Revue d'Evidence-Based Medicine



Efficacité et utilité comparées des antipsychotiques utilisés off label chez des adultes



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 6 Page 75 - 76

Professions de santé


Analyse de
Maher AR, Maglione M, Bagley S, et al. Efficacy and comparative effectiveness of atypical antipsychotic medications for off-label uses in adults: a systematic review and meta-analysis. JAMA 2011;306:1359-69.


Question clinique
Quelles sont l’efficacité, l’utilité et la sécurité des antipsychotiques dits atypiques dans des indications non enregistrées (off label) chez des adultes ?


Conclusion
Cette étude montre des résultats favorables pour une efficacité de certains antipsychotiques dits atypiques versus placebo dans les troubles de comportement liés à la démence (aripiprazole, olanzapine, rispéridone), dans les troubles d’anxiété généralisée (quétiapine), dans les troubles obsessionnels compulsifs (rispéridone). La pertinence clinique de l’efficacité significative observée est cependant incertaine, une supériorité versus autres médicaments ou traitements non médicamenteux n’est pas prouvée et ce bénéfice potentiel doit être mis en balance avec le risque d’effets indésirables.


 

 

Contexte

Les indications des antipsychotiques dits atypiques enregistrées par la Food and Drug Administration (FDA) étatsunienne sont : schizophrénie, troubles bipolaires et des présentations spécifiques de troubles dépressifs. L’utilisation de ces antipsychotiques dits atypiques hors indications officiellement enregistrées par la FDA a cependant doublé ces dernières années (1).

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

Sources consultées

  • PubMed, EMBASE, CINAHL, PsycInfo, Cochrane DARE, et CENTRAL (jusqu’en mai 2011)
  • documents officiels des Agences du médicament FDA et Health Canada
  • listes de références des synthèses valides.

Etudes sélectionnées

  • études cliniques d’intervention, contrôlées, évaluant l’efficacité d’un antipsychotique atypique dans une indication non enregistrée versus placebo, un autre antipsychotique ou un autre médicament (N=162)
  • études d’observation importantes (>1 000 patients) pour les effets indésirables (N=231).

Population étudiée

  • adultes (sans limite d’âge) traités par antipsychotique atypique hors indication : troubles du comportement liés à la démence, trouble anxieux, trouble obsessionnel compulsif (TOC), stress post traumatique, trouble alimentaire, insomnie, trouble de la personnalité, dépression, abus de médicaments
  • antipsychotiques utilisés : olanzapine, rispéridone, quétiapine, aripiprazole, ziprasidone ; exclusion de la clozapine, réservée à la schizophrénie.

Mesure des résultats

  • efficacité (vs placebo) et utilité (vs autre atypique) en termes de :
    • globalité des troubles du comportement liés à la démence (NPI est un questionnaire destiné à évaluer la fréquence et la gravité des problèmes comportementaux. Le score maximum est 144. Plus le score est élevé, plus les problèmes comportementaux sont importants.">Neuropsychiatric Inventory - NPI), troubles psychotiques (2 sous-items du NPI), agitation/agressivité (Cohen-Mansfield Agitation Inventory)
    • troubles anxieux généralisés (Hamilton Anxiety Rating Scale - HARS)
    • troubles du comportement du TOC (Yale-Brown Obsessive Compulsive Scale - YBOCS)
    • autres troubles
  • effets indésirables.

Résultats

  • globalité des troubles du comportement liés à la démence, les troubles psychotiques et l’agitation/agressivité :
    • efficacité (N = 18 vs placebo) : voir tableau
    • utilité vs troubles globaux du comportement liés à la démence : pas de différence vs autre atypique ou vs halopéridol
  • troubles anxieux généralisés :
    • efficacité (N = 12 vs placebo) soit ≥50% d’amélioration sur HARS : quétiapine (N=3, I²=78,2%) : RR 1,26 (IC à 95% de 1,02 à 1,56) ; non SS pour les autres atypiques
    • utilité : pas de comparaison entre atypiques ; efficacité de la quétiapine comparable à celle de la paroxétine (N=1) et de l’escitalopram (N=1)
  • TOC :
    • efficacité (N = 10 vs placebo) soit ≥ 25% d’amélioration au YBOCS : rispéridone (N=3, I²=0%) : RR 3,92 (IC à 95% de 1,26 à 12,13) ; non SS pour les autres
    • utilité : pas de différence SS pour un ISRS + olanzapine vs ISRS + rispéridone (N = 1)
  • autres troubles : preuves faibles uniquement pour le stress post traumatique (1 MA de 10 études)
  • effets indésirables :
    • en général : risque accru de : décès, sédation, fatigue, prise de poids, acathisie, troubles extrapyramidaux
    • chez les personnes âgées, risque accru de décès (NNN 87), d’AVC (NNN 53 pour la rispéridone), de troubles extrapyramidaux (NNN 10 pour l’olanzapine ; NNN 20 pour la rispéridone), troubles urinaires (NNN 16 à 36).

 

Tableau. Différence Moyenne Standardisée (DMS) avec IC à 95% pour les antipsychotiques atypiques versus placebo pour les troubles de comportement, psychotiques ou l’agitation/agressivité.

 

Troubles du comportement

Troubles psychotiques

Agitation/agressivité

Aripiprazole

0,20 (0,04 à 0,35)*

0,20 (-0,02 à 0,42)

0,31 (0,10 à 0,52)* ┼

Olanzapine

0,12 (0 à 0,25)**

0,05 (-0,07 à 0,17)

0,19 (0,07 à 0,31)* ┼

Rispéridone

0,19 (0 à 0,38)**

0,20 (0,05 à 0,36)*

0,22 (0,09 à 0,35)* ┼

Quétiapine

0,11 (-0,02 à 0,24)

-0,03 (-0,24 à 0,18)

0,05 (-0,14 à 0,25)

*

significatif; ** à la limite de la signification ; chiffres issus d’une autre publication (2)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à des bénéfices et désavantages variables des antipsychotiques atypiques utilisés off label. Pour les scores globaux symptomatiques de comportement liés à la démence chez les personnes âgées, un bénéfice faible mais statistiquement significatif est observé pour l’aripiprazole, l’olanzapine et la rispéridone. La quétiapine montre un bénéfice pour les troubles anxieux généralisés et la rispéridone pour les TOC, avec des effets indésirables cependant fréquents.

Financement

Agency for Healthcare Research and Quality.

Conflits d’intérêt

1 auteur déclare avoir reçu des honoraires de 2 firmes pour une précédente étude et comme expert.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette méta-analyse repose, à première vue, sur une qualité méthodologique fiable. La question de recherche est claire, vaste, avec recherche systématique dans les bases de données validées et des sources externes adéquates. Cette recherche a été clôturée en juin 2011, et n’a donc pas inclus une RCT plus récente évaluant la rispéridone dans l’indication stress post traumatique et des études concernant trois antipsychotiques plus récents, dont la palipéridone commercialisée en Belgique, non repris dans la synthèse méthodique. Les critères de sélection d’études sont stricts. L’extraction des données est effectuée par les chercheurs indépendamment l’un de l’autre et la qualité méthodologique des études d’intervention est évaluée selon le score de Jadad, ce qui est cependant actuellement considéré comme insuffisant (3). La qualité méthodologique des études d’observation est évaluée selon le score de Newcastle-Ottawa. Le niveau de preuve des résultats sommés est donné selon le score GRADE (4). Un biais de publication éventuel est pris en compte.

Cette synthèse méthodique présente cependant quelques limites. Ses auteurs n’ont pas recherché les études évaluant l’utilité des antipsychotiques versus interventions non médicamenteuses. Les auteurs soulignent eux-mêmes une importante hétérogénéité entre les études incluses (caractéristiques des patients, circonstances du traitement, définitions d’agitation dans les études sur la démence) ce qui complique l’interprétation des résultats. De nombreuses études sont financées par les firmes pharmaceutiques intéressées mais des études non sponsorisées (par exemple l’étude CATIE-AD (5)) montrent des résultats similaires ce qui incite les auteurs de cette synthèse à se fier aux résultats obtenus.

Interprétation des résultats

Dans le domaine de la globalité des troubles comportementaux liés à la démence, une efficacité statistiquement significative versus placebo est observée pour l’aripiprazole, l’olanzapine et la rispéridone, à des doses plus faibles (environ 50% en moins) que celles utilisées dans l’indication schizophrénie. L’amélioration moyenne observée au score NPI avec les antipsychotiques atypiques est plafonnée à 35% versus valeurs initiales avec une différence limitée à 3,41 points versus placebo. Une amélioration minimale de 30% versus valeurs basales et une différence minimale de 4 points sont considérées comme cliniquement pertinentes. Aucune différence n’est observée, pour ce qui est de l’utilité, entre antipsychotiques atypiques et classiques. Les résultats meilleurs pour la quétiapine, versus placebo, au Hamilton Anxiety Rating Scale pour les troubles anxieux généralisés correspondent-ils à un bénéfice clinique pertinent ? Aucune différence n’est observée en termes d’utilité entre atypiques et classiques dans ce domaine.

Dans le domaine des troubles anxieux généralisés, il n’est également pas certain que des résultats meilleurs pour la quétiapine versus placebo au Hamilton Anxiety Rating Scale se traduisent en un effet cliniquement pertinent. En raison de l’hétérogénéité importante et de la sponsorisation de toutes les études dans ce domaine, les auteurs de cette méta-analyse n’accordent qu’un faible niveau de preuve au résultat calculé. L’utilité de la quétiapine n’est pas supérieure à celle des antidépresseurs (paroxétine ou escitalopram) en cas de trouble anxieux généralisé.

La rispéridone est le seul antipsychotique atypique montrant une efficacité significative en cas de TOC, mais avec un biais de publication important et sans efficacité supérieure versus autres traitements mis à part les ISRS.

Nous ne disposons pas de preuve d’une efficacité des antipsychotiques atypiques en cas de troubles alimentaires, d’insomnie ou d’abus médicamenteux.

Les auteurs de cette synthèse soulignent enfin que le bénéfice minime des antipsychotiques atypiques dans quelques indications non enregistrées doit être mis en balance avec leurs effets indésirables.

Autres études

La promotion publicitaire des antipsychotiques atypiques insiste sur leur profil de risque plus favorable, particulièrement en ce qui concerne les troubles extrapyramidaux. Depuis 2005, les Agences de médicaments ont publié plusieurs mises en garde concernant une utilisation des antipsychotiques en dehors des indications enregistrées (6-8), surtout chez des personnes âgées fragiles. Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration (9) a montré que certains antipsychotiques atypiques se révèlent d’une efficacité limitée pour certains troubles du comportement liés à une démence mais que les risques importants d’effets indésirables éclipsent ce bénéfice. Plusieurs publications illustrant les effets indésirables des antipsychotiques ont précédemment été commentées dans la revue Minerva (10-13).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre des résultats favorables pour une efficacité de certains antipsychotiques dits atypiques versus placebo dans les troubles de comportement liés à la démence (aripiprazole, olanzapine, rispéridone), dans les troubles d’anxiété généralisée (quétiapine), dans les troubles obsessionnels compulsifs (rispéridone). La pertinence clinique de l’efficacité significative observée est cependant incertaine, une supériorité versus autres médicaments ou traitements non médicamenteux n’est pas prouvée et ce bénéfice potentiel doit être mis en balance avec le risque d’effets indésirables.

 

Pour la pratique

Le guide de pratique de NICE ne recommande pas le recours à des antipsychotiques dits atypiques en cas de troubles du comportement liés à une démence liée à une maladie d’Alzheimer, vasculaire ou mixte et avec des symptômes non cognitifs (14). En cas de troubles anxieux (généralisés) leur utilisation en première ligne est également déconseillée (15).

Cette recherche n’apporte pas de preuves suffisantes de l’utilité de ces antipsychotiques atypiques dans des indications non enregistrées versus leurs risques potentiels.

 

Références

  1. Alexander GC, Gallagher SA, Mascola A, et al. Increasing off-label use of antipsychotic medications in the United States, 1995-2008. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2011;20:177-84.
  2. Off-label use of atypical antipsychotics: an update. Agency of Healthcare Research and Quality.
  3. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(6):76.
  4. Atkins D, Best D, Briss PA, et al; GRADE Working Group. Grading quality of evidence and strength of recommendations. BMJ 2004;328:1490.
  5. Schneider LS, Tariot PN, Dagerman KS, et al; CATIE-AD Study Group. Effectiveness of atypical antipsychotic drugs in patients with Alzheimer’s disease. N Engl J Med 2006;355:1525-38.
  6. Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA). Safety warnings and messages for medicines: Atypical antipsychotic and stroke. 2004. (last accessed February 2012)
  7. US Food and Drug Administration Public Health Advisory. Public Health Advisory: Deaths with Antipsychotics in Elderly Patients with Behavioral Disturbances. 2005. (last accessed June 2011).
  8. US Food and Drug Administration Public Health Advisory. Antipsychotics are not indicated for the treatment of dementia-related psychosis. 2008.
  9. Ballard C, Waite J. The effectiveness of atypical antipsychotics for the treatment of aggression and psychosis in Alzheimer's disease. Cochrane Database Syst Rev 2006, Issue 1.
  10. De Paepe P. Les neuroleptiques atypiques ont-ils une place dans le traitement de la démence ? MinervaF 2005;4(3):43-5.
  11. Chevalier P. Antipsychotiques en cas de maladie d’Alzheimer et risque de décès. MinervaF 2009;8(8):114.
  12. Chevalier P. Antipsychotiques et démence. MinervaF 2009;8(4);51.
  13. Chevalier P. Antipsychotiques et démence : aggravation plus rapide des troubles cognitifs. Minerva online 28/10/2012.
  14. National Institute for  Health and Clinical Excellence. Dementia. Supporting people with dementia and their carers in health and social care. NICE clinical guideline 42, November 2006.
  15. National Institute for  Health and Clinical Excellence. Generalised anxiety disorder and panic disorder in adults. Management in primary, secondary and community care. NICE clinical guideline 113, January 2011.
Efficacité et utilité comparées des antipsychotiques utilisés off label chez des adultes

Auteurs

Azermai M.
Heymans Instituut voor Farmacologie, Universiteit Gent
COI :

Bourgeois J.
Heymans Instituut voor Farmacologie, Universiteit Gent
COI :

Petrovic M.
sectie Geriatrie, vakgroep Inwendige Ziekten en Pedatrie, Universiteit Gent
COI :

Code





Ajoutez un commentaire

Commentaires