Analyse


En cas de lombalgie aiguë avec sciatique, est-il utile que le médecin généraliste adresse le patient à un kinésithérapeute ?


18 03 2022

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste
Analyse de
Fritz JM, Lane E, McFadden M, et al. Physical therapy referal from primary care for acute low back pain with sciatica. Ann Intern Med 2021;174:8-17. DOI: 10.7326/M20-4187


Question clinique
Quel est l’effet d’une orientation précoce par le médecin généraliste vers un kinésithérapeute, par comparaison avec la prise en charge classique, des patients atteints de lombalgie aiguë avec sciatique ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée, menée en simple aveugle avec une mesure de l’effet du critère de jugement principal qui n’a pas été effectuée en aveugle, montre que, chez les patients souffrant de lombalgie et de sciatique cliniquement prouvée depuis 36 jours en moyenne, après la première consultation chez le médecin généraliste l’orientation vers le kinésithérapeute pour de la gymnastique médicale spécifique basée sur les principes de Mc Kenzie (diagnostic mécanique et thérapie ajustée) et de la thérapie manuelle entraîne après 4 semaines et 6 mois une amélioration statistiquement significative de la douleur et des capacités fonctionnelles quotidiennes par rapport à la prise en charge classique. Contrairement à la différence après 4 semaines (critère de jugement secondaire), la différence après 6 mois (critère de jugement primaire) n'était pas cliniquement pertinente. Il n’y avait pas de différence quant à la qualité de vie à 6 mois et à 1 an, ni quant au recours aux structures de soins, ni quant aux jours de travail manqués à 1 an de suivi.



Contexte

Minerva s’est déjà plusieurs fois penché sur l’utilité de la manipulation et de la gymnastique médicale pour traiter une sciatique (1-8). Une étude randomisée contrôlée (randomized controlled trial, RCT) de 2006 a montré que la manipulation du rachis pouvait être utile pour soulager la douleur, mais que des recherches approfondies avec des résultats cliniquement pertinents (qualité de vie, capacités fonctionnelles physiques, retour au travail) et une notification correcte des effets indésirables étaient nécessaires pour déterminer quelle place les manipulations du rachis pouvaient avoir dans la prise en charge des patients souffrant de lombalgie aiguë avec sciatique (1,2). Une méta-analyse en réseau a montré qu’en plus de la chirurgie discale, des injections péridurales et de l’analgésie non opioïde, la manipulation pouvait aussi avoir un effet bénéfique, par comparaison avec d’autres traitements, sur l’amélioration globale des symptômes de sciatique (3,4). Chez les patients atteints de sciatique qui sont éligibles à la chirurgie selon les normes actuelles, les exercices du dos et des abdominaux guidés par les symptômes étaient plus efficaces que les exercices placebo, à la fois à court terme (8 semaines) et à long terme (1 an) (5,6). Une autre RCT a montré qu’après 1 an chez des patients atteints de sciatique, il n’y avait aucune différence en termes de douleur et de capacités fonctionnelles, entre la chirurgie et le traitement conservateur, y compris l’orientation vers un kinésithérapeute (7,8).

 

Résumé

Population étudiée

  • inclusion de 220 adultes ayant entre 18 ans et 60 ans (âge moyen 39 ans (ET 11,2 ans)), 48,6% de femmes, ayant consulté pour la première fois le médecin généraliste pour lombalgie aiguë et sciatique depuis ≤ 90 jours (moyenne 35,8 jours (ET 26,1 jours))
  • critères d’inclusion supplémentaires : indice d’incapacité d’Oswestry (Oswestry Disability Index, OSW) ≥ 20, irradiation dans la jambe jusqu’en dessous du genou dans les 72 dernières heures, examen clinique évocateur de sciatique (test de Lasègue positif ou déficit sensitif ou moteur dans le territoire d’une racine nerveuse lombaire)
  • critères d’exclusion : chirurgie lombaire dans l’année écoulée, affections potentiellement graves (telles que syndrome de la queue de cheval, déficit neurologique d’évolution rapide, fracture).

 

Protocole de l’étude

RCT recourant à un placebo, un placebo est administré au groupe témoin.">Étude randomisée contrôlée en simple aveugle avec deux groupes en parallèle :

  • groupe intervention (n = 110) : adressé à un kinésithérapeute pour un traitement de 4 semaines à débuter dans les trois jours après la randomisation ; la kinésithérapie comportait de la gymnastique médicale et une thérapie manuelle ; la gymnastique médicale était basée sur les principes de Mc Kenzie (diagnostic mécanique et thérapie adaptée en conséquence) ; par « thérapie manuelle », les auteurs entendaient à la fois les mobilisations et les manipulations du rachis lombaire ; le but de la gymnastique médicale et de la thérapie manuelle était d’obtenir une centralisation maximale des symptômes ; les séances d’exercices ont eu lieu deux fois par semaine pendant les deux premières semaines puis une à deux fois par semaine pendant les deux semaines suivantes ; elles étaient complétées par des exercices à domicile toutes les 4 à 5 heures
  • groupe témoin (n = 110) : prise en charge classique
  • lors de la consultation chez le médecin généraliste, les patients des deux groupes recevaient des médicaments et une ordonnance pour un examen d’imagerie si le médecin traitant le jugeait opportun
  • après la randomisation, tous les participants ont reçu un exemplaire de The Back Book, un livre de messages factuels sur l’évolution naturelle des maux de dos, le pronostic des maux de dos et l’importance de rester actif et d’éviter le repos au lit ; ces conseils ont encore été renforcés lors d’une séance d’éducation.

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : score à l’indice d’incapacité d’Oswestry (OSW) après 6 mois
  • critères de jugement secondaires : score OSW à 4 semaines et à 1 an ; échelles de douleur pour le mal de dos et de jambe, qualité de vie, recours aux structures de soins (imagerie, urgences, infiltrations, chirurgie), absence au travail, effets indésirables
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • critère de jugement principal : après 6 mois, le score OSW était passé d’une moyenne de 35,8 points à 19,8 points dans le groupe témoin et d’une moyenne de 38,9 points à 14,5 points dans le groupe kinésithérapie, soit une différence relative entre les groupes de -5,4 points (avec IC à 95% de -9,4 à -1,3 ; p = 0,009) en faveur du groupe kinésithérapie
  • critères de jugement secondaires :
    • réduction plus importante du score OSW avec la kinésithérapie qu’avec la prise en charge classique à 4 semaines (-8,2 points avec IC à 95% de -12,1 à -4,3) et à 1 an (-4,8 points avec IC à 95% de -8,9 à -0,7)
    • réduction plus importante, et ce de manière statistiquement significative, avec la kinésithérapie qu’avec la prise en charge classique, sur les échelles de douleur pour le mal de dos mais pas pour les douleurs à la jambe à 4 semaines, à 6 mois et à 1 an
    • pas de différence statistique dans l’amélioration de la qualité de vie après 6 mois et 1 an, mais bien après 4 semaines en faveur du groupe kinésithérapie
    • il n’y avait pas de différence entre les deux groupes quant au recours aux structures de soins et quant aux jours de travail manqués après 1 an de suivi.
 

Conclusion des auteurs

L’orientation depuis la première ligne vers la kinésithérapie pour une sciatique d’apparition récente améliore les symptômes et d’autres critères de jugement, par comparaison avec la prise en charge classique.

 

Financement de l’étude

Agency for Healthcare Research and Quality.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun organisme externe n’a été impliqué dans la conception de l’étude, dans la collecte des données, dans l’analyse ni dans le rapport.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement des patients a été effectué par l’équipe de recherche sur la base des données du dossier médical informatisé du médecin généraliste. Comme en outre les critères d’inclusion et d’exclusion étaient bien définis, le risque de biais de selection est donc faible. La randomisation en bloc est largement décrite et correctement effectuée. Les séances d’éducation ont eu lieu avant la communication de l’attribution des groupes afin d’éviter un biais de performance peut interférer quand au sein d’un groupe quand, en ajout au traitement évalué, d’autres thérapies sont ajoutées pour certains patients mais pas pour tous.">biais de performance. Étant donné que l’intervention ne pouvait pas être réalisée en aveugle, on s’attendrait à ce que l’évaluation de l’effet ait eu lieu en aveugle. Apparemment, seule l’évaluation de l’indice OSW à 4 semaines a été effectuée en aveugle. Seulement à 4 semaines les critères d’évaluation ont été évalués en aveugle. De plus, les auteurs n'expliquent pas pourquoi les mesures répétées n’aient été prises en compte que pour le critère de jugement principal (9). Avec un taux d’abandons de l’étude d’environ 10% après 6 mois de suivi, l’étude avait une puissance de 86% pour démontrer une différence moyenne de 7 points à l’indice OSW. Cependant, les chercheurs n’ont pas pris en compte le croisement. Il s'agissait d'un nombre assez restreint (par exemple, seulement 10 participants du groupe d’intervention n’ont pas suivi de kinésithérapie, et 5 participants du groupe témoin ont finalement suivi une kinésithérapie) et cela n'a pas influencé le résultat de l'analyse en intention de traiter. En effet, une analyse de sensibilité per protocole n’a pas pu montrer de différence pertinente dans le résultat du critère d’évaluation principal.  

 

Interprétation des résultats

Les chercheurs ont pu observer une amélioration plus importante, et ce de manière statistiquement significative, de 5,4 points à l’indice OSW (score total allant de 0 à 100) après 6 mois dans le groupe adressé à un kinésithérapeute, par comparaison avec le groupe témoin. Cette différence est inférieure à la différence minimale de 6 à 8 points à l’indice OSW qui était considérée comme cliniquement pertinente d’après les études antérieures (10). Cependant, la différence dans le score OSW après 4 semaines (un critère de jugement secondaire) était cliniquement pertinente. Pour les autres échelles utilisées, ce qui peut être considéré comme un résultat cliniquement pertinent n’est pas défini.

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Le guide de pratique clinique de la Société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) suggère qu’un syndrome radiculaire lombo-sacré ne soit adressé à un kinésithérapeute qu’après quelques semaines en cas de nécessité d’un accompagnement d’activation plus intensif (11). Le guide de pratique du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) de 2017 sur la lombalgie et la douleur radiculaire recommande de la gymnastique médicale et/ou une thérapie manuelle et/ou une thérapie cognitivo-comportementale chez les patients souffrant de lombalgie aiguë et de douleur radiculaire à faible risque de chronicité (12). Le guide de pratique clinique du NICE de 2016 sur le traitement non invasif des maux de dos et de la sciatique, avec une mise à jour en décembre 2020, suggère d’envisager une thérapie manuelle (manipulation du rachis, mobilisation ou techniques visant les tissus mous, comme le massage), mais uniquement dans le cadre d’un plan de traitement comprenant de la gymnastique médicale avec ou sans intervention psychologique (13). Les guides américains récents pour la pratique clinique des kinésithérapeutes concernant la prise en charge des lombalgies aiguës et chroniques (septembre 2021) proposent une thérapie manuelle pour les douleurs dorsales aiguës et chroniques (« conseillé » (should use)) et de la gymnastique médicale, une thérapie manuelle et des conseils pour les douleurs dorsales aiguës avec douleur à la jambe (« possible » (may use)) (14).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée, menée en simple aveugle avec une mesure de l’effet du critère de jugement principal qui n’a pas été effectuée en aveugle, montre que, chez les patients souffrant de lombalgie et de sciatique cliniquement prouvée depuis 36 jours en moyenne, après la première consultation chez le médecin généraliste l’orientation vers le kinésithérapeute pour de la gymnastique médicale spécifique basée sur les principes de Mc Kenzie (diagnostic mécanique et thérapie ajustée) et de la thérapie manuelle entraîne après 4 semaines et 6 mois une amélioration statistiquement significative de la douleur et des capacités fonctionnelles quotidiennes par rapport à la prise en charge classique. Contrairement à la différence après 4 semaines (critère de jugement secondaire), la différence après 6 mois (critère de jugement primaire) n'était pas cliniquement pertinente. Il n’y avait pas de différence quant à la qualité de vie à 6 mois et à 1 an, ni quant au recours aux structures de soins, ni quant aux jours de travail manqués à 1 an de suivi.

 

 

Références 

  1. Peers K, Van Wambeke P. Manipulations en cas de lombalgies aiguës avec douleur sciatique sur protrusion discale. MinervaF 2007;6(5):70-2.
  2. Santilli V, Beghi E, Finucci S. Chiropractic manipulation in the treatment of acute back pain and sciatica with disc protrusion: a randomized double-blind clinical trial of active and simulated spinal manipulations. Spine J 2006;6:131-7. DOI: 10.1016/j.spinee.2005.08.001
  3. Feron J-M. Quels sont les meilleurs traitements pour la sciatique ? MinervaF 2014;13(7):80-1.
  4. Lewis RA, Williams NH, Sutton AJ, et al. Comparative clinical effectiveness of management strategies for sciatica: systematic review and network meta-analyses. Spine J 2015;15:1461-77. DOI: 10.1016/j.spinee.2013.08.049
  5. La redaction Minerva. Sciatique sévère : un traitement actif conservateur efficace ? Minerva bref 15/09/2013.
  6. Albert HB, Manniche C. The efficacy of systematic active conservative treatment for patients with severe sciatica. Spine 2012;37:531-42. DOI: 10.1097/BRS.0b013e31821ace7f
  7. de Geeter K. Chirurgie versus traitement conservateur prolongé en cas de sciatique. MinervaF 2008;7(5):76-7.
  8. Peul WC, van Houwelingen HC, van den Hout WB, et al; Leiden -The Hague Spine Intervention Prognostic Study Group. Surgery versus prolonged conservative treatment for sciatica. N Engl J Med 2007;356:2245-56. DOI: 10.1056/NEJMoa064039
  9. Poelman T, Michiels B. Comment analyser des mesures répétées ? MinervaF 2016;15(6):155-7.
  10. Lauridsen HH, Hartvigsen J, Manniche C, et al. Responsiveness and minimal clinically important difference for pain and disability instruments in low back pain patients. BMC Musculoskelet Disord 2006;7:82. DOI: 10.1186/1471-2474-7-82
  11. Schaafstra A, Spinnewijn WE, Bons SC, et al; NHG-werkgroep. Lumbosacraal radiculair syndroom. Juni 2015.
  12. Van Wambeke P, Desomer A, Ailliet L, et al. Guide de pratique clinique pour les douleurs lombaires et radiculaires. Résumé. Good Clinical Practice (GCP). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2017. KCE Reports 287Bs. D/2017/10.273/34.
  13. Non-invasive treatments for low back pain and sciatica. In: Low back pain and sciatica in over 16s: assessment and management. NICE guideline [NG59]. Published: 30 November 2016. Last updated: 11 December 2020.
  14. George SZ, Fritz JM, Silfies SP, et al. Interventions for the management of acute and chronic low back pain: revision 2021. J Orthop Sports Phys Ther 2021;51:CPG1-CPG60. DOI: 10.2519/jospt.2021.0304

 




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