Revue d'Evidence-Based Medicine



Une RCT « enrichie » = risque de biais et extrapolabilité appauvrie



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 8 Page 103 - 103

Professions de santé


Texte publié sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

 

 

Formation médicale continue ~ Concepts et outils en EBM

La rédaction consacre une rubrique ‘Formation médicale continue’ (FMC) à l’explicitation de concepts et outils en Evidence-Based Medicine (EBM)

 

 

Chez des patients présentant des lombalgies chroniques, une RCT (1) montre, sur 12 semaines de traitement, une supériorité statistiquement significative en termes de soulagement de la douleur (p=0,010) d’un dispositif transdermique contenant de la buprénorphine, versus placebo. En fait cette RCT inclut 541 patients (sur 1 466 enrôlés et 1 024 initialement traités) répondeurs à un traitement avec ces dispositifs de buprénorphine durant une période d’inclusion de maximum 27 jours et non en insu. L’échantillon est dit « enrichi ». Comment interpréter les résultats d’une telle étude ?

Lors de la sélection d’un échantillon de sujets dans une population, si le but est bien d’établir une efficacité/sécurité de deux (ou davantage) approches thérapeutiques dans l’ensemble de cette population, il est indispensable de ne pas imposer un ou des critères de sélection qui d’emblée exclu(en)t de manière injustifiée mais systématique une proportion importante de cette population. Des critères d’exclusion justifiés ne sont pas concernés pas cette remarque : l’exclusion de femmes enceintes lors de l’évaluation d’un nouveau médicament à risque tératogène non précisé est bien sûr justifiée et impérative. L’exclusion de sujets présentant une insuffisance rénale ou hépatique en cas de connaissances insuffisantes ou de risque identifié pour ce (nouveau) médicament dans ces situations est également justifiée.

 

Dans l’étude CLASS (2) évaluant la sécurité gastro-intestinale du célécoxib chez des patients avec arthrose ou arthrite rhumatoïde, les patients avec une pathologie gastro-intestinale active, une insuffisance rénale (sans seuil précisé dans la publication !) ou hépatique, ou un trouble de la coagulation étaient exclus. Ces exclusions pouvaient se justifier en fonction des risques connus pour les AINS en général et ne pouvant être exclus pour les AINS sélectifs de la cyclo-oxygénase 2.

Lors de l’interprétation des résultats de l’étude pour décider si le médicament évalué peut potentiellement être utile au patient qui nous consulte, il est important de comparer les caractéristiques de ce patient précis avec celles des sujets inclus (et exclus !) dans (de) l’étude. Autrement dit, le patient qui me consulte aurait-il pu être inclus dans l’étude en question ?

 

Dans l’étude CLASS (2), les patients avec insuffisance rénale étaient exclus. Mr R, âgé de 75 ans, qui me consulte pour une gonarthrose fort douloureuse depuis 2 jours, présentait une clairance de créatine à 55 ml/min lors de son dernier contrôle sanguin. Il est sous traitement par amlodipine et IEC pour son HTA, bien contrôlée par ce traitement. Les résultats favorables de l’étude CLASS ne peuvent être extrapolés à sa situation. L’administration d’un AINS, sélectif ou non, risque aussi d’aggraver son insuffisance rénale.

Le fait d’enrichir l’échantillon de patients inclus dans une étude pose un problème plus important. Ne sélectionner que des patients répondeurs et tolérants à un traitement pour les randomiser ensuite dans une comparaison thérapeutique entraîne un effet de cohorte qui représente un risque de biais d’éloignement de l’hypothèse nulle et un obstacle à une extrapolabilité des résultats à une population plus large que celle de l’étude.

Un effet de cohorte (de sélection d’une cohorte) a été bien illustré dans des études concernant l’évaluation de l’efficacité du lithium pour prévenir les récidives d’accès maniaques en cas de trouble bipolaire.

Une synthèse (3) a rassemblé et sommé les résultats des études évaluant l’efficacité du lithium en prévention des rechutes de troubles bipolaires. Elle montre pour la sommation de l’ensemble des 9 études, un OR du lithium versus placebo de 3,2 (IC à 95% de 1,8 à 8,7). Pour les 3 études avec cohorte enrichie (réponse et tolérance au lithium avant la randomisation) l’OR est de 22,0 (7,0 – 68,7) et pour 2 études avec cohorte non enrichie à la lamotrigine, l’OR est de 1,9 (1,2 – 2,8), soit 11 fois plus faible que lors d’un « enrichissement » de cohorte avec le lithium, ce qui ne peut être lié au hasard (p<0,05 pour les intervalles de confiance). Un effet d’une sélection de cohorte est ainsi bien montré.

 

Cet enrichissement de population à randomiser avec sélection de cohorte représente un risque de biais d’éloignement de l’hypothèse nulle.

Une synthèse méthodique (4) évalue l’efficacité de l’aripiprazole en prévention des récidives en cas de troubles bipolaires. Les auteurs ne trouvent qu’une recherche (deux publications de Keck et coll (5,6) incluant 567 patients dans une phase en ouvert de 6 à 18 semaines d’aripiprazole, dont 161 « répondeurs » (28%) sont inclus dans l’étude randomisée versus placebo. Ce type de sélection représente un risque de biais d’éloignement de l’hypothèse nulle : la valeur observée est plus éloignée de l’hypothèse nulle (valeur 1,0 pour un OR) que la valeur réelle :

 

Avec ou sans biais d’éloignement de l’hypothèse nulle, les résultats d’une étude avec « enrichissement » de l’échantillon, ne peuvent être extrapolés à une population plus large.

Dans l’étude se Steiner (1), le dispositif transdermique contenant de la buprénorphine est statistiquement plus efficace qu’un placebo en termes de soulagement de la douleur sur 12 semaines de traitement  … chez des patients pour lesquels il est efficace et bien toléré à doses progressives pendant ≤ 27 jours. Parmi les patients traités en ouvert par les dispositifs de buprénorphine, 53% seulement sont répondeurs et non intolérants à ce médicament. Un taux d’échec de 47% pour un traitement antalgique présenté comme un nouveau traitement à évaluer chez des patients qui se plaignent de douleurs chroniques modérées à sévères, est préoccupant. Que les personnes soulagées le soient ensuite davantage que sous placebo ne nous permet également plus de déterminer réellement la part d’effet placebo de ce traitement. Finalement, l’efficacité d’un tel traitement ne peut pas être extrapolée à tous les patients souffrant de lombalgies chroniques.

 

Références

  1. Steiner DJ, Sitar S, Wen W, et al. Efficacy and safety of the seven-day buprenorphine transdermal system in opioid-naïve patients with moderate to severe chronic low back pain: an enriched, randomized, double-blind, placebo-controlled study. J Pain Symptom Manage 2011;42:903-17.
  2. Silverstein FE, Faich G, Goldstein JL, et al. Gastrointestinal toxicity with celecoxib vs nonsteroidal anti-inflammatory drugs for osteoarthritis and rheumatoid arthritis: the CLASS study: A randomized controlled trial. Celecoxib Long-term Arthritis Safety Study. JAMA 2000;284:1247-55.
  3. Deshauer D, Fergusson D, Duffy A, et al. Re-evaluation of randomized control trials of lithium monotherapy: a cohort effect. Bipolar Disord 2005;7:382-7.
  4. Tsai AC, Rosenlicht NZ, Jureidini JN, et al. Aripiprazole in the maintenance treatment of bipolar disorder: a critical review of the evidence and its dissemination into the scientific literature. PLoS Med 2011;8:e1000434.
  5. Keck PE Jr, Calabrese JR, McQuade RD, et al; Aripiprazole Study Group. A randomized, double-blind, placebo-controlled 26-week trial of aripiprazole in recently manic patients with bipolar I disorder. J Clin Psychiatry 2006;67:626-37.
  6. Keck PE Jr, Calabrese JR, McIntyre RS, et al; Aripiprazole Study Group. Aripiprazole monotherapy for maintenance therapy in bipolar I disorder: a 100-week, double-blind study versus placebo. J Clin Psychiatry 2007;68:1480-91.
Une RCT « enrichie » = risque de biais et <strong><a style="font-size:medium" data-toggle="popover" data-trigger="hover" title="extrapolabilité" data-content="Le terme d’extrapolabilité de résultats d’une étude est parfois utilisé pour exprimer sa validité externe (Eng: external validity) qui exprime dans quelle mesure le résultat de recherche peut être généralisé à es populations que celle de l’étude. L’extrapolabilité concerne plus particulièrement la comparaison des caractéristiques entre la population de l’étude et une population ou un individu précis.">extrapolabilité</a></strong> appauvrie

Auteurs

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

Glossaire

biais

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