Analyse


La racine de gingembre est-elle efficace contre la migraine ?


18 03 2022

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Chen L, Cai Z. The efficacy of ginger for the treatment of migraine: a meta-analysis of randomized controlled studies. Am J Emerg Med 2021;46:567-71. DOI: 10.1016/j.ajem.2020.11.030


Question clinique
Quelle est l’utilité du gingembre dans le traitement de la migraine ?


Conclusion
Cette revue systématique avec méta-analyse de seulement trois études, cliniquement hétérogènes, de petite taille et de qualité méthodologique incertaine, montre que, chez les patients souffrant d’une crise de migraine, le gingembre, comparé à un placebo, réduit la douleur de manière statistiquement significative dans les deux heures. Cependant, on ne sait pas quelle est la pertinence clinique de cette différence. Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre le gingembre et le placebo quant à la fréquence des crises de migraine. Les préparations au gingembre ne sont pas non plus définies concrètement, ce qui rend difficile l’extrapolation dans la pratique.



Contexte

L’effet de divers traitements curatifs et préventifs de la migraine a été régulièrement discuté dans Minerva. En plus des médicaments classiques, nous avons également discuté de l’intérêt du grand pétasite (Petasites hybridus (L.) Gaertn.) dans la prévention des crises de migraine. Cette étude a montré que 150 mg d’extrait de grand pétasite sur une période de 4 mois pouvaient réduire de 45% le nombre de crises de migraine chez les patients qui avaient au moins 2 à 6 crises de migraine par mois (1,2) mais nous avions besoin de davantage de garanties au point de vue sécurité à long terme, et d'études à plus grande échelle et de plus longue durée pour évaluer son efficacité dans la pratique quotidienne. L’intérêt de la phytothérapie dans cette indication est une alternative à la prise en charge habituelle à étudier.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

PubMed, EMbase, Web of science, EBSCO, la bibliothèque Cochrane ; jusque septembre 2020

listes de références des études trouvées et des revues pertinentes.

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées contrôlées (RCTs) comparant le gingembre à un placebo chez des patients souffrant de migraine
  • pas de critères d’exclusion
  • finalement ont été incluses 3 RCTs qui comparaient une préparation orale de gingembre à un placebo dans un service d’urgence (3), 1 RCT comparant une préparation de gingembre versus placebo pendant trois mois dans une clinique de traitement des maux de tête (4) et 1 RCT qui comparait l’association de gingembre sublingual et de grande camomille à un placebo en cas de crise de migraine pendant un mois (5).

 

Population étudiée

  • 227 patients, âge médian de 31,5 (intervalle de 19 à 54) à 40,6 ans (ET 1,6 an) en moyenne, plus de 80% de femmes, souffrant de migraine depuis en moyenne 10 (ET 9,6) à 13 ans (médiane) (intervalle de 3 à 41 ans), dont plus de 50% avaient des migraines avec aura.

 

Mesure des résultats

  • principaux critères de jugement : la différence du score de douleur à 2 heures (variable continue) et le nombre de patients sans douleur à 2 heures (variable discontinue)
  • critères de jugement secondaires : réponse au traitement (réduction de 50% du nombre de crises de migraine, ou intensité de la douleur de 0 ou 1 sur une échelle de 4 après le traitement)
  • analyse suivant le modèle à effets aléatoires.

 

Résultats

  • avec le gingembre, comparé au placebo, on observait après 2 heures une réduction statistiquement significative du score moyen de la douleur (différence moyenne de -1,27 avec IC à 95% de -1,46 à -1,07 ; p < 0,00001 ; N = 2 études ; I² = 0%) et une augmentation statistiquement significative du nombre de patients sans douleur (RR de 1,79 avec IC à 95% de 1,04 à 3,09 ; p = 0,04 ; N = 2 études ; I² = 0%)
  • avec le gingembre, comparé au placebo, il n’y avait pas de différence dans la réponse au traitement (N = 2 études ; I² = 64%) et la survenue d’effets indésirables (N = 3 études ; I² = 66%), mais il y avait une diminution des nausées et des vomissements (RR de 0,48 avec IC à 95% de 0,30 à 0,77 ; p = 0,002 ; N = 3 études ; I² = 0%).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les patients souffrant de migraine, le gingembre est sûr et efficace pour le traitement de la douleur, mesurée après deux heures.

 

Financement de l’étude:

Financement non mentionné.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Pas de conflit d’intérêt mentionné.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La recherche dans la littérature, suffisamment étendue, n’a permis de trouver que 3 RCTs répondant aux critères d’inclusion, pourtant choisis larges eux aussi. En raison du petit nombre d’études, il n’a pas été possible de détecter un biais de publication. Le score de JADAD de ces études de petite taille variait entre 3 et 4. Ce score a l’avantage d’être facilement reproductible. Ainsi, un score ≥ 3 est défini comme étant de haute qualité sur le plan méthodologique. En revanche, ce score est considéré comme assez incomplet (6). La Cochrane Collaboration recherche le risque de biais dans six domaines, ce qui donne une image plus transparente de la qualité méthodologique d’une RCT (6). En outre, on ne sait pas combien de chercheurs étaient impliqués dans l’évaluation de la qualité méthodologique des études. En ce qui concerne l’extraction des données, il est clairement décrit que deux chercheurs indépendants l’ont effectuée, avec un troisième comme arbitre en cas de discussion. Les études avec des critères de jugement similaires ont été sommées. Deux études indiquent les résultats aigus (primaires) ; deux études évaluent la diminution du nombre de crises ; les trois études examinent l’influence sur les nausées et les vomissements. Bien que l’hétérogénéité statistique des résultats sommés soit faible, les études sont cliniquement très hétérogènes dans d’autres domaines. Par exemple, différentes doses, compositions et voies d’administration ont été utilisées. La durée du traitement aussi était très variable : une fois en urgence, au besoin pendant 1 mois, à prendre quotidiennement pendant 3 mois.

 

Interprétation des résultats

Les chercheurs de cette méta-analyse ont constaté que le gingembre avait un effet statistiquement significatif sur la réduction de la douleur dans les deux heures après le début du traitement. Les données des méta-analyses ne nous permettent toutefois pas de déterminer dans quelle mesure l’effet sur la douleur était également cliniquement pertinent. Les différences moyennes sur les échelles de douleur qui ont été reprises dans le forest plot ne se trouvent pas dans les publications originales (3,5). Il s’agit probablement de différences moyennes standardisées, qu’il est difficile d’extrapoler à un contexte clinique. En outre, une des RCT a été menée en ouvert (5), ce qui n’est pas très fiable pour la mesure de résultats subjectifs, tels que la douleur. Les différences absolues entre le gingembre et le placebo quant au nombre de patients sans douleur dans les deux heures se trouvent dans les études originales : 32% contre 15% et 60% contre 30% (3). Il est à noter que la réponse placebo est importante dans les deux études.

De plus, les résultats de cette méta-analyse ne sont pas extrapolables à la pratique. On ne sait pas grand-chose sur les préparations utilisées. Les auteurs ont introduit « gember » (gingembre) comme mot-clé, sans se soucier de la partie du gingembre utilisée (vraisemblablement toujours la racine). Les auteurs parlent d’«extraits (secs) de gingembre ». Ils ne précisent pas de quelle manière les extraits sont préparés. D’après les doses administrées (400 à 600 mg par jour), il doit s’agir de poudre de rhizome séché plutôt que d’extraits concentrés. Dans une étude, le gingembre a été administré par voie sublinguale plutôt que par voie orale, et combiné avec la grande camomille (Tanacetum parthenium). Nous n’avons pas d’informations sur la dose administrée dans cette étude. De plus, aucun médicament à base de racine de gingembre n’est actuellement disponible en Belgique. Tant les médecins et les pharmaciens que les patients dépendent de compléments alimentaires, qui n’offrent pas les mêmes garanties en termes de qualité, de sécurité et d’efficacité (7). La poudre de racine de gingembre séchée peut être prescrite en préparation magistrale.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Le gingembre ne figure pas dans le guide de pratique belge pour la prise en charge d’une crise aiguë de migraine et la prévention des crises. Pour une crise aiguë, la recommandation suggère uniquement des antalgiques (AINS). Si le résultat n’est pas satisfaisant, on passe aux triptans. Les bêtabloquants tels que le métoprolol et le propranolol sont recommandés dans l’approche préventive. Chez les patients chez qui les bêtabloquants sont contre-indiqués, on peut envisager le topiramate (8).

 

Conclusion de Minerva

Cette revue systématique avec méta-analyse de seulement trois études, cliniquement hétérogènes, de petite taille et de qualité méthodologique incertaine, montre que, chez les patients souffrant d’une crise de migraine, le gingembre, comparé à un placebo, réduit la douleur de manière statistiquement significative dans les deux heures. Cependant, on ne sait pas quelle est la pertinence clinique de cette différence. Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre le gingembre et le placebo quant à la fréquence des crises de migraine. Les préparations au gingembre ne sont pas non plus définies concrètement, ce qui rend difficile l’extrapolation dans la pratique.

 

 

Références 

  1. Laekeman G. Extrait de pétasite officinale contre la migraine? MinervaF 2005;4(9):134-5.
  2. Lipton RB, Göbel H, Einhäupt KM, et al. Petasites hybridys root (butterbur) is an effective preventive treatment for migraine. Neurology 2004;63:2240-4. DOI: 10.1212/01.wnl.0000147290.68260.11
  3. Martins LB, Dos Santos Rodrigues AM, Rodrigues DF, et al. Double-blind placebo-controlled randomized clinical trial of ginger ( Zingiber officinale Rosc.) addition in migraine acute treatment. Cephalalgia 2019;39:68-76. DOI: 10.1177/0333102418776016
  4. Martins LB, Dos Santos Rodrigues AM, Monteze NM, et AL. Double-blind placebo-controlled randomized clinical trial of ginger (Zingiber officinale Rosc.) in the prophylactic treatment of migraine. Cephalalgia 2020;40:88-95. DOI: 10.1177/0333102419869319
  5. Cady RK, Goldstein J, Nett R, et al. A double-blind placebo-controlled pilot study of sublingual feverfew and ginger (LipiGesic™ M) in the treatment of migraine. Headache 2011;51:1078-86. DOI: 10.1111/j.1526-4610.2011.01910.x
  6. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(6):76.
  7. La rédaction Minerva. Des plantes sous forme de médicaments et de compléments alimentaires. MinervaF 2021;20(6):66-8.
  8. Prise en charge de la migraine. Recommandation de Bonne Pratique. SSMG/Domus Medica 2011. Ebpracticenet, mis à jour: 17/04/2013.

 




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