Analyse


Pas de place pour la colchicine dans le traitement de la covid-19


01 11 2021

Professions de santé

Médecin généraliste, Psychologue
Analyse de
Tardif JC, Bouabdallaoui N, L’allier PL, et al. Colchicine for community-treated patients with COVID-19 (COLCORONA): a phase 3, randomised, double-blinded, adaptive, placebo-controlled, multicentre trial. Lancet Respir Med 2021;9:924-32. DOI: 10.1016/S2213-2600(21)00222-8


Conclusion
Cette étude de bonne facture méthodologique ne montre aucune efficacité de la colchicine chez les patients covid-19 traités en ambulatoire et à risque de développer une forme sévère. Elle suggère tout au plus la possibilité d’une réduction modeste et imprécise du taux d’hospitalisation chez ceux dont le diagnostic est confirmé par PCR, sur base d’une analyse secondaire potentiellement biaisée et utilisant un critère de jugement composite inadapté.



 

 

L’article analysé ici est la publication officielle fort attendue d’une étude parue sous forme de preprint en janvier 2021 (1) et présentée alors par les auteurs comme une avancée thérapeutique majeure (2), à grand renfort de publicité dans les médias y compris en Belgique (3).

L’étude évaluait l’efficacité d’un traitement d’un mois par colchicine 0,5 mg par jour chez des patients covid-19 non hospitalisés et à risque de complications. Les participants étaient des adultes (> 40 ans), diagnostiqués covid-19 depuis moins de 24 h (par test PCR ou suspicion clinique définie par des symptômes compatibles avec la covid-19 avec ou sans contact avec un patient testé positif), non hospitalisés et présentant au moins un facteur de risque de complication tel que l’âge (> 70 ans), un diabète, une obésité, une HTA non contrôlée (TAS ≥ 150 mmHg), une insuffisance respiratoire / cardiaque / coronaire chronique, une dyspnée, une t° ≥ 38,4° lors des 2 derniers jours.

L’étude a consisté en un traitement par colchicine pendant 30 jours à raison de 2 fois 0,5 mg/j les trois premiers jours et 0,5 mg/j ensuite, versus placebo.

Le critère de jugement primaire était un critère composite incluant décès ou hospitalisation pour covid-19. Les critères de jugement secondaires étaient : décès, hospitalisation pour covid-19, recours à une ventilation mécanique.

 

Les résultats ne montrent pas d’efficacité de la colchicine sur le critère de jugement principal, mais une analyse du sous-groupe de patients dont le diagnostic était confirmé par PCR fait état d’une amélioration tout juste statistiquement significative de ce critère composite. Les auteurs concluent qu’en l’absence de traitement oral validé préventif des complications chez les patients non hospitalisés, la colchicine pourrait être utilisée chez les patients covid-19 attestés par PCR et à risque de complication. Ils reconnaissent néanmoins que leurs résultats devraient être confirmés par d’autres études menées spécifiquement chez des patients avec PCR positive.

 

 

colchicine

n = 2235

 placebo

 n = 2253

OR
(avec IC 95%)

p

critère de jugement principal

 décès ou hospitalisation, n (%)

 104 (4,7)

 131 (5,8)

0,79 (0,61-1,03)

0,081

critères de jugement secondaires

 décès, n (%)

  5 (0,2)

  9 (0,4)

0,56 (0,19-1,67)

ns

 hospitalisation, n (%)

 101 (4,5)

 128 (5,7)

0,79 (0,60-1,03)

ns

 ventilation mécanique, n (%)

 11 (0,5)

 21 (0,9)

0,53 (0,25-1,09)

ns

 

Analyse de sous-groupe

(patients PCR +)

colchicine

n = 2075

 placebo

 n = 2084

OR
(avec IC 95%)

p

décès ou hospitalisation, n (%)

  96 (4,6)

 126 (6,0)

 0,75 (0,57-0,99)

0,042

 décès, n (%)

  5 (0,2)

  9 (0,4)

 0,56 (0,19-1,66)

-

 hospitalisation, n (%)

  93 (4,5)

 123 (5,9)

 0,75 (0,57-0,99)

-

 

L’étude est de très bonne qualité méthodologique : multicentrique et multinationale (Canada, USA, Brésil, Espagne, Grèce et Afrique du Sud), contrôlée versus placebo, randomisée et en double aveugle et porte sur un nombre important (4506) de patients. La séquence d’allocation du traitement était masquée efficacement aux investigateurs, la randomisation était faite par blocs (ce qui s’est avéré particulièrement utile pour maintenir une taille comparable entre les deux bras car l’étude fut stoppée prématurément), le biostatisticien était lui aussi aveugle de la nature du traitement des patients et l’analyse fut effectuée sur l’ensemble des patients randomisés (analyse en intention de traiter modifiée). Pour s’aligner sur les mesures sanitaires de distanciation sociale l’étude s’est déroulée sans contact physique avec le patient : enrôlement par téléconsultation, livraison des médicaments à domicile, évaluation des patients à J15 et J30 par téléphone ou vidéo.

 

Par contre, l’interprétation des résultats et la conclusion sont incorrectes. Il y a embellissement des données par les auteurs (spin). Ce procédé extrêmement répandu dans les études négatives consiste à focaliser l’attention du lecteur sur le résultat positif d’une analyse ou d’un critère de jugement secondaires (4,5). Il est considéré actuellement comme une forme mineure de fraude.

1. Les résultats d’une analyse de sous-groupe ne peuvent servir de conclusion à une étude. Ils permettent de poser des hypothèses justifiant d’entreprendre de nouvelles études réalisées d’emblée chez ces patients spécifiques. En effet l’exclusion des patients non confirmés par PCR a potentiellement détruit les bénéfices de la randomisation et biaisé les résultats en générant des différences de caractéristiques de base entre les patients des deux bras. Par ailleurs la multiplication des analyses conduit à une inflation du risque de trouver pour certaines d’entre elles un résultat significatif dû purement au hasard et nécessite donc une plus grande exigence sur le seuil de signification statistique, qui devrait être abaissé en dessous de 0,05. Ces deux écueils sont particulièrement cruciaux dans le cas de cette étude où l’efficacité de la colchicine est déjà à la limite de la signification statistique (p = 0,042). Il eut été évidemment plus judicieux de limiter l’inclusion des patients aux cas confirmés par PCR mais les auteurs ont craint de ne pouvoir ainsi recruter un nombre suffisant de patients vu la pénurie de tests à l’époque où l’étude a débuté.

2. Les résultats d’une analyse de sous-groupe ne peuvent être pris en considération que si cette analyse a été décidée a priori et non pas au vu des résultats de l’étude (microchirurgie statistique). Un doute persiste à ce sujet : les auteurs affirment que cette analyse était préspécifiée mais elle n’est pas mentionnée dans le protocole publié sur Clinical Trials et, sur le site web de l’étude, il est précisé qu’elle fut décidée en novembre 2020, soit 8 mois après le début de l’étude et 1 mois avant la clôture de l’inclusion des patients (2). Or deux analyses intermédiaires avaient été effectuées entretemps pour s’assurer qu’il ne fallait pas mettre fin prématurément à l’étude pour des raisons éthiques (dangerosité, futilité ou efficacité inattendue du traitement). Les auteurs assurent néanmoins qu’ils n’ont pas eu connaissance de ces résultats préliminaires accessibles uniquement aux membres d’un comité externe et indépendant (DSMB, Data Safety Monitoring Board).

3. Le choix d’un critère d’efficacité composite complique l’interprétation des résultats et rend malaisée la prise de décision qui en résulte. Ce choix est motivé ici essentiellement par un gain de puissance : il permet d’inclure un nombre de patients inférieur à celui que nécessiterait l’emploi des composants individuels. Mais trois conditions au moins sont nécessaires pour qu’un critère composite soit valide (6) et deux d’entre elles ne sont pas remplies dans l’étude :

  • L’importance clinique relative de ses composants doit être comparable, ce qui n’est pas le cas ici : la quasi-totalité des patients, à l’exception peut-être des plus âgés, trouveront certainement bien plus dommageable de perdre la vie que d’être hospitalisé. Ce serait cependant le cas dans le contexte d’une étude de santé publique : il est aussi important d’éviter la saturation des hôpitaux que de réduire la mortalité globale.
  • Les résultats de ses composants doivent aller dans le même sens que le résultat global. C’est bien le cas ici : les résultats pour la mortalité et les hospitalisations montrent tous deux une réduction, tout comme le résultat critère composite.
  • Le résultat global ne doit pas être « drivé » essentiellement par un de ses composants, ce qui n’est pas le cas ici : il s’explique quasi-intégralement par celui des hospitalisations, leurs OR et IC étant quasiment superposables. L’efficacité sur la mortalité est en quelque sorte embarquée à titre de passager clandestin dans l’efficacité globale.

Il faut noter le manque de robustesse du résultat global dû à la contamination du critère composite par un composant subjectif : la décision d’hospitaliser un patient covid-19 est éminemment subjective et dépendante des différentes phases de la pandémie et de la variabilité des ressources et pratiques cliniques entre les différents pays où l’étude a été menée. Or c’est précisément ce critère subjectif qui a été décisif pour le résultat global.

4. Le bénéfice du traitement, s’il existe, est modeste et fort imprécis : réduction du risque de 25% (avec IC à 95% de 1% à 43%) en termes de risque relatif et de 1,4% en termes de risque absolu, soit un NNT de 70 patients avec un intervalle de confiance extrêmement large (IC à 95% de 36 à 1842). Ce bénéfice hypothétique doit être mis en balance avec les risques bien réels d’intoxication par colchicine car il s’agit d’une substance à marge thérapeutique très étroite (7). L’étude avait exclu les patients à taux de filtration glomérulaire < 30 ml/min et n’a pas montré d’effets indésirables particuliers à part des troubles gastro-intestinaux et de la diarrhée. Mais des accidents sont à craindre dans le cadre d’un usage extensif du produit, particulièrement chez les personnes âgées et en automédication : la colchicine est soumise à prescription médicale dans notre pays mais est aisément disponible sans ordonnance via de nombreux sites web.

5. L’étude a été clôturée prématurément, ce qui diminue son niveau de preuves. 75% des 6000 patients initialement prévus ont finalement été inclus, ce qui constitue une perte de puissance de l’étude et a contribué à l’imprécision des résultats (largeur de l’intervalle de confiance). Cette décision fut prise non pas sur recommandation du DSMB mais par les auteurs eux-mêmes. Ils la justifient par un essoufflement du recrutement sur certains sites, par des contraintes logistiques et budgétaires, mais aussi par leur hâte de publier leurs résultats avant la campagne de vaccination (2).

 

Que disent les autres études ?

7 études observationnelles ont montré une réduction de la mortalité par la colchicine chez les patients covid-19 hospitalisés, non confirmée par 2 RCTs de petite taille (8,9) et par l’étude RECOVERY (10). L’étude analysée ici est la première réalisée chez des patients suivis en ambulatoire. Au moins 9 autres RCTs sur le même type de patients sont actuellement en cours sur base de la consultation des principaux registres d’études.

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le NIH (USA) recommande fortement de ne pas employer la colchicine chez les patients covid-19 hospitalisés (11). Il ne se prononce par contre pas sur son utilisation en ambulatoire faute de données suffisamment probantes pour ou contre. Le NICE (UK) a une position similaire : pas de colchicine chez les patients hospitalisés, utilisation en ambulatoire uniquement dans le cadre d’études cliniques (12). Le CBIP estime également que la colchicine n’a actuellement pas de place chez les patients covid-19 non hospitalisés, en dehors d’études cliniques (13). Seules les autorités sanitaires de Grèce recommandent depuis janvier 2021 son utilisation chez les patients de plus de 60 ans suivis en ambulatoire.

 

Conclusion

Cette étude de bonne facture méthodologique ne montre aucune efficacité de la colchicine chez les patients covid-19 traités en ambulatoire et à risque de développer une forme sévère. Elle suggère tout au plus la possibilité d’une réduction modeste et imprécise du taux d’hospitalisation chez ceux dont le diagnostic est confirmé par PCR, sur base d’une analyse secondaire potentiellement biaisée et utilisant un critère de jugement composite inadapté.

 

 

Références 

  1. Tardif JC, Bouabdallaoui N, L’allier PL, et al. Colchicine for community-treated patients with COVID-19 (COLCORONA): a phase 3, randomised, double-blinded, adaptive, placebo-controlled, multicentre trial. Lancet Respir Med 2021;9:924-32. DOI: 10.1016/S2213-2600(21)00222-8
  2. Site web de l’étude COLCORONA. Réponses aux questions fréquentes. URL : https://fr.colcorona.net
  3. Colchicine: «C’est le pas le plus important qu’on ait fait dans le traitement du Covid-19 depuis le début», selon Yves Van Laethem. Sudinfo.be 24/01/2021.  URL: https://www.sudinfo.be/id314647/article/2021-01-24/colchicine-cest-le-pas-le-plus-important-quon-ait-fait-dans-le-traitement-du
  4. Boutron I, Dutton S, Ravaud P, Altman DG. Reporting and interpretation of randomized controlled trials with statistically nonsignificant results for primary outcomes. JAMA 2010;303:2058-64. DOI: 10.1001/jama.2010.651
  5. Wang D, Chen L, Wang L, et al. Abstracts for reports of randomised trials of COVID-19 interventions had low quality and high spin. J Clin Epidemiol 2021;139:107-20. DOI: 10.1016/j.jclinepi.2021.06.027
  6. Montori VM, Permanyer-Miralda G, Ferreira-González I, et al. Validity of composite end points in clinical trials. BMJ 2005;330:594-6. DOI: 10.1136/bmj.330.7491.594
  7. Colchicine et covid-19 : savoir éviter les surdoses mortelles. Prescrire. Dans l'actualité 27/01/2021.
  8. Deftereos SG, Giannopoulos G, Vrachatis DA, et al. Effect of colchicne vs standard care on cardiac and inflammatory biomarkers and clinical outcomes in patients hospitalized with coronavirus disease 2019; the GRECCO-19 randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2020;3:e2013136. DOI: 10.1001/jamanetworkopen.2020.13136
  9. Lopes MI, Bonjorno LP, Giannini MC, et al. Beneficial effect of colchicine for moderate to severe covid-19: a randomized, double-blinded, placebo-controlled clinical trial. RMD Open 2021;7:e001455. DOI: 10.1136/rmdopen-2020-001455
  10. Statement from the Chief Investigators of the Randomised Evaluation of COVid-19 thERapY (RECOVERY) Trial on colchicine, 5 March 2021. Recovery-colchicine-statement_final_050321.pdf. URL: recoverytrial.net
  11. Colchicine. COVID-19 Treatment Guidelines. NIH.GOV 8 July 2021.  
  12. COVID-19 rapid guideline: managing COVID-19. NICE guideline [NG 191]. Published: 23 March 2021. Last updated: 4 October 2021.
  13. COVID-19 : la colchicine n’est pas une option de traitement, comme le confirment les résultats récemment publiés de l'étude ColCORONA.  CBIP. Bon à savoir 28/06/2021

 

 


Auteurs

Denis B.
médecin généraliste, ancien formateur au CEBAM (Centre Cochrane Belge)
COI :

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