Analyse


Un petit rôle pour un traitement psychosocial dans la prise en charge de la douleur chronique dans un contexte d’addiction aux opioïdes : à confirmer


15 06 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Ilgen MA, Coughlin LN, Bohnert AS, et al. Efficacy of a psychosocial pain management intervention for men and women with substance use disorders and chronic pain: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2020;77:1225-34. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2020.2369


Conclusion
Cette étude randomisée, unicentrique, indique que chez des hommes et femmes avec addictions, une intervention de gestion comportementale de la douleur, généralement pas incluse dans le traitement de la toxicomanie, était associée à de meilleurs résultats liés au contrôle de la douleur, en termes de tolérance chez les hommes et d’intensité chez les femmes. Aucune amélioration des résultats liés à l'usage de substances addictives au-delà de ceux obtenus par le traitement habituel n'a été observée. Pour les auteurs, les programmes de traitement devraient envisager de fournir des services de gestion de la douleur psychosociale pour améliorer le traitement standard de la toxicomanie.



Les opioïdes sur ordonnance sont couramment utilisés aux États-Unis pour traiter la douleur non liée au cancer et y constituent un problème majeur de santé publique. Leur utilisation est controversée en raison du risque de mauvaise utilisation et de conséquences indésirables comme rapporté dans Minerva (1-4). Pour le sevrage aux opioïdes, le traitement repose sur la méthadone voire la buprénorphine (5,6). Une revue systématique de la collaboration Cochrane (7) suggère avec un faible niveau de preuve que les traitements psychosociaux proposés en complément des traitements de désintoxication pharmacologique sont efficaces en termes d'achèvement du traitement et de contrôle de la consommation d'opiacés. Il n’existe cependant pas beaucoup d’études randomisées de qualité sur le sujet. Après en avoir conduite une chez des vétérans (8), des auteurs en ont rapporté une nouvelle réalisée dans une population générale de patients et de plus grande taille (9).

 

Cette étude randomisée unicentrique conduite par l’Université du Michigan a pour but d’examiner l'efficacité d'une intervention de gestion de la douleur comportementale intégrée (ImPAT pour « Improving Pain During Addiction Treatment ») chez des hommes et femmes avec  addictions en termes de traitement de la douleur, de fonctionnement et de consommation de substances addictives de tout type (dont l’alcool et le tabac). L’intervention ImPAT visait à mettre en évidence le lien entre la douleur et un mauvais fonctionnement ainsi que l'utilisation potentielle de substances comme stratégie d'adaptation inadaptée à la douleur pour fournir des compétences afin de la gérer. Huit séances d'ImPAT ont été comparées à 8 séances d'une condition de contrôle psychoéducatif de soutien (SPC pour « supportive psychoeducational control ») dans des groupes de douze adultes traités dans un grand programme de traitement résidentiel pour addiction. Le SPC impliquait des discussions sur des sujets tels que la nutrition et l'évolution de la dépendance, qui étaient censés être pertinents pour la population de patients et avoir une validité apparente, mais être distincts du contenu de l’ImPAT. Les principaux critères de jugement (sans considérations statistiques rapportées) étaient l'intensité de la douleur, le fonctionnement lié à la douleur et la tolérance comportementale à la douleur à 12 mois. Les critères de jugement secondaires étaient la fréquence de la consommation d'alcool et de drogues sur 12 mois. Ces évaluations ont été réalisées à 3, 6 et 12 mois et comprenaient des entretiens, un questionnaire d'auto-évaluation, un dépistage volontaire des drogues urinaires et la réalisation d'une tâche de tolérance à la douleur : le test d’ischémie.

Un total de 510 adultes de 35 ans d’âge moyen ont été randomisés, dont 264 hommes et 246 femmes. 92,2% ont effectué au moins une évaluation de suivi. Sur 12 mois de suivi, la randomisation de l'intervention ImPAT a été associée chez les hommes à une tolérance plus élevée à la douleur (test d’ischémie réalisé avec le brassard d’un tensiomètre) avec score moyen meilleur de 0,11 (avec IC à 95% de 0,03 à 0,18) à 3 mois et de 0,07 à 12 mois (avec IC à 95% de −0,01 à 0,19). Chez les femmes, l'intervention ImPAT a été associée à une réduction de l'intensité de la douleur, entraînant une diminution du score moyen de 0,58 (avec IC à 95% de −0,07 à 1,22) à 12 mois. Aucune différence n'a été trouvée entre les deux interventions sur la consommation d'alcool ou de drogues.

Si séparer la prise en charge de la douleur chronique de celle de l’addiction est souvent voué à un échec thérapeutique et si une approche intégrée est souhaitée (10), il faut se rappeler que les psychothérapies de soutien dans cette situation reposent essentiellement sur l’empirisme. C’est ce qui donne tout son intérêt à l’étude présentement réalisée dans une population particulièrement précaire (la moitié des participants ont été incarcérés pendant l’étude). Dans un autre contexte, chez des patients adultes douloureux chroniques, sans addiction, à bas revenus et à bas niveau de littératie en santé, des séances de thérapie cognitive comportementale ainsi que les séances éducatives, de groupe et simplifiées pour tenir compte du niveau de littératie en santé des participants, dispensées dans des centres de santé, améliorent significativement la douleur et le fonctionnement physique par rapport aux soins usuels (11,12).

Il est important de rappeler que le traitement de la douleur chronique non cancéreuse ne repose pas sur les opiacés (13,14). Ils ne sont pas plus efficaces que les autres traitements mais exposent à des risques d’addiction majeure comme celle vécue par les participants à l’étude de l’Université de Michigan.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique belge actuel en matière de douleur chronique recommande d’envisager la thérapie cognitive comportementale (15). Ce guide concerne les patients souffrant de douleur chronique à l’exclusion des patients pédiatriques, cancéreux ou suivis en soins palliatifs. Il n’aborde pas spécifiquement des syndromes douloureux chroniques propres à une localisation anatomique particulière ou à une situation particulière comme les douleurs chroniques chez des patients avec des addictions.

 

Conclusion

Cette étude randomisée, unicentrique, indique que chez des hommes et femmes avec addictions, une intervention de gestion comportementale de la douleur, généralement pas incluse dans le traitement de la toxicomanie, était associée à de meilleurs résultats liés au contrôle de la douleur, en termes de tolérance chez les hommes et d’intensité chez les femmes. Aucune amélioration des résultats liés à l'usage de substances addictives au-delà de ceux obtenus par le traitement habituel n'a été observée. Pour les auteurs, les programmes de traitement devraient envisager de fournir des services de gestion de la douleur psychosociale pour améliorer le traitement standard de la toxicomanie.

 

Références 

  1. Sculier J-P, Peeters-Asdourian Christine. Opiacés pour la douleur chronique non liée au cancer : risque accru d’accidents de surdosage avec les dérivés à longue durée d’action. Minerva bref 15/02/2016.
  2. Miller M, Barber CW, Leatherman S, et al. Prescription opioid duration of action and the risk of unintentional overdose among patients receiving opioid therapy. JAMA Intern Med 2015;175:608-15. DOI: 10.1001/jamainternmed.2014.8071
  3. Sculier J-P, Peeters-Asdourian C. Effets indésirables des opioïdes utilisés dans la douleur chronique non liée au cancer. Minerva bref 15/02/2019.
  4. Els C, Jackson TD, Kunyk D, et al. Adverse events associated with medium- and long-term use of opioids for chronic non-cancer pain: an overview of Cochrane Reviews. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 10. DOI: 10.1002/14651858.CD012509.pub2
  5. Chevalier P. Intérêt comparatif de la buprénorphine pour le sevrage des opioïdes. MinervaF 2018;17(1):3-7.
  6. Gowing L, Ali R, White JM, Mbewe D. Buprenorphine for managing opioid withdrawal. Cochrane Database Syst Rev 2017, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD002025.pub5
  7. Amato L, Minozzi S, Davoli M, Vecchi S. Psychosocial and pharmacological treatments versus pharmacological treatments for opioid detoxification. Cochrane Database Syst Rev 2011, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD005031.pub4
  8. Ilgen MA, Bohnert AS, Chermack S, et al. A randomized trial of a pain management intervention for adults receiving substance use disorder treatment. Addiction 2016;111:1385–93. DOI: 10.1111/add.13349
  9. Ilgen MA, Coughlin LN, Bohnert AS, et al. Efficacy of a psychosocial pain management intervention for men and women with substance use disorders and chronic pain: a randomized clinical trial. JAMA Psychiatry 2020;77:1225-34. DOI: 10.1001/jamapsychiatry.2020.2369
  10. Manhapra A, Becker WC. Pain and addiction: an integrative therapeutic approach. Med Clin North Am 2018;102:745–63. DOI: 10.1016/j.mcna.2018.02.013
  11. Henrard G. Psychothérapie cognitivo-comportementale dans la douleur chronique : regrouper les patients et simplifier le message ? MinervaF 2019;18(7):77-80.
  12. Thorn BE, Eyer JC, Van Dyke BP, et al. Literacy-adapted cognitive behavioral therapy versus education for chronic pain at low-income clinics: a randomized controlled trial. Ann Intern Med 2018;168:471-80. DOI: 10.7326/M17-0972
  13. Feron J-M. Efficacité des médicaments opioïdes versus non opioïdes pour la fonction et la douleur chez les patients douloureux chroniques au niveau du dos, de la hanche ou du genou. Minerva bref 15/09/2019.
  14. Krebs EE, Gravely A, Nugent S,et al. Effect of opioid vs nonopioid medications on pain-related function in patients with chronic back pain or hip or knee osteoarthritis pain: the SPACE randomized clinical trial. JAMA 2018;319:872-82. DOI: 10.1001/jama.2018.0899
  15. Prise en charge de la douleur chronique en première ligne de soins. Guide de pratique clinique belge. Ebpracticenet 2017.

 

 

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI :

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