Revue d'Evidence-Based Medicine



Existe-t-il un intérêt à initier précocement la kinésithérapie dans la lombalgie aiguë ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 5 Page 118 - 121

Professions de santé


Analyse de
Fritz JM, Magel JS, McFadden M, et al. Early physical therapy vs usual care in patients with recent-onset low back pain: a randomized clinical trial. JAMA 2015;314:1459-67.


Question clinique
Chez les patients adultes qui présentent une lombalgie aiguë (< 16 jours), la kinésithérapie initiée précocement améliore-t-elle, versus soins usuels et éducation, les capacités fonctionnelles évaluées à 3 mois après la survenue de la douleur ?


Conclusion
Cette RCT de bonne qualité méthodologique, à visée pragmatique, montre que chez les patients adultes qui présentent une lombalgie aiguë (< 16 jours) sans irradiation de la douleur en dessous du genou, sans signe clinique de compression radiculaire et avec une incapacité fonctionnelle modérée, la kinésithérapie initiée précocement n’améliore pas, versus soins usuels et éducation, les capacités fonctionnelles évaluées à 3 mois après la survenue de la douleur.


Contexte

La lombalgie commune est un motif de contact très fréquent en médecine générale. La façon de l’aborder avec le patient dès le départ peut avoir des conséquences importantes sur l’évolution du problème. Il a ainsi été montré qu’un usage précoce d’opioïdes ou de l’imagerie par résonance magnétique, en contradiction avec les Guides de Pratique Clinique (GPC) disponibles actuellement, est associé avec des taux plus élevés d’incapacité prolongée et de procédures invasives (1,2). Bien que les GPC conseillent en cas de lombalgie commune de différer la kinésithérapie pour permettre une guérison spontanée, l’intérêt d’une kinésithérapie initiée précocement pour améliorer les capacités fonctionnelles et la douleur reste imprécis.

 

Résumé

Population étudiée

  • critère d’inclusion : patients consultant en médecine générale pour une lombalgie commune depuis < 16 jours avec un niveau d’incapacité fonctionnelle ≥ 20% selon le score d'Oswestry (Oswestry Disability Index, alias ODI)
  • critères d’exclusion : irradiation de la douleur en dessous du genou endéans les 72 heures, antécédents de chirurgie lombaire, possible signe d’alarme (alias « red flag ») (infection et cancer), grossesse, signes cliniques d’irritation radiculaire, soins pour la même plainte dans les 6 derniers mois
  • au total, 220 patients adultes de 18 à 60 ans (âge moyen de 37,4 ans, ET de 10,3) ont été inclus ; 52,3% de femmes, BMI moyen de 29,1 (ET 7,9) ; 98% ont terminé des études secondaires ; 2/3 utilisent un AINS, 1/2 un relaxant musculaire et 1/4 un opioïde ; près de 75% des patients avaient des antécédents de prise en charge de lombalgie.

 

Protocole d’étude

RCT en groupes parallèles, en simple aveugle (patients, kinésithérapeutes et médecins traitants non en insu, évaluation en insu)

  • les 220 participants ont été répartis de façon aléatoire par allocation centrale en 2 groupes, l’un recevant des soins usuels + une éducation (n = 112), l’autre (n = 108) recevant 4 séances standardisées de kinésithérapie (2 la première semaine dont la première séance dans les 72 heures et ensuite 1 par semaine pendant 2 semaines) en plus de l’éducation
  • éducation : tous les participants ont été informés du pronostic favorable de la lombalgie et de l’intérêt de rester actif autant que possible ; tous ont également reçu « The back book » dont le contenu est discuté avec un chercheur et qui contient des messages basés sur les GPC
  • kinésithérapie : les 4 séances débutent par une évaluation de la situation fonctionnelle ; ensuite, les kinésithérapeutes suivent un programme standardisé : manipulation vertébrale, exercices d’amplitude des mouvements, apprentissage d’exercices à faire régulièrement à la maison, renforcement de la musculature du tronc et des muscles stabilisateurs de la colonne lombaire
  • l’évaluation des participants a été réalisée à 4 semaines, à 3 mois et à 1 an, notamment par les patients, via le site web de l’étude et à 3 mois par les chercheurs.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : diminution du score ODI (la pertinence clinique est définie par une différence minimale de 6 points entre les 2 groupes) à 3 mois
  • critères de jugement secondaires : ODI à 4 semaines et à 1 an ; intensité de la douleur évaluée par la Pain Catastrophizing Scale (PCS) ; évitements par peur et croyance par rapport aux activités physiques quotidiennes et au travail évalués par le questionnaire Fear-Avoidance Beliefs Questionnaire (FABQ) ; qualité de vie évaluée par The 5-Dimensional EuroQol (EQ-5D) ; estimation du succès du traitement par le patient et recours aux soins de santé ; après 4 semaines, les patients ont également rempli un questionnaire sur les effets indésirables de la kinésithérapie
  • l’analyse a été réalisée en intention de traiter avec imputation multiple pour compenser les observations manquantes ; une analyse par protocole est également fournie dans l’article.

 

Résultats 

  • sorties d’étude : 3,6% (1 patient dans groupe intervention et 7 dans le groupe contrôle)
  • compliance : 92,5% des patients dans groupe intervention ont suivi toutes les sessions, les autres 2 ou 3 sur les 4 séances programmées
  • 207 participants (94,1%) ont été évalués à 1 an ; en ce qui concerne l’observance, 2 participants (1,9%) dans le groupe intervention et 16 (14,3%) dans le groupe contrôle ont reçu des massages ou des soins non prévus dans le protocole
  • critère de jugement primaire : à 3 mois, la différence des scores de l’ODI entre les 2 groupes était de -3,2 (avec IC à 95% de -5,9 à -0,47 ; p = 0,02) en faveur de la kinésithérapie précoce, ce qui est statistiquement significatif, mais pas cliniquement pertinent
  • critères de jugement secondaires : une différence statistiquement significative des scores de l’ODI est observée à 4 semaines mais pas à 1 an ; pas de différence observée entre les 2 groupes pour l’intensité de la douleur ni pour le recours aux soins ; les différences observées dans les autres critères de jugement étaient au mieux cliniquement modestes
  • l’analyse par protocole, après avoir exclu respectivement 3 et 5 participants des groupes intervention et contrôle, montre une différence des scores de l’ODI à 3 mois à peine supérieure (-3,7 avec IC à 95% de -6,4 à -0,93 ; p = 0,01)
  • 13 participants (12%) du groupe kinésithérapie ont signalé des effets indésirables, tels que douleur augmentée, raideur, spasme et fatigue.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les adultes présentant une lombalgie aiguë, la kinésithérapie initiée précocement a montré une amélioration fonctionnelle statistiquement significative, mais que l’amélioration était modeste et n’atteignait pas la différence cliniquement pertinente en comparaison avec les soins usuels.

 

Financement de l’étude

Agency for Healthcare Research and Quality, University of Utah Study Design and Biostatistics Center ; National Center for Research Resources and the National Center for Advancing Translational Sciences of the National Institutes of Health; le sponsor principal, Agency for Healthcare Research and Quality, n’est intervenu à aucun moment de l’étude.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

1 auteur a reçu des honoraires de FOTO (Focus on Therapeutic Outcomes Inc), un programme online avec 3 mesures du status fonctionnel primaire du patient ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir des conflits d’intérêts.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

L’intervention utilisée dans cette RCT est bien décrite, orientée vers l’efficacité et limitée dans le nombre de séances, ce qui tente de favoriser une approche pragmatique.

La nature même de l’intervention empêche une RCT en double aveugle. L’évaluation a été réalisée par des chercheurs, en aveugle, à 4 semaines tandis que les patients évaluaient par eux-mêmes les différents critères étudiés et transmettaient les résultats via le site web dédié aux différents temps d’évaluation. La motivation du choix d’une évaluation du critère de jugement primaire à 3 mois n’est pas motivée par les auteurs. Pourquoi à 3 mois et pas à 4 semaines et 1 an également ? Les 2 groupes de participants étaient similaires quant aux caractéristiques sociales et physiques, aux comorbidités et à l’usage des médicaments. L’allocation, le taux de participation et l’observance au protocole sont bien décrits, ainsi que les effets indésirables de l’intervention en kinésithérapie. Les résultats ont été analysés en intention de traiter, et en analyse par protocole, ce qui peut être logique compte tenu du type de prise en charge.

 

Interprétation des résultats

La question posée par cette étude est pertinente pour les cliniciens de première ligne. Le critère d’inclusion « durée de la douleur < 16 jours » limite l’inclusion des patients dans la phase aiguë d’une lombalgie, ce qui permet d’interpréter correctement les résultats. Cette étude fait référence à une ‘prise en charge habituelle’, mais celle-ci n’est pas décrite. La partie éducation de l’intervention est, selon les auteurs, basée sur les recommandations actuelles des GPC, tandis que la kinésithérapie privilégie une approche standardisée et pragmatique. Elle pourrait très bien être critiquée par des experts comme n’étant pas la plus efficace, ou de durée trop courte par rapport à l’usage courant pour cette plainte, ou inadéquate en termes d’intensité ou de fréquence des séances proposées. D’autres recherches pourraient être menées dans cette indication pour conforter, voire rassurer, le clinicien à ne pas prescrire de séances de kinésithérapie dans cette indication. Cependant, si cette étude montre des résultats statiquement significatifs en ce qui concerne les capacités fonctionnelles en faveur d’une prise en charge précoce en kinésithérapie d’une lombalgie aiguë, la pertinence clinique n’est pas démontrée. Pour la douleur, la qualité de vie, les évitements par peur ou croyance et le recours aux soins, le bénéfice est soit nul, soit au mieux modeste et limité dans le temps. Ces conclusions vont également dans le sens d’analyses antérieures réalisées par Minerva (3-6). De plus, une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration publiée en 2012 (7) ne montrait pas non plus de bénéfice pour la manipulation vertébrale dans les lombalgies aiguës. Il convient également de considérer le coût, le temps et les effets indésirables de ces interventions, où il n’est pas rare que les thérapeutes demandent « par sécurité » une imagerie avant de démarrer les manipulations vertébrales, imagerie qui n’aurait par ailleurs pas été indiquée et qui à son tour peut augmenter l’anxiété du patient.

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT de bonne qualité méthodologique, à visée pragmatique, montre que chez les patients adultes qui présentent une lombalgie aiguë (< 16 jours) sans irradiation de la douleur en dessous du genou, sans signe clinique de compression radiculaire et avec une incapacité fonctionnelle modérée, la kinésithérapie initiée précocement n’améliore pas, versus soins usuels et éducation, les capacités fonctionnelles évaluées à 3 mois après la survenue de la douleur.

 

Pour la pratique

Le GPC « Lombalgie » réalisée par la SSMG et mis à jour en 2001 (8) réserve la kinésithérapie uniquement pour les lombalgies subaiguës et chroniques (> 6 semaines). Le guide HAS publié en 2011 (9) ainsi que les recommandations d’EBMPracticeNet (10) précisent qu’au stade aigu de la maladie (4 premières semaines) le traitement est avant tout médical. Les objectifs sont la maîtrise des symptômes, la prévention des récidives en apprenant les règles d’économie vertébrale et une reprise rapide des activités. Durant cette période, l’évolution étant le plus souvent favorable, il faut éviter une médicalisation excessive qui pourrait favoriser le passage à la chronicité. NICE (11) recommande « d’envisager » une série de séances de thérapie manuelle, incluant la manipulation vertébrale, pour les patients avec lombalgie aiguë, sans mentionner de temporalité cependant. Les recommandations susmentionnées (9,10) proposent d’attendre de l’ordre de 4 à 6 semaines avant de proposer la kinésithérapie, ce qui évite une médicalisation inutile, voire délétère, et laisse la place à une guérison spontanée dans la grande majorité des cas. Cette RCT confirme l’absence de bénéfice pour le patient de démarrer précocement la kinésithérapie en cas de lombalgie aiguë et ne remet pas en cause les recommandations actuelles.

 

 

Références

  1. Fritz JM, Childs JD, Wainner RS, Flynn TW. Primary care referral of patients with low back pain to physical therapy: impact on future health care utilization and costs. Spine (Phila Pa 1976) 2012;37:2114-21.
  2. Graves JM, Fulton-Kehoe D, Jarvik JG, Franklin GM. Health care utilization and costs associated with adherence to clinical practice guidelines for early magnetic resonance imaging among workers with acute occupational low back pain. Health Serv Res 2014;49:645-65.
  3. Vermeire E. Exercices physiques et manipulations pour les lombalgies. MinervaF 2006;5(4):52-4.
  4. UK BEAM Trial Team. United Kingdom back pain exercise and manipulation (UK BEAM) randomised trial: effectiveness of physical treatments for back pain in primary care. BMJ 2004;329:1377-84.
  5. Chevalier P Exercices en prévention des lombalgies récidivantes. Minerva bref 27/05/2010.
  6. Choi BK, Verbeek JH, Tam WW, Jiang JY. Exercices for prevention of recurrences of low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
  7. Rubinstein SM, Terwee CB, Assendelft WJ, et al. Spinal manipulative therapy for acute low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9.
  8. Timmermans B. Les lombalgies communes. Recommandations de bonne pratique. SSMG 2001.
  9. Référentiel concernant la rééducation en cas de lombalgie commune. HAS 2011.
  10. Lombalgie, Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 24/11/2010.
  11. National Institute for Health and Care Excellence. Low back pain in adults: early management. NICE guidelines [CG88] 2009.

 




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