Analyse


Intérêt des corticostéroïdes intranasaux dans le traitement de l’anosmie liée au covid-19 ?


20 04 2022

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Rashid RA, Zgair A, Al-Ani RM. Effect of nasal corticosteroid in the treatment of anosmia due to COVID-19: a randomized double-blind placebo-controlled study. Am J Otolaryngol 2021;42:103033. DOI: 10.1016/j.amjoto.2021.103033


Question clinique
Quelle est l’efficacité de l’administration de gouttes intranasales de bétaméthasone dans la récupération de l’olfaction dans l’anosmie liée au covid-19 ?


Conclusion
Cette étude randomisée, placebo-contrôlée, en double aveugle, qui a été menée en Irak en 2020 au milieu de la première vague de covid-19, est de faible qualité méthodologique en raison d’un manque de puissance. Elle n’est pas parvenue à montrer l’intérêt de la bétaméthasone intranasale dans l’anosmie liée au covid-19.



 

Contexte

La prise en charge des personnes atteintes d’anosmie liée au covid-19 est difficile, tant en termes de qualité de vie, de charges psychologiques et de répercussions sur la santé en général liée à l’agueusie qui est souvent associée (1). L’anosmie continue à être associée à une infection au Sars-Cov-2 et est considérée comme un événement à la fois précoce et séquellaire à divers degrés après récupération de la phase initiale de l’infection. Étant donné le caractère nouveau du covid-19, le mécanisme précis sous-jacent de l’anosmie doit encore être complètement élucidé. À cet égard, l’utilisation de corticostéroïdes intranasaux dans le traitement de l’anosmie post-virale est déjà répandue pour d’autres types d’étiologies virales (1). De plus, l’hypothèse d’utiliser les corticoïdes systémiques étant déconseillée vu le potentiel risque d’immunosuppression généralisée (1), il est proposé de tenter l’utilisation de corticostéroïdes intranasaux pour apporter un soutien anti-inflammatoire sur le terrain pro-inflammatoire local à la récupération de l’anosmie, mais cette pratique reste controversée dans la littérature (1). D’un point de vue méthodologique, les études ne sont souvent que faiblement étayées, ou leurs résultats sont contradictoires (2). Une étude sérieuse portant sur l’effet thérapeutique de corticoïdes intranasaux, particulièrement la bétaméthasone, dans la récupération de l’anosmie est néanmoins pertinente chez les patients souffrant de covid-19 (1).

 

Résumé

Population étudiée

  • recrutement des patients confirmés positifs par PCR dans 2 services d’ORL des cliniques universitaires Al-Ramadi et Tikrit en Irak
  • inclusion de 276 patients âgés d’au moins 18 ans (âge moyen 29 ans (IQR 23-36) ; 69,6% de femmes) présentant une anosmie récente (moins de 15 jours) et testés positifs au covid-19 par PCR, avec des symptômes légers à modérés
  • critères d’exclusion : grossesse, présence de troubles psychologiques, antécédent d’anosmie ancienne pré-covid-19, maladies des sinus et des narines, antécédents de chirurgie des cavités sinusales et nasales, anosmie plus ancienne que 15 jours
  • données cliniques récupérées: âge, sexe, temps du début de l’anosmie à l’initiation du traitement, symptômes nasaux (obstruction, rhinorrhée, éternuements et douleur faciale) et antécédents d’anomalies naso-sinusiennes ainsi que chirurgicales
  • échantillon quantifié sur base du critère de temps de récupération clinique de l’anosmie de 7 jours. Le calcul du nombre de sujets nécessaires dans chaque groupe, qui va donner 80% de puissance et 5% de valeur statistiquement significative, est de 214 patients (total de 428) avec un taux d’arrêt précoce estimé à 10% ; la procédure de recrutement a été arrêtée précocement à 276 patients randomisés à cause du temps d’attente trop long pour avoir les données
  • l'âge médian des participants était de 29 ans (IQR 23–36) et la répartition par sexe était de 42 (30,4%) hommes contre 96 (69,6%) femmes dans le groupe bétaméthasone et 36 (26,1%) contre 102 (73,9%) dans le groupe placebo ; la plupart des participants présentaient des symptômes cliniques d'anosmie depuis plus de 3 jours avant d'être impliqués dans l'étude (médiane de 4,5 jours ; IQR 3-6) ; en plus de l'anosmie, la plupart des participants souffraient d'agueusie : 118 (85,5%) dans le groupe bétaméthasone et 116 (84,1%) dans le groupe placebo ; parmi les participants, 32 (11,6%) étaient des fumeurs : 20 (14,5%) dans le groupe bétaméthasone et 12 (8,4%) dans le groupe placebo ; pas de différence de base entre le groupe intervention et le groupe témoin quant à l’âge, le sexe, début de l’anosmie, tabagisme, coïncidence avec l’agueusie, ou avec l’histoire de maladies de cavités naso-sinusiennes ; néanmoins, on retrouve plus de patients avec des symptômes nasaux (obstruction/rhinorrhée) dans le groupe bétaméthasone versus le groupe placebo (p = 0,019).

Protocole de l’étude

Étude randomisée, placebo-contrôlée, en double aveugle, avec deux bras:

  • groupe intervention (n = 138) : chaque participant a été évalué à la consultation pour le critères d’inclusion et a reçu la bétaméthasone nasale à administrer 3 fois par jour jusqu’à la récupération complète
  • groupe témoin (n = 138) : une dose similaire de NaCl 0,9% à administrer comme placebo
  • suivi de 30 jours ; la récupération de l’odorat a été rapportée par contact téléphonique ; un follow-up téléphonique tous les 5 jours était également organisé pour le suivi clinique, le suivi de l’adhésion au traitement et des éventuels effets indésirables.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement principal : délai (en jours) entre la randomisation et la récupération de l’odorat
  • pas de changement à J30 considéré comme un échec
  • délai à l’amélioration de l’anosmie représenté sur une courbe de Kaplan-Meier et comparé avec un test du log-Rank. Le modèle de risque proportionnel de Cox a été utilisé pour évaluer l’effet des covariables sur l’indicateur de temps de récupération
  • les résultats sont exprimés en moyenne (interquartile range ; IQR) ou en nombre de patients (%) ; les différences statistiques entre les groupes de traitement ont été évaluées à l’aide du test de Chi² ou le cas échéant par le test U de Mann-Whitney
  • le logiciel SPSS de IBM, version 25, a été utilisé pour l’analyse et une valeur de P < 0,05 a été retenu comme étant statistiquement significatif
  • analyse en intention de traiter (ITT).

Résultats

  • le critère primaire de jugement était le délai d'amélioration clinique de l'anosmie qui dans le groupe bétaméthasone n'était pas significativement différent de celui du groupe placebo ; le temps médian de récupération de l'anosmie suite à l'intervention dans le groupe bétaméthasone était de 7 jours (IQR 5-14) contre 7 jours (IQR 4-12) dans le groupe placebo (RR de 0,88 avec IC à 95% de 0,68 à 1,14 ; p = 0,31)
  • le temps de récupération médian depuis le début de l'anosmie pour tous les participants était de 13 jours (IQR 8–18)
  • dans l'ensemble, 83% des participants avaient récupéré de l'anosmie au cours de la période de suivi ; 82% dans le groupe bétaméthasone versus 84% ​​dans le groupe placebo
  • l'âge, la durée de l'anosmie, l'apparition occasionnelle de l'anosmie et de l'agueusie, le tabagisme ont eu une influence statistiquement significative sur le critère de jugement principal (voir aussi : Interprétation des résultats).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l'application nasale de bétaméthasone n'a eu aucun effet significatif sur le temps de récupération de l'anosmie chez les patients covid-19. Par conséquent, les preuves de cette étude suggèrent que l'utilisation de la bétaméthasone nasale pour faciliter le temps de récupération de l'anosmie aiguë n'est pas conseillée. De plus, l'âge, le statut tabagique, la durée de l'anosmie lors de la présentation et la co-présentation de l'agueusie avec l'anosmie sont des facteurs déterminants importants pour le temps de récupération de l'anosmie. D'autres essais cliniques tenant compte de ces facteurs devront être entrepris.

Financement de l’étude

Aucune subvention spécifique d'organismes de financement des secteurs public, commercial ou à but non lucratif.

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt déclaré.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement dans cette étude randomisée, placebo-contrôlée en double aveugle avec 2 bras était insuffisant. Bien que les critères d’inclusion et d’exclusion aient été décrits avec précision, la population incluse (276) était en dessous du chiffre (428) requis pour mener à la puissance statistique pré-déterminée. Il y a comme explication à cela les importants délais de recrutement de patients et aussi la vague de pandémie en 2020, et la pression pour publier des données. Cela reste cependant étonnant car dans l’introduction de leur article, les auteurs mentionnent que 68% des patients covid positifs souffrent d’anosmie. La randomisation n’a pas été stratifiée en fonction du sexe, de l’âge, de la durée de l’anosmie pré-recrutement, du tabagisme, de la symptomatologie pré-existante, de l’agueusie et de l’histoire naso-sinusienne. La plupart des données démographiques sont assez équilibrées entre les deux bras, mais il est à noter que les participants du groupe placebo avaient en moyenne une récupération plus rapide de l’anosmie. La différence n’était pas statistiquement significative.

Les stratégies employées pour le maintien de l’aveugle ne sont pas décrites. Le critère de jugement primaire est clairement enregistré et pertinent pour la pratique quotidienne. En effectuant une analyse en ITT, le facteur « observance » est inclus dans le calcul de l’effet du critère de jugement.

 

Interprétation des résultats

Aucune différence statistiquement significative n’a été trouvée entre le groupe intervention et le groupe placebo quant au critère de jugement primaire. Ce résultat est difficilement interprétable en raison du manque de puissance de l’étude. Il a aussi été mentionné que l’auto-évaluation de l’odorat, le délai court d’évaluation et le cohorte limité sont des facteurs limitants à l’étude.

L'effet des covariables sur le temps de récupération de l'anosmie dans chaque bras de traitement a montré que l'âge avait un effet important sur le temps de récupération. Il semble que les participants plus jeunes récupèrent plus rapidement de l'anosmie que les participants plus âgés dans les deux groupes. De plus, plus le temps écoulé depuis l’apparition de l’anosmie est élevé, plus la récupération est faible dans le groupe placebo (p = 0,014) ; ceci n’est en revanche pas observé dans le groupe bétaméthasone (p = 0,94). Dans le groupe bétaméthasone, les participants qui souffraient d'anosmie et d'agueusie ont une récupération significativement plus élevée que les participants souffrant d'anosmie seule (p=0,026). Cependant, il semble que la coïncidence de l'agueusie n'ait pas d'effet significatif sur la récupération de l'anosmie dans le groupe placebo. En outre, il semble que le tabagisme ait un effet négatif sur la récupération de l'anosmie. Cet effet était significatif dans le groupe bétaméthasone (p = 0,009), mais pas dans le groupe placebo (p = 0,058). D'autres covariables telles que le sexe, la présence de symptômes nasaux et des antécédents de maladies naso-sinusiennes n'ont pas d'effet significatif sur la guérison dans les deux groupes.

Les patients souffrants de troubles psychologiques ont été exclus sans explication détaillée des auteurs. Il est vrai que dans les RCP individuelles, on peut lire : « divers effets psychologiques ou comportementaux incluant une hyperactivité psychomotrice, des troubles du sommeil, de l’anxiété, une dépression ou une agressivité (en particulier chez les enfants) ».

Il est également précisé que le risque de survenue de ces effets est bien plus faible qu’avec les corticoïdes par voie orale et peut varier d’un patient à l’autre et en fonction des différentes préparations de corticoïdes.

Que disent les guides de pratique clinique ?

Ebpracticenet (3) affirme qu’après une infection virale ou bactérienne, l’odorat se rétablit avec le temps chez de nombreux patients, au moins partiellement. La Haute Autorité de Santé (HAS) (4) rappelle qu’en cas de persistance d’une perte de l’odorat à 15 jours du début des symptômes, des lavages de nez au sérum physiologique peuvent être proposés au patient, associés à une rééducation olfactive. Mettre en route le plus rapidement possible la rééducation olfactive est primordial car cela reste pour le moment le seul traitement ayant prouvé son efficacité lors de prise en charge d’anosmie post virale. Expliquer son principe au patient afin qu’il y adhère pleinement est nécessaire.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, placebo-contrôlée, en double aveugle, qui a été menée en Irak en 2020 au milieu de la première vague de covid-19, est de faible qualité méthodologique en raison d’un manque de puissance. Elle n’est pas parvenue à montrer l’intérêt de la bétaméthasone intranasale dans l’anosmie liée au covid-19.

 

 

Références 

  1. Rashid RA, Zgair A, Al-Ani RM.  Effect of nasal corticosteroid in the treatment of anosmia due to COVID-19: a randomized double-blind placebo-controlled study. Am J Otolaryngol 2021;42:103033. DOI: 10.1016/j.amjoto.2021.103033
  2. Othman BA, Maulud SQ, Jalal PJ, et al. Olfactory dysfunction as a post-infectious symptom of SARS-CoV-2 infection. Ann Med Surg (Lond) 2022;75:103352. DOI: 10.1016/j.amsu.2022.103352
  3. Trouble de l’odorat. Duodecim Medical Publications 2015. Screené par Ebpracticenet 2019.
  4. HAS. Les troubles du goût et de l’odorat au cours des symptômes prolongés de la Covid-19. Validée par le Collège le 10/02/2021. URL : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-11/fiche_troubles_du_gout_et_de_l_odorat.pdf

 




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