicentrique menée sur plus de 4000 patients hospitalisés (5) ainsi qu’une étude randomisée menée sur des patients atteints de formes légères de covid-19 traités en ambulatoire (6). Les résultats montrent clairement l’absence de différence statistiquement significative entre la mortalité des patients traités par HCQ et celle constatée sous traitement standard : RR de 0,83 avec IC à 95% de 0,65 à 1,06; N = 17 études. Cette absence d’efficacité est retrouvée aussi bien pour les études observationnelles (RR de 0,79 avec IC à 95% de 0,60 à 1,04 ; N = 14 études) que pour les études randomisées (RR de 1,09 avec IC à 95% de 0,97 à 1,24 ; N = 3 études). Prises individuellement, seules des études observationnelles avaient montré une efficacité de l’HCQ. La méta-analyse montre aussi une surmortalité chez les patients traités par association HCQ-azithromycine (RR de 1,27 avec IC à 95% de 1,04 à 1,54 ; N = 7 études).
  • Une revue systématique de chercheurs canadiens (7) a porté sur l’efficacité de l’HCQ dans le traitement préventif des cas-contacts. Elle montre sur base de 4 RCTs l’absence d’efficacité de l’HCQ sur le risque d’apparition de covid-19 (RR de 0,82 avec IC à 95% de 0,65 à 1,04), sur le risque d’hospitalisation (RR de 0,72 avec IC à 95% de 0,34 à 1,50) et de décès, tout en montrant une augmentation significative des effets indésirables (RR de 2,76 avec IC à 95% de 1,38 à 5,55).

Que disent les guides de pratique clinique ?

L’OMS recommande fortement de ne pas employer l’hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19 et des cas-contacts (8,9). Le CBIP constate l’absence d’efficacité de l’HCQ dans les études (10). La France (ANSM) et les USA (FDA) ont retiré l’autorisation provisoire d’usage off-label d’HCQ qu’elles avaient accordée en début de pandémie. Seules les autorités sanitaires indiennes continuent à la recommander en usage préventif (11).

 

Conclusion

L’intérêt de cette revue systématique réside surtout dans son inventaire descriptif, détaillé et critique, des données disponibles sur l’effet de l’hydroxychloroquine chez les patients covid-19, dans la mise en évidence du peu d’études randomisées de qualité à ce sujet et dans la discussion approfondie sur les effets arythmogènes de l’HCQ (les auteurs sont intensivistes). Mais elle est d’un intérêt limité pour la pratique clinique : elle suggère prudemment que l’HCQ pourrait ne pas être efficace dans le traitement des patients covid-19 hospitalisés ni dans celui des cas-contact et conclut à la nécessité de ne continuer à traiter ces patients que dans le cadre de nouvelles études randomisées de bonne qualité. Elle n’apporte pas non plus de données sur l’efficacité de l’administration précoce d’HCQ aux patients non hospitalisés qui représentent la grande majorité des patients covid-19 suivis en première ligne de soins.

La saga de l’hydroxychloroquine semble donc enfin se terminer et il faut se demander s’il n’est pas temps d’arrêter de mobiliser encore des ressources dans de nouvelles études évaluant son efficacité dans le traitement du covid-19. Il est interpellant de constater l’abondance de méta-analyses (une trentaine !) publiées en moins d’un an à ce sujet en contraste avec le nombre modeste de RCTs qui les alimentent. Beaucoup d’entre elles sont redondantes ou de faible qualité méthodologique et biaisées, au risque de semer la confusion chez les cliniciens plutôt que de les éclairer sur les décisions à prendre dans leur pratique.

 

Références 

  1. Denis B. L’hydroxychloroquine est-elle indiquée dans le traitement de patients covid-19 ? Minerva bref 15/04/2020.
  2. Gautret P, Lagier JC, Parola P, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19 : results of an open-label non-randomized clinical trial. Int J Antimicrob Agents 2020;56:105949. DOI: 10.1016/j.ijantimicag.2020.105949
  3. Cortegiani A, Ippolito M, Ingoglia G, et al. Update I. A systematic review on the efficacy and safety of chloroquine/hydroxychloroquine for COVID-19. J Crit Care 2020 Jul;59:176-90. DOI: 10.1016/j.jcrc.2020.06.019
  4. Fiolet T, Guihur A, Rebeaud MA, et al. Effect of hydroxychloroquine with or without azithromycin on the mortality of coronavirus disease 2019 (COVID-19) patients: a systematic review and meta-analysis. Clin Microbiol Infect 2021;27:138-40. DOI: 10.1016/j.cmi.2020.08.022
  5. Horby P, Mafham M, Linsell L, et al; RECOVERY Collaborative Group. Effect of hydroxychloroquine in hospitalized patients with covid-19. N Engl J Med 2020;383:2030-40. DOI: 10.1056/NEJMoa2022926
  6. Skipper CP, Pastick KA, Engen NW, et al. Hydroxychloroquine in nonhospitalized adults with early COVID-19 : a randomized trial. Ann Intern Med 2020;173:623-31. DOI: 10.7326/M20-4207
  7. Lewis K, Chaudhuri D, Alshamsi F, et al. The efficacy and safety of hydroxychloroquine for COVID-19 prophylaxis: a systematic review and meta-analysis of randomized trials. Plos One 2021;16: e0244778. DOI: 10.1371/journal.pone.0244778
  8. A living WHO guideline on drugs for covid-19. BMJ 2020;370:m3379. DOI: 10.1136/bmj.m3379
  9. Lamontagne F, Agoritsas T, Siemieniuk R, et al. A living WHO guideline on drugs to prevent covid-19. BMJ 2021;372:n526. DOI: 10.1136/bmj.n526
  10. Répertoire commenté des médicaments. Spécialités. Hydroxychloroquine. CBIP avril 2021.
  11. Rathi S, Ish P, Kalantri A, Kalantri S. Hydroxychloroquine prophylaxis for COVID-19 contacts in India. Lancet Infect Dis 2020;20:1118-19. DOI: 10.1016/S1473-3099(20)30313-3

 

 

 

 

 


Auteurs

Denis B.
médecin généraliste, ancien formateur au CEBAM (Centre Cochrane Belge)
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