Revue d'Evidence-Based Medicine



Oeil rouge : diagnostiquer et évaluer la sévérité de l’affection



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 9 Page 216 - 220

Professions de santé


Analyse de
Narayana S, McGee S. Bedside diagnosis of the ‘red eye’: a systematic review. Am J Med 2015;128:1220-4.e1. DOI: 10.1016/j.amjmed.2015.06.026


Question clinique
1/ Chez des patients adultes présentant un œil rouge, quels sont les signes cliniques évoquant une affection sévère ? 2/ Chez des patients adultes présentant une conjonctivite, quels sont les symptômes et signes cliniques permettant de diagnostiquer une infection bactérienne versus une infection virale ou une allergie ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique de très faible qualité méthodologique illustre la rareté de bonnes études diagnostiques pour évaluer la sévérité de l’affection ophtalmologique en cas d’œil rouge ou de diagnostic étiologique en cas de conjonctivite (bactérienne ou autre) chez un adulte. Elle n’apporte pas d’élément plus fiable que ceux présentés dans les rares études originales.


Contexte

Chez un patient se présentant avec un œil rouge, il est nécessaire de préciser la gravité de l’affection notamment pour établir la nécessité d’une référence immédiate. Chez un patient supposé présenter une conjonctivite, il semble intéressant de différencier une étiologie bactérienne d’une étiologie virale ou d’une allergie en vue d’un éventuel traitement antibiotique. Des critères diagnostiques bien évalués et précis, universellement admis, font défaut pour répondre à ces questions.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique

 

Sources consultées

  • base de données PubMed (MEDLINE) de 1966 à avril 2014 + recherche dans les listes de références des articles sélectionnés
  • articles publiés en langue anglaise.

 

Etudes sélectionnées

  • études répondant aux 3 critères suivants :
    • inclusion soit de patients adultes consécutifs avec œil rouge qui ont éventuellement bénéficié d’un examen de référence à la lampe à fente afin de distinguer une affection sévère (uvéite, kératite, abrasion cornéenne, sclérite) d’une affection bénigne (conjonctivite, épisclérite, hémorragie sous conjonctivale), soit des patients adultes consécutifs avec conjonctivite présumée et examen bactériologique des sécrétions conjonctivales (avec présence d’un Streptococcus pneumoniae, d’un Haemophilus influenzae, d’un Moraxella catarrhalis, d’un Staphylococcus aureus)
    • description claire des éléments cliniques
    • informations suffisantes pour établir des tables à 2 x 2 contingences pour le calcul de la sensibilité, de la spécificité et des rapports de vraisemblance (LR)
  • exclusion des études incluant des enfants (< 18 ans) ou des patients avec suspicion de trachome 
  • inclusion finale de 5 études pour la sévérité de l’affection, 3 études pour la conjonctivite bactérienne versus autre cause.

 

Populations étudiées

  • diagnostic de la sévérité de l’affection (5 études) :
    • 957 adultes
    • patients avec « œil rouge » dans 4 études
    • patients avec différentes plaintes oculaires dans 1 étude
    • tous les patients avec examen à la lampe à fente
    • affection sévère dans 4 à 59% des cas (moyenne de 27%)
  • diagnostic de l’origine de la conjonctivite (3 études) :
    • 281 adultes
    • 45% des cultures bactériennes positives
    • nombreux critères d’exclusion, différents selon l’étude : traumatisme précédent, chirurgie oculaire, lésion chimique, vue floue, port de lentilles de contact, suspicion d’uvéite, pathologie orbitaire profonde.

 

Mesure des résultats

 

Résultats

  • diagnostic de sévérité de l’affection : voir tableau 1

 

Tableau 1. Sévérité de l’affection : pour les différents critères, sensibilité, spécificité, rapports de vraisemblance (LR) positifs et négatifs (avec IC à 95%) (N = 5 ; n = 957).

 

Critère

Nombre d’études

Sensibilité

Spécificité

LR positif

(avec IC à 95%)

LR négatif

(avec IC à 95%)

Photophobie directe (réaction à une exposition à la lumière)

3

54 - 77

80 - 98

8,3 (2,7 - 25,9)

0,4 (0,3 - 0,5)

Photophobie indirecte (réaction à une exposition à une lumière standardisée)

1

44

98

28,8 (1,8 - 459)

0,6 (0,4 - 0,7)

Test de convergence doigt-nez (douleur à la constriction pupillaire à la vision de près, syncinésie)

1

74

97

21,4 (12 - 38,2)

0,3 (0,1 - 0,6)

Anisocorie, pupille plus petite (différence > 1mm) pour l’œil rouge

1

19

97

6,5 (2,6 - 16,3)

0,8 (0,8 - 0,9)

 

  • diagnostic de conjonctivite bactérienne :
    • aucun critère commun aux 3 études sélectionnées
    • pour les critères communs à 2 études et pour l’étude de Rietveld (n = 177) : voir tableau 2

 

Tableau 2. Diagnostic de conjonctivite bactérienne versus virale ou allergique : pour les différents critères présents, sensibilité, spécificité, rapports de vraisemblance (LR) positifs et négatifs (avec IC à 95%), dans 2 études (N = 2, n = 222 maximum) et pour l’étude de Rietveld (N = 1 ; n= 177).

 

Critère

Nombre d’études

Sensibilité

Spécificité

LR positif

(avec IC à 95%)

LR négatif

(avec IC à 95%)

Prurit

2

33 - 58

37 - 70

0,9 (0,7 - 1,2)

1 (0,8 - 1,4)

Sensation de brûlure

2

11 - 65

43 - 74

0,9 (0,4 - 2)

1 (0,7 - 1,5)

Sécrétions purulentes

2

32 - 50

85 - 94

3,9 (1,7 - 9,1)

 

Score de Rietveld* ≥ 4

1

39

94

6,6 (3 - 14,6)

 

* score de Rietveld : 2 yeux collés au matin (+5 pts), 1 œil collé au matin (+2 pts), prurit (-1 pt), antécédent de conjonctivite (-2pts) (2).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que plusieurs signes permettent de distinguer avec précision une pathologie sérieuse d’une pathologie bénigne face à des patients adultes présentant un œil rouge et de distinguer une conjonctivite bactérienne d’une atteinte virale ou allergique chez des patients adultes présentant une conjonctivite présumée.

 

Financement de l’étude

Aucun.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Le deuxième auteur déclare avoir reçu des honoraires de l’éditeur Elsevier pour son manuel « Evidence-Based Physical Diagnosis » 3rd edition.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette recherche illustre bien… ce qu’il ne faut pas faire.

Pour leur recherche d’articles sources, les auteurs se sont contentés d’une seule base de données, alors qu’un minimum de deux est requis pour une synthèse méthodique. Ils ont opté pour PubMed dans sa version MEDLINE et non via son approche OVID plus performante. Leurs critères de sélection d’étude étaient particulièrement flous et incorrects pour une évaluation diagnostique de sévérité de l’atteinte ophtalmique : examen « éventuel » à la lampe à fente, ce qui ne permet pas (si cet examen n’était pas pratiqué) de diagnostic correct. Pour chacun des critères diagnostiques repris par les auteurs de cette synthèse, des résultats ne sont disponibles que dans l’une ou l’autre des études incluses. Rares sont les critères évalués dans plusieurs études. Si ces auteurs soulignent bien, dans leur discussion, le (très) faible nombre d’études et le faible nombre de patients généralement inclus ainsi que le risque de biais important dans l’évaluation de la constriction pupillaire (même examinateur que celui qui pose le diagnostic à la lampe à fente), ils ne soulignent pas l’hétérogénéité clinique très importante des populations incluses (voir paragraphe suivant).

Un seul point relativement plus positif à souligner : les estimations sommées sont faites sur un modèle d’effets aléatoires. Ceci ne peut cependant pas corriger toutes les limites précédemment émises.

 

Interprétation et mise en perspective des résultats

Pour les études concernant la sévérité de l’affection 

Pour les études concernant la sévérité de l’affection, une affection sévère est présente dans 4 à 59% des cas (moyenne de 27%) selon l’étude ce qui montre l’hétérogénéité clinique des populations d’étude. Si le critère photophobie indirecte atteint un LR positif de 28,8 (ce qui correspond à une force probante de 28,8 soit un critère fort), son absence n’est qu’un argument (très) faible pour exclure (LR négatif de 0,6, ce qui correspond à une force excluante de 1,75). Selon les études, de 23 à 56% des patients présentant une pathologie grave ne présentent pas de photophobie. C’est encore plus important pour l’anisocorie.

Si le critère anisocorie atteint un LR positif de 6,5 (ce qui correspond à une force probante de 6,5, soit un bon critère), son absence n’est qu’un argument très faible pour exclure (LR négatif de 0,8, ce qui correspond à une force excluante de 1,19). Dans les études incluses, 81% des patients souffrant d’une pathologie grave ne présentent pas d’anisocorie.

Il y a donc beaucoup de patients faussement négatifs pour ces 2 critères, mais par contre peu de faux positifs. Il s’agirait donc de bons arguments (si présents) pour retenir le diagnostic, mauvais arguments (si absents) pour exclure le diagnostic de sévérité. Cette synthèse montre que les signes classiquement rapportés comme étant à évaluer (NHG-Standaard (1)) en cas d’œil rouge (douleur, perte de vision, photophobie) n’ont pas été évalués au niveau performance (sauf la photophobie).

Le NHG-Standaard toujours (1) mentionne (sans référence apportée) que l’absence des signes d’alarme douleur, photophobie et perte visuelle exclut une lésion de la cornée ou de la chambre antérieure avec une grande probabilité mais que leur présence n’est également pas une preuve d’une telle affection… ce qui n’aide pas le praticien.

 

Pour le diagnostic de conjonctivite bactérienne ou autre 

Pour ce qui est des critères d’une conjonctivite (bactérienne ou autre), seule l’étude de Rietveld et al. (2) concerne une population de médecine générale ; c’est l’étude incluant l’échantillon le plus important (177 patients). L’étude de Zegans et al. (3) concerne une population d’étudiants lors d’une épidémie de conjonctivite à Pneumococcus dans un collège, étudiants dont 67 ont suivi un protocole de dépistage et fournissent les évaluations diagnostiques reprises dans cette synthèse.

La troisième étude incluse (4), beaucoup plus ancienne, concerne une population d’un hôpital de centre urbain et n’inclut que 45 patients, dans un contexte de conjonctivite à Chlamydia.

Dans ces études, les critères d’exclusion sont variés et nombreux (voir résumé).

Dans ce domaine de la conjonctivite, dans des populations cliniquement hétérogènes, aucun critère diagnostique identique n’est évalué dans les 3 études incluses. Pour l’étude numériquement la plus importante et effectuée en médecine générale (2), étude que nous avions analysée dans la revue Minerva en 2006 (5), les auteurs proposent un score de probabilité de conjonctivite bactérienne. Selon leur évaluation, une conjonctivite bactérienne est plus probable si un œil (+ 2 points) et surtout les deux (+ 5 points) est (sont) collé(s), moins probable en cas de présence de prurit (- 1 point) et d'antécédents de conjonctivite (infectieuse) (- 2 points). Un score (Score de Rietveld) d’au moins 4 points est un bon argument pour le diagnostic de l’origine bactérienne de la conjonctivite. Une telle avancée dans la probabilité diagnostique est-elle utile pour le praticien comme pour le patient ? La majorité des conjonctivites d’origine bactérienne se résolvent spontanément favorablement sans complication dans les 7 jours (6). Le bénéfice d’un traitement antibiotique local est (très) limité : il peut diminuer la durée moyenne des symptômes (5 jours) d’un jour et demi (7), pour l’ensemble des populations évaluées dans les études. Une autre synthèse de la littérature EBM (8) conclut à un bénéfice marginal, avec la difficulté de préciser le taux de guérison (à 2 et 7 jours) étant donné la divergence des résultats selon l’antibiotique et les critères utilisés.

En se limitant aux études concernant une population soignée en première ligne de soins, les résultats sont encore moins favorables : absence de preuve de l’intérêt d’un traitement antibiotique local versus placebo (qui aurait une certaine efficacité ?) en cas de conjonctivite infectieuse aiguë (moins de 4 semaines) en première ligne de soins, sauf peut-être un bénéfice statistique en cas de sécrétions purulentes et de rougeur oculaire, bénéfice cliniquement faible et de pertinence clinique douteuse (9,10). Versus absence de traitement, l’antibiotique local montre un faible bénéfice.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique de très faible qualité méthodologique illustre la rareté de bonnes études diagnostiques pour évaluer la sévérité de l’affection ophtalmologique en cas d’œil rouge ou de diagnostic étiologique en cas de conjonctivite (bactérienne ou autre) chez un adulte. Elle n’apporte pas d’élément plus fiable que ceux présentés dans les rares études originales.

 

Pour la pratique

Le NHG-Standaard (1) concernant l’œil rouge ne mentionne pas les preuves de la précision de certains critères dans le diagnostic en cas d’œil rouge entre une affection sévère ou non. Cette synthèse-ci, de qualité globale pauvre, montre un certain intérêt (preuve faible) pour la photophobie et la douleur à la constriction pupillaire à la vision de près.

Pour le diagnostic différentiel entre conjonctivite bactérienne et autre, cette synthèse confirme que le score de Rietveld est l’argument actuellement prouvé comme le plus performant, dans un contexte où l’intérêt d’un traitement antibiotique local en cas de conjonctivite bactérienne est cliniquement peu (ou pas) pertinent en première ligne de soins.

 

 

Références 

  1. Rietveld RP, Cleveringa JP, Blom GH, et al. NHG-Standaard Het rode oog (eerste herziening). Huisarts Wet 2006;49:78-91.
  2. Rietveld RP, ter Riet G, Bindels PJ, et al. Predicting bacterial cause in infectious conjunctivitis: cohort study on informativeness of combinations of signs and symptoms. BMJ 2004;329:206-10. DOI: 10.1136/bmj.38128.631319.AE
  3. Zegans ME, Sanchez PA, Likosky DS, et al. Clinical features, outcomes, and costs of a conjunctivitis outbreak caused by the ST448 strain of Streptococcus pneumoniae. Cornea 2009;28:503-9. DOI: 10.1097/ICO.0b013e3181909362
  4. Fitch CP, Rapoza PA, Owens S, et al. Epidemiology and diagnosis of acute conjunctivitis at an inner-city hospital. Ophthalmology 1989;96:1215-20. DOI: 10.1016/S0161-6420(89)32749-7
  5. De Sutter A. Diagnostic clinique de la conjonctivite bactérienne. MinervaF 2006;5(1):2-3.
  6. Rose P. Management strategies for acute infective conjunctivitis in primary care: a systematic review. Expert Opin Pharmacother 2007;8:1903-21. DOI: 10.1517/14656566.8.12.1903
  7. Sheikh A, Hurwitz B, van Schayck CP, et al. Antibiotics versus placebo for acute bacterial conjunctivitis. Cochrane Database Syst Rev 2012, Issue 9. DOI: 10.1002/14651858.CD001211.pub3
  8. Epling J. Bacterial conjunctivitis. BMJ Clin Evid 2012;2012:0704.
  9. Jefferis J, Perera R, Everitt H, et al. Acute infective conjunctivitis in primary care: who needs antibiotics? Br J Gen Pract 2011;61:e542-8. DOI: 10.3399/bjgp11X593811
  10. Chevalier P. Conjonctivite aiguë en première ligne de soins : pas d’antibiotique ? MinervaF 2012;11(2):21-2.

 

 




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