Analyse


Effets d’un régime riche en calcium et en protéines chez la personne âgée institutionnalisée


27 06 2022

Professions de santé

Diététicien, Infirmier, Médecin généraliste, Pharmacien
Analyse de
Iuliano S, Poon S, Robbins J. et al. Effect of dietary sources of calcium and protein on hip fractures and falls in older adults in residential care: cluster randomised controlled trial. BMJ 2021;375:n2364 DOI: 10.1136/bmj.n2364


Question clinique
Quel est l’intérêt en termes de réduction du risque de fracture de l’ajout de produit laitier dans le régime alimentaire de patients âgés institutionnalisés par rapport à un régime habituel ?


Conclusion
Cet essai clinique randomisé en grappe de bonne qualité méthodologique montre qu’un régime alimentaire enrichi en calcium et en protéines par l’ajout de produit laitier au régime habituel permet une réduction de risque de fracture, de pertinence clinique incertaine, chez la personne âgée institutionnalisée.



 

Contexte

La prévention des fractures a déjà été étudiée de nombreuses fois dans Minerva. En 2010, nous présentions une méta-analyse (1,2) qui confirmait l’intérêt de l’administration de calcium et de vitamine D en prévention des fractures et particulièrement de la fracture de hanche chez la personne âgée. En 2011, nous présentions un essai clinique randomisé (3,4) qui mettait en évidence une amélioration de la force musculaire et de la mobilité chez des femmes âgées de 70 à 90 ans avec antécédents de chute, mauvaise mobilité initiale et carence en vitamine D à la suite d’une administration de vitamine D et calcium. L’étude analysée ici a l’originalité d’aborder une intervention strictement diététique (ajout de produit laitier au régime alimentaire) chez des patients non carencés en vitamine D (5).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 7195 résidents (68% de femmes ; âge moyen de 86 ans) de 60 maisons de repos situées dans le grand Melbourne et la région de Victoria en Australie
  • critères d’inclusion : servir un maximum de 2 produits laitiers quotidiennement équivalant à un apport quotidien de 600 mg de calcium et de moins de 1g de protéines par kg de masse corporelle et par jour ; les résidents étaient suppléés en vitamine D de manière routinière.

 

Protocole d’étude

  • essai clinique randomisé en grappe
  • groupe intervention : ajout d’une ration supplémentaire de produits laitiers permettant un apport supplémentaire quotidien de 562 mg de calcium et 12 g de protéines par jour ; cet ajout portant un apport quotidien total de 1142 mg de calcium et de 69 g de protéines (1,1 g/kg de masse corporelle)
  • groupe contrôle : apport journalier ne dépassant pas 700 mg de calcium et de 58 g de protéines par jour (0,9 g/kg de masse corporelle).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : incidence des fractures de fragilité
  • critères de jugement secondaires : modification morphologique et biochimique de l’os et incidence des chutes.

Résultats

  • au départ de l’étude, 60 maisons de repos ont été sélectionnées ; à la fin de l’étude, il en restait 54 ; une maison de repos dans le groupe contrôle ainsi que 3 maisons de repos dans le groupe intervention se sont retirées de l’étude après randomisation et 2 ont fermé aux 15ème et 20ème mois de l’étude
  • la réduction relative de risque de fractures de fragilité était de 33% (rapport de hasard de 0,67 ; avec IC à 95% de 0,48 à 0,93) et de 44% (rapport de hasard de 0,54 avec IC à 95% de 0,35 à 0,83) pour les fractures de hanches
  • une différence statistiquement significative moyenne de -20,4% fut observée pour le marqueur de la résorption osseuse (C terminal telopeptide type 1 collagen) et de + 7,9% pour le insulin-like growth factor 1
  • de même, une différence statistiquement significative de 1,8% fut observée pour la densité osseuse vertébrale et de 3,3% au niveau radial distal
  • la réduction relative du risque de chutes était de 11% (HR de 0,89 avec IC à 95% de 0,78 à 0,98)
  • il n’y a pas eu de différence statistiquement significative quant à la mortalité toute cause confondue.

 

Conclusion des auteurs

Améliorer les apports en calcium et en protéines en utilisant des produits laitiers est une intervention facilement accessible qui réduit le risque de chutes et de fractures fréquentes chez les personnes âgées institutionnalisées.

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

La méthodologie de cet essai contrôlé randomisé est globalement bonne. Néanmoins plusieurs limitations sont à souligner. Premièrement, plus de la moitié des participants avaient une période de suivi de moins de 15 mois alors que la durée de l’étude était de 2 ans. A noter également qu’étant donné la nature de l’intervention, le processus de randomisation ne fut pas en double aveugle. Ensuite, la plupart des critères de jugement secondaire n’ont été mesurés que sur un sous-groupe de participants. De la même manière, l’adhésion au protocole n’a été surveillée que sur 7195 patients ce qui équivaut à 10% de la population totale de l’étude. De plus, la définition de « fracture de fragilité », le critère primaire, n’est pas précisément spécifiée. Classiquement, elle se définit comme une fracture résultant d’un traumatisme à basse énergie (comme une chute de sa hauteur) qui ne provoquerait pas de fracture chez un patient en bonne santé (6). Les auteurs précisent juste que « toutes les fractures à part une étaient le résultat d’une chute ».

 

Évaluation des résultats de l’étude

Cette étude confirme l’intérêt d’un apport complémentaire en calcium et protéine chez la personne âgée institutionalisé en termes de réduction du risque de fracture et de chutes. Elle confirme également sa sécurité car aucun effet indésirable digestif ne fut reporté. Les auteurs portent néanmoins notre attention sur le fait que la plupart des autres études ont étudié les effets d’une thérapie sur le risque de fracture chez les ostéoporotiques. Ceux-ci présentent un risque de fracture élevé et donc les thérapies sont susceptibles d’apporter un bénéfice individuel plus élevé avec un rapport cout-bénéfice avantageux. A contrario, l’intervention de cette étude, en ciblant une population avec un risque de fracture moins élevé mais plus large et avec une intervention a priori simple, serait associée un bénéfice communautaire important en réduisant la charge induite par les fractures sur notre système de soin. Sur base des données disponibles dans la publication, nous calculons un « number needed to prevent », c’est-à-dire un nombre de patients à suppléer pendant la durée de l’étude pour prévenir une fracture, à 61.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Un rapport du jury d’une réunion de consensus de l’INAMI (7) datant de 2015 recommande une combinaison de calcium et de vitamine D chez les personnes de plus de 70 ans institutionnalisées et/ou présentant un risque de chute accru tant pour la prévention des fractures que pour la prévention des chutes. La dose recommandée est de 1200 mg de calcium qui idéalement doit provenir d’une alimentation équilibrée. En cas d’apport alimentaire insuffisant, une supplémentation est envisageable à une dose de 500 mg à 1000 mg de calcium en fonction de l’apport alimentaire. 

 

Conclusion de Minerva 

Cet essai clinique randomisé en grappe de bonne qualité méthodologique montre qu’un régime alimentaire enrichi en calcium et en protéines par l’ajout de produit laitier au régime habituel permet une réduction de risque de fracture, de pertinence clinique incertaine, chez la personne âgée institutionnalisée.

 

 

Références 

  1. Chevalier P. Prévention des fractures : vitamine D avec ou sans calcium. MinervaF 2010;9(8):92-3.
  2. The DIPART (vitamin D Individual Patient Analysis of Randomized Trials) Group. Patient level pooled analysis of 68 500 patients from seven major vitamin D fracture trials in US and Europe. BMJ 2010;340:b5463. DOI: 10.1136/bmj.b5463
  3. Chevalier P. Vitamine D : force musculaire, mobilité et chutes chez la femme agée. Minerva Analyse 28/06/2011.
  4. Zhu K, Austin N, Devine A, et al. A randomized controlled trial of the effects of vitamin D on muscle strength and mobility in older women with vitamin D insufficiency. J Am Geriatr Soc 2010;58:2063-8. DOI: 10.1111/j.1532-5415.2010.03142.x
  5. Iuliano S, Poon S, Robbins J. et al. Effect of dietary sources of calcium and protein on hip fractures and falls in older adults in residential care: cluster randomised controlled trial. BMJ 2021;375:n2364 DOI: 10.1136/bmj.n2364
  6. Kanis JA, Oden A, Johnell O, et al. The burden of osteoporotic fractures: a method for setting intervention thresholds. Osteoporos Int 2001;12:417-27. DOI: 10.1007/s001980170112
  7. INAMI. L’usage rationnel du calcium et de la vitamine D. Réunion de consensus du 28 mai 2015. Conclusions – Rapport du jury – Texte long.

 

 


Auteurs

Dequiedt C.
médecin généraliste hospitalier, Service de gériatrie, CHBA
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

Glossaire

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