Analyse


Augmentation nocturne de la pression artérielle et risque cardiovasculaire


15 05 2021

Professions de santé

Médecin généraliste
Analyse de
Kario K, Hoshide S, Mizuno H, et al; JAMP Study Group. Nighttime blood pressure phenotype and cardiovascular prognosis: practitioner-based nationwide JAMP Study. Circulation 2020;142:1810-20. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.049730. Erratum in: Circulation 2020;142:e632. DOI: 10.1161/CIR.0000000000000944


Conclusion
Cette étude de cohorte japonaise, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, comptant plus de 6000 personnes, dont les trois quarts prenaient des antihypertenseurs à l’inclusion, montre, après correction pour tenir compte de nombreux paramètres démographiques et cliniques pertinents et de la pression artérielle systolique conventionnelle, qu’une pression artérielle systolique nocturne plus élevée mesurée avec une méthode standardisée de mesure de la pression artérielle ambulatoire sur 24 heures est associée à un risque accru d’événements cardiovasculaires. Par comparaison avec une diminution de 10 à 20% de la pression artérielle nocturne par rapport à la pression artérielle diurne (dippers), une augmentation de la pression artérielle nocturne par rapport à la pression artérielle diurne (risers) semble être associée à une augmentation statistiquement significative des événements cardiovasculaires. On ignore encore quelle est la valeur ajoutée de ces résultats d’un point de vue clinique pour la première ligne de soins. Il est donc conseillé d'attendre que des études randomisées contrôlées disposant d’un bon plan expérimental apportent des preuves suffisantes de tout bénéfice thérapeutique dans les différents sous-groupes de patients.



Le test de référence pour le diagnostic de l’hypertension artérielle est la surveillance ambulatoire de la pression artérielle sur 24 heures. Par comparaison avec cette méthode de mesure, la mesure conventionnelle de la pression artérielle et la mesure à domicile ont une faible force probante et excluante (1,2). Mais vu la lourdeur d’une surveillance ambulatoire de la pression artérielle 24 heures sur 24 en première ligne, il est recommandé au médecin généraliste de diagnostiquer l’hypertension en associant les mesures conventionnelles qu’il effectue et des automesures effectuées par le patient à domicile et en contrôlant mutuellement les deux méthodes (3). Dans une analyse de Minerva sur l’impact de la prise d’au moins un antihypertenseur au coucher au lieu de tous les antihypertenseurs au réveil (4,5), nous avons évoqué la corrélation plus forte entre la pression artérielle nocturne et les résultats cardiovasculaires, par comparaison avec la pression mesurée pendant la journée (6,7). Outre la mesure de la pression artérielle nocturne, la surveillance ambulatoire de la pression artérielle peut également déterminer le profil circadien de la pression artérielle du patient, paramètre qui semble également important. En effet, plusieurs études observationnelles présentant de multiples limites méthodologiques ont montré que les personnes chez qui la pression ne diminuait pas pendant la nuit (non-dipper)* présentaient un risque accru d’événements cardiovasculaires (8).

 

Une vaste étude de cohorte prospective multicentrique japonaise a examiné la corrélation entre, d’une part, l’hypertension nocturne et les profils de baisse de la pression durant la nuit (dipping) et, d’autre part, la survenue d’événements cardiovasculaires (9). De 2008 à 2017, 130 médecins généralistes de 116 centres (dont 72 médecins généralistes) ont recruté 6772 personnes présentant au moins un facteur de risque cardiovasculaire (diabète ou intolérance au glucose, dyslipidémie, hypertension, tabagisme, néphropathie, fibrillation auriculaire, syndrome métabolique, BPCO, syndrome d’apnées du sommeil). Après leur inclusion, une mesure conventionnelle de la pression artérielle a été une fois effectuée, de même qu’un enregistrement de la pression artérielle par monitoring ambulatoire sur 24 heures. Tous les participants ont utilisé le même appareil validé mesurant la pression artérielle toutes les 30 minutes pendant 24 heures. Il leur a été demandé de consigner dans un journal les activités de la journée, ainsi que l’heure de l’endormissement et du réveil. Sur la base de la différence de pression artérielle systolique entre le jour et la nuit (la nuit étant définie comme la période entre l’endormissement et le réveil), les patients ont été divisés en 4 catégories : dippers extrêmes (différence ≥ 20%), dippers (différence entre 10% et 20%), non-dippers (différence entre 0% et 10%) et ceux dont la tension augmentait (risers) (toute augmentation de la pression artérielle nocturne par rapport à la pression artérielle diurne). Par la suite, tous les patients ont été revus annuellement ou ont été contactés par téléphone pour s’enquérir de la survenue d’événements cardiovasculaires (accident vasculaire cérébral fatal et non fatal, coronaropathie fatale et non fatale, insuffisance cardiaque) au cours de l’année écoulée. Au cours d’un suivi moyen de 4,5 ans (ET 2,4), un total de 306 événements cardiovasculaires ont été enregistrés et confirmés par une équipe d’étude indépendante qui ne connaissait pas le profil de pression artérielle et les caractéristiques cliniques des participants. La corrélation entre plusieurs paramètres de pression artérielle et les résultats cardiovasculaires a été analysée pour 6359 sujets en utilisant plusieurs courbes de Kaplan-Meier et les analyses de régression de Cox. L’âge moyen était de 68,6 ans (ET 11 ans), 48% étaient de sexe masculin, et 76,7% étaient sous antihypertenseurs.

 

Contrairement à la pression artérielle systolique conventionnelle et à la moyenne quotidienne de la pression artérielle systolique ambulatoire sur 24 heures, une augmentation de 20 mmHg de la moyenne nocturne de la pression artérielle systolique ambulatoire sur 24 heures était associée à un risque accru de maladie cardiovasculaire, et ce de manière statistiquement significative (HR de 1,26 avec IC à 95% de 1,10 à 1,43 ; p < 0,001). Par comparaison avec les dippers, c’est uniquement chez les risers (pression artérielle nocturne moyenne supérieure à la pression artérielle diurne) que l’on a observé une augmentation des maladies cardiovasculaires (HR de 1,48 avec IC à 95% de 1,05 à 2,08 ; p = 0,024) et en particulier une insuffisance cardiaque (HR de 2,45 avec IC à 95% de 1,34 à 4,48 ; p = 0,004). Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les dippers d’un côté et les non-dippers et les dippers extrêmes de l’autre quant aux maladies cardiovasculaires, que ce soit dans leur totalité ou séparément pour les accidents vasculaires cérébraux, les cardiopathies ischémiques et l’insuffisance cardiaque. Tous ces résultats ont été corrigés pour tenir compte de l’âge, du sexe, du BMI, du tabagisme, de la dyslipidémie, des antécédents de maladie cardiovasculaire, de l’utilisation d’antihypertenseurs, de la dose d’antihypertenseur prise au coucher, de la mesure conventionnelle et celle sur 24 heures de la tension artérielle systolique. Dans les tableaux de score examinant le risque relatif d’événements cardiovasculaires à 5 ans selon le dipping nocturne et selon la pression artérielle systolique nocturne, il est à noter que, pour chaque catégorie de dipping, le risque cardiovasculaire augmente avec la pression artérielle nocturne et qu’une pression artérielle systolique nocturne élevée est plus fortement corrélée au risque cardiovasculaire que la catégorie de dipping. Il est frappant de constater que, dans une analyse de sous-groupe post hoc, une forte augmentation des AVC a été observée dans le groupe ayant une pression artérielle bien contrôlée sur 24 heures mais présentant un dipping extrême (HR de 2,30 avec IC à 95% de 1,22 à 4,35 ; p = 0,01). La même tendance à une augmentation du risque d'insuffisance cardiaque a été observée chez les risers dont la pression artérielle sur 24 heures était bien contrôlée (HR de 3,78 avec un IC de 95% de 1,61 à 8,89, p = 0,002).

L’interprétation des résultats de cette étude nécessite une certaine prudence. Tout d’abord, la population de l’étude est japonaise, et la question est de savoir dans quelle mesure les résultats sont extrapolables à une population occidentale. Les données de l’étude ne nous permettent pas non plus de déterminer dans quels sous-groupes de patients ces résultats sont plus ou moins valides. De plus, nous ne connaissons pas l’impact d’éventuels ajustements de médicaments au cours de cette étude. À cet égard, nous devons certainement souligner que cette étude ne nous permet pas de tirer de conclusions concernant l’impact des ajustements de médicaments chez les non-dippers. Pour cela, il faut de nouvelles études randomisées contrôlées analogues à celle qui a déjà fait l’objet d’une discussion dans Minerva (4).

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

La ligne directive de Domus Medica (3), confirmée dans le rapport de suivi de 2013, recommande qu’avant l’instauration d’un traitement antihypertenseur, la pression artérielle soit mesurée par le patient à domicile en complément des mesures de pression artérielle conventionnelles effectuées par le médecin. La surveillance ambulatoire de la pression artérielle 24 heures sur 24 n’est effectuée qu’en cas de divergence significative entre les différentes méthodes de mesure. La mesure ambulatoire de la pression artérielle sur 24 heures présente comme avantage une plus grande reproductibilité et permet de connaître la pression artérielle nocturne. Bien qu'il n'y ait actuellement aucune implication clinique, une directive européenne récente sur l’hypertension recommande une mesure de la pression artérielle ambulatoire sur 24 heures également en cas de suspicion d’hypertension nocturne, comme cela peut être plus fréquent chez les personnes atteintes du syndrome d’apnées du sommeil, d’insuffisance rénale chronique, de diabète, d’hypertension endocrinienne ou de dysfonctionnement du système nerveux autonome (9).

 

Conclusion

Cette étude de cohorte japonaise, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, comptant plus de 6000 personnes, dont les trois quarts prenaient des antihypertenseurs à l’inclusion, montre, après correction pour tenir compte de nombreux paramètres démographiques et cliniques pertinents et de la pression artérielle systolique conventionnelle, qu’une pression artérielle systolique nocturne plus élevée mesurée avec une méthode standardisée de mesure de la pression artérielle ambulatoire sur 24 heures est associée à un risque accru d’événements cardiovasculaires. Par comparaison avec une diminution de 10 à 20% de la pression artérielle nocturne par rapport à la pression artérielle diurne (dippers), une augmentation de la pression artérielle nocturne par rapport à la pression artérielle diurne (risers) semble être associée à une augmentation statistiquement significative des événements cardiovasculaires. On ignore encore quelle est la valeur ajoutée de ces résultats d’un point de vue clinique pour la première ligne de soins. Il est donc conseillé d'attendre que des études randomisées contrôlées disposant d’un bon plan expérimental apportent des preuves suffisantes de tout bénéfice thérapeutique dans les différents sous-groupes de patients.

 

* lorsque la pression artérielle systolique nocturne ne diminue pas de ≥ 10%.

 

 

Références 

  1. De Cort P. Diagnostic de l’HTA : mesures conventionnelles, au domicile ou monitoring de 24 heures ? MinervaF 2012;11(2):17-8.
  2. Hodgkinson J, Mant J, Martin U, et al. Relative effectiveness of clinic and home blood pressure monitoring compared with ambulatory blood pressure monitoring in diagnosis of hypertension: systematic review. BMJ 2011;342:d3621. DOI: 10.1136/bmj.d3621
  3. De Cort P, Christiaens T, Philips H, et al. Hypertension (Révision). SSMG 2009. Ou : Hypertension. Ebpracticenet 1/11/2009.
  4. Van der Linden L. Que penser de la prise d’au moins un antihypertenseur au coucher ? MinervaF 2020;19:94-7.
  5. Hermida RC, Crespo JJ, Domínguez-Sardiña M, et al. Bedtime hypertension treatment improves cardiovascular risk reduction: the Hygia Chronotherapy Trial. Eur Heart J 2019;ehz754. DOI: 10.1093/eurheartj/ehz754
  6. ABC-H Investigators, Roush GC, Fagard RH, Salles GF, et al. Prognostic impact from clinic, daytime, and night-time systolic blood pressure in nine cohorts of 13,844 patients with hypertension. J Hypertens 2014;32:2332-40; Discussion: 2340. DOI: 10.1097/HJH.0000000000000355
  7. Yang WY, Melgarejo JD, Thijs L; International Database on Ambulatory Blood Pressure in Relation to Cardiovascular Outcomes (IDACO) Investigators. Association of office and ambulatory blood pressure with mortality and cardiovascular outcomes. JAMA 2019;322:409-20. DOI: 10.1001/jama.2019.9811
  8. Kario K, Hoshide S, Mizuno H, et al; JAMP Study Group. Nighttime blood pressure phenotype and cardiovascular prognosis: practitioner-based nationwide JAMP Study. Circulation 2020;142:1810-20. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.049730. Erratum in: Circulation 2020;142:e632. DOI: 10.1161/CIR.0000000000000944
  9. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension: The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Society of Hypertension (ESH). Eur Heart J 2018;39:3021-104. DOI: 10.1093/eurheartj/ehy339



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