Revue d'Evidence-Based Medicine



Début précoce ou tardif des soins palliatifs pour les patients atteints de cancer ?



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 8 Page 199 - 202

Professions de santé


Analyse de
Bakitas MA, Tosteson TD, Li Z, et al. Early versus delayed initiation of concurrent palliative oncology care: patient outcomes in the ENABLE III randomized controlled trial. J Clin Oncol 2015;33:1438-45.


Question clinique
Le passage précoce aux soins palliatifs au cours du traitement oncologique chez les patients à un stade avancé de la maladie présente-t-il un avantage sur le plan des résultats rapportés par le patient, de la survie à un an et du recours aux services hospitaliers, versus un passage tardif aux soins palliatifs ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée montre que l’intégration précoce de soins palliatifs dans le cadre d’une prise en charge oncologique standard n’offre pas d’avantages par rapport à une intégration tardive, en ce qui concerne le retentissement des symptômes et le recours aux services hospitaliers.


Contexte

Pour les patients cancéreux qui présentent des métastases et/ou pour qui le retentissement des symptômes est important, les soins palliatifs devraient être intégrés précocement dans la prise en charge oncologique standard (1). Une amélioration des résultats rapportés par le patient ainsi que de la survie sont alors observées, comme l’ont montré des études cliniques randomisées chez des patients atteints de tumeur solide ou de cancer pulmonaire métastasé (2-4). Malgré les recommandations qui vont dans ce sens, dans la pratique, cette intégration n’a pas lieu ou n’est effectuée que beaucoup trop tard. Par conséquent, les patients ne profitent pas de bon nombre des avantages des établissements de soins palliatifs. Le modèle ENABLE (Educate, Nurture, Advise, Before Life Ends) propose un accompagnement téléphonique pour des soins palliatifs précoces à des patients ayant un cancer avancé et aux membres de leur famille vivant en zone rurale (2). Ce modèle a un effet avéré sur la qualité de vie, sur la dépression, sur l’intensité des symptômes et sur la survie, versus la prise en charge standard du cancer. Le moment optimal pour débuter ce modèle n’est cependant pas connu.

 

Résumé

Population étudiée

  • 207 patients cancéreux, âgés de plus de 18 ans (âge moyen de 64 ans (ET de 10 ans)), atteints d’un cancer solide ou hématologique avancé et dont l’espérance de vie estimée se situe entre 6 et 24 mois, recrutés dans 4 hôpitaux
  • critères d’exclusion : trouble cognitif, trouble psychiatrique (schizophrénie, trouble bipolaire), consommation abusive de substances, troubles de l’audition non corrigés, patient difficilement joignable par téléphone.

 

Protocole de l’étude

Étude multicentrique contrôlée randomisée à deux groupes

  • groupe « soins palliatifs précoces » (n = 104) : dans les 30 à 60 jours après le diagnostic de cancer avancé, de récidive de cancer ou de progression du cancer et un pronostic de 6 à 24 mois évoqué par l’oncologue, ce groupe a bénéficié d’une consultation extra-muros se rapportant à des soins palliatifs standardisés chez un médecin spécialisé en soins palliatifs, suivie par 6 séances de soutien structurées hebdomadaires avec une infirmière spécialisée qui, pour ce faire, utilisait un manuel standardisé, puis un suivi téléphonique mensuel pour renforcer le contenu des séances et déceler de nouveaux défis et de nouvelles difficultés avec la coordination des soins
  • groupe « soins palliatifs tardifs » (n = 103) : a bénéficié de la même intervention, mais 3 mois plus tard
  • les deux groupes ont bénéficié de la prise en charge oncologique habituelle standard comportant les éléments suivants : traitements anticancéreux et traitements symptomatiques prescrits par les oncologues, consultations chez des oncologues et des prestataires de soins de soutien, parmi lesquels également une équipe de soins palliatifs qui était au besoin impliquée (indépendamment du groupe d’affectation)
  • suivi effectué au moyen de questionnaires par contact téléphonique au début et après 6, 12, 18 et 24 semaines, puis toutes les 12 semaines jusqu’au décès ou jusqu’à la fin de l’étude.

 

Mesure des résultats

  • la qualité de vie rapportée par le patient (mesurée à l’aide du FACIT-Pal (Functional Assessment of Chronic Illness Therapy - Palliative Care) et du TOI (Treatment Outcome Index)), le retentissement des symptômes (mesuré à l’aide du QUAL-E (Quality of Life at End of Life)) et l’humeur (mesurée à l’aide de l’échelle CES-D (Center for Epidemiologic Studies - Depression))
  • la survie à un an et la survie médiane
  • le recours aux services hospitaliers (journées d’hospitalisation et jours en soins intensifs, nombre de visites au service des urgences), l’administration de chimiothérapie au cours des 14 derniers jours, le lieu du décès
  • analyse en intention de traiter.

Résultats

  • globalement, il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant à la qualité de vie, quant au retentissement des symptômes ni quant à l’humeur
  • après un an, 63% des patients du groupe « soins palliatifs précoces » et 48% de ceux du groupe « soins palliatifs tardifs » étaient encore en vie (différence de 15% ; p = 0,038) ; il n’y avait pas de différence entre les groupes quant à la survie médiane
  • il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes quant au nombre de journées d’hospitalisation et de jours en soins intensifs, quant au nombre de visites au service des urgences, quant à l’administration de chimiothérapie ou quant au lieu du décès.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, si les soins palliatifs sont précocement intégrés dans la prise en charge oncologique, les résultats rapportés par les patients et le recours aux dispositifs d’aide ne diffèrent pas de manière statistiquement significative des résultats obtenus après une intégration tardive. La survie à un an était toutefois améliorée de manière significative. Comprendre les mécanismes complexes qui améliorent la survie avec les soins palliatifs reste une importante priorité de recherche.

 

Financement de l’étude

Cette étude a reçu des subventions de différents instituts de recherche.

Conflits dintérêts des auteurs

Un des auteurs a déjà, par le passé, reçu des fonds pour la recherche de la part de Johnson & Johnson.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La qualité méthodologique de cette étude randomisée contrôlée est bonne. Les critères d’inclusion et d’exclusion ont été clairement décrits. On peut néanmoins se demander dans quelle mesure une évaluation correcte de l’espérance de vie de ce groupe hétérogène de patients cancéreux est possible. Une randomisation par bloc a été générée par ordinateur avec stratification en fonction de la maladie (6 catégories) et en fonction du centre d’étude (4 hôpitaux). Les 2 groupes d’étude étaient bien équilibrés pour la plupart des facteurs pronostiques, mais ils différaient quant à la formation, la consommation d’alcool et la participation à des études cliniques. Or, ces facteurs peuvent être pertinents dans le cadre des soins palliatifs. L’intervention a été bien décrite et a été réalisée par des prestataires de soins formés. Un investigateur était, en aveugle, responsable du déroulement standardisé des consultations au début de la prise en charge en soins palliatifs et des séances de soutien. Les critères de jugement ont été mesurés à l’aide d’instruments validés. Les investigateurs qui devaient rassembler les données l’ont fait en aveugle.

 

Interprétation des résultats

Cette étude n’a pas pu montrer d’amélioration de la qualité de vie, du retentissement des symptômes et de l’humeur en cas d’association de la prise en charge oncologique standard et de la mise en place précoce de soins palliatifs avec consultation extra-muros et suivi téléphonique. Ce résultat est en contradiction avec des études antérieures cliniques randomisées correctement menées qui ont bien montré une amélioration statistiquement significative de la qualité de vie et de l’humeur (2,4,5). On peut tout d’abord se demander si la puissance de l’étude était vraiment suffisante. La taille d’échantillon requise pour pouvoir montrer la même différence que dans l’étude antérieure du même auteur (2) quant aux mesures effectuées à l’aide du FACIT-Pal et du CES-D n’a pas été atteinte. Ensuite, l’intervalle de 3 mois entre l’intégration précoce et l’intégration tardive est peut-être trop court pour permettre d’observer une différence. Ce choix se basait sur les commentaires des patients survivants qui estimaient qu’une intervention avait plus d’efficacité en cas de retentissement important des symptômes (6) et sur le fait que le retentissement des symptômes devenait plus important après 3 mois (2). Enfin, tous les patients pouvaient, au besoin, être adressés à une équipe de soins palliatifs, ce qui s’est produit chez environ la moitié du groupe « soins palliatifs tardifs », le qualificatif « tardif » ne convenant donc finalement plus pour ce groupe. La différence entre les deux groupes peut avoir de ce fait été réduite à un niveau indétectable. Les auteurs attribuent l’absence de différence quant au retentissement des symptômes à l’utilisation d’une échelle multidimensionnelle peu sensible. La survie à un an était plus élevée dans le groupe « soins palliatifs précoces », tandis que la survie médiane n’était pas significativement différente. Ce résultat n’est pas expliqué.

Les résultats ne peuvent pas être extrapolés au contexte belge. Contrairement à la situation des États-Unis, chez nous, les patients et les prestataires de soins reçoivent un soutien sur place, et non à distance. En outre, la recherche a été menée en milieu rural.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée montre que l’intégration précoce de soins palliatifs dans le cadre d’une prise en charge oncologique standard n’offre pas d’avantages par rapport à une intégration tardive, en ce qui concerne le retentissement des symptômes et le recours aux services hospitaliers.

 

Pour la pratique                  

Selon des experts, l’intégration précoce de soins palliatifs dans le cadre d’une prise en charge oncologique standard est recommandée (1). Cette RCT ne confirme pas les résultats des études menées précédemment. Cela s’explique peut-être par un manque de puissance.

Parallèlement à l’accent mis sur l’intégration précoce des soins palliatifs, pour la Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen vzw, il semble que l’évaluation du retentissement des symptômes soit au moins aussi importante pour débuter des soins palliatifs que la détermination du stade pathologique (souvent traduit en espérance de vie) (7,8). Selon le NHG (9), les soins palliatifs ne doivent pas être uniquement proposés par des services organisés (unités de soins palliatifs, équipes de soutien palliatif dans les hôpitaux et équipes de soins palliatifs à domicile en première ligne), mais il faut que chaque prestataire de soins soit formé correctement. De même, les soins palliatifs doivent être renforcés pour tous les patients qui en ont besoin (9).

 

Références  

  1. Smith TJ, Temin S, Alesi ER, et al. American Society of Clinical Oncology provisional clinical opinion: the integration of palliative care into standard oncology care. J Clin Oncol 30:880-7.
  2. Bakitas M, Lyons KD, Hegel MT, et al. Effects of a palliative care intervention on clinical outcomes in patients with advanced cancer: the Project ENABLE II randomized controlled trial. JAMA 2009;302:741-9.
  3. Gomes B, Calanzani N, Curiale V, et al. Effectiveness and cost-effectiveness of home palliative care services for adults with advanced illness and their caregivers. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 6.
  4. Temel JS, Greer JA, Muzikansky A, et al. Early palliative care for patients with metastatic non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2010;363:733-42.
  5. Pirl WF, Greer JA, Traeger L, et al. Depression and survival in metastatic non–small-cell lung cancer: effects of early palliative care. J Clin Oncol 2012;30:1310-5.
  6. Maloney C, Lyons KD, Li Z, et al. Patient perspectives on participation in the ENABLE II randomized controlled trial of a concurrent oncology palliative care intervention: benefits and burdens. Palliat Med 2013;27:375-83.
  7. Huysmans G, Vanden Berghe P (red.). Visienota Palliatieve Zorg 2020. Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen, Vilvoorde, 2014.
  8. URL : http://www.palliatief.be/pict.
  9. Huisarts en palliatieve zorg. NHG-standpunt toekomstvisie. Huisartsenzorg 2012.

 

 




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