Revue d'Evidence-Based Medicine



Performance de symptômes et signes en prédiction d’une lésion intracrânienne sévère en cas de traumatisme crânien mineur



Minerva 2016 Volume 15 Numéro 9 Page 225 - 229

Professions de santé


Analyse de
Easter JS, Haukoos JS, Meehan WP, et al. Will neuroimaging reveal a severe intracranial injury in this adult with minor head trauma? The Rational Clinical Examination Systematic Review. JAMA 2015;314:2672-81. DOI: 10.1001/jama.2015.16316


Question clinique
Chez des adultes subissant un traumatisme crânien mineur, quelles sont les forces probante et excluante des symptômes et/ou signes cliniques ainsi que des règles de décision clinique pour prédire une lésion intracrânienne qui serait visible à l’imagerie ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique montre que des données de l’anamnèse et de l’examen clinique, et surtout les règles (scores) de décision clinique « Canadian CT Head Rule » et « New Orleans Criteria » ont une très haute sensibilité pour identifier parmi les patients adultes avec traumatisme crânien mineur ceux à très faible risque de lésion intracrânienne sévère.


Contexte

Les lésions cérébrales représentent aux États-Unis la première cause de mortalité et de morbidité post-traumatiques (1). Le gold standard pour visualiser les lésions cérébrales nécessitant une intervention neurochirurgicale est le CT scan cérébral. Les patients présentant un traumatisme crânien modéré ou sévère doivent bénéficier immédiatement d’un CT scan cérébral, puisqu’une intervention neurochirurgicale rapide permet de diminuer la mortalité et la morbidité (2). Le rôle de l’imagerie cérébrale en cas de traumatisme crânien mineur est moins clair ; seuls 5 à 15% de ces patients présentent une lésion intracrânienne, dont seulement une minorité nécessite une intervention neurochirurgicale (3). Les traumatismes crâniens mineurs représentant cependant 89% de tous les traumatismes de la tête au Royaume Uni, le nombre absolu de patients opérés en urgence est nettement plus élevé parmi ceux-ci (4). Un CT scan cérébral est donc souvent systématiquement effectué chez ces patients malgré le coût et la dose d’irradiation (5). Pour réduire de manière appropriée la fréquence de cet examen dans cette situation, il était important de connaître la performance des symptômes et signes cliniques (et règles ou scores de décision clinique associant plusieurs arguments) pour la prédiction du risque de lésion intracrânienne.

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

  • Medline (1966-août 2015) et la Cochrane Library.  

Etudes sélectionnées

  • études en anglais mesurant la performance de données cliniques pour identifier des lésions intracrâniennes versus un test de référence d’imagerie cérébrale ou un suivi de l’évolution ; études incluant des patients avec des scores obtenus avec la Glasgow Coma Scale (GCS)* de 13 à 15 ; ≥ 50% étaient âgés d’au moins 18 ans ; les lésions intracrâniennes justifiant une intervention urgente sont définies comme étant : hématome sous-dural, épidural, ventriculaire ou parenchymateux, hémorragie sous-arachnoïdienne, engagement cérébral, fracture crânienne avec embarrure
  • sélection finale de 14 études.

Population étudiée 

  • au total 23079 patients avec un traumatisme crânien mineur (GCS ≥ 13) ; nombre de patients variant de 431 à 7955 par étude 
  • prévalence de lésions intracrâniennes sévères de 7,1% (avec IC à 95% de 6,8% à 7,4%) ; prévalence de lésions menant à la mort ou nécessitant une intervention neurochirurgicale de 0,9% (avec IC à 95% de 0,78% à 1,0%).

Mesure des résultats

Résultats

  • arguments utiles comme facteurs probants = arguments dont la positivité augmente le risque de présence d’une lésion intracrânienne : voir tableau 1

 

Tableau 1. Sensibilité et spécificité des différents arguments, avec rapport de vraisemblance positif (LR positif qui correspond à la force probante (FP) (avec IC à 95%).

Argument

Sensibilité

(IC à 95%)

Spécificité

(IC à 95%)

LR positif (= force probante) (IC à 95%)

Tout signe de fracture du crâne

16%

(3 à 52)

99%

(98,7 à 99,2)

16 (3,1 à 59)

GCS initial de 13

15%

(12 à 18)

97%

(96 à 98)

4,9

(2,8 à 8,5)

Au moins 2 épisodes de vomissements

27%

(14 à 47)

92%

(87 à 95)

3,6

(3,1 à 4,1)

Toute diminution au score GCS

21 à 31%

91 à 99%

3,4 à 16

Piéton renversé

10 à 17%

96 à 97%

3,0 à 4,3

 

  • arguments utiles comme facteurs excluants = arguments dont la négativité diminue le risque de présence d’une lésion intracrânienne : scores de décision clinique :
    • absence de tout item du Canadian CT Head Rule (6) (≥ 65 ans, > 1 épisode de vomissement, amnésie > 30 minutes, statut de piéton renversé par un véhicule ou patient éjecté d’un véhicule, chute > 1 m ou d’une hauteur de 5 marches minimum, suspicion de fracture du crâne, ou GCS score < 15 après 2 heures) : LR négatif à 0,04 (avec IC à 95% IC de 0 à 0,65), ce qui donne une probabilité d’une lésion sévère (pour une prévalence de 7,1%) à 0,31% (avec IC à 95% de 0 à 4,7%) ; selon nos calculs, force excluante d’environ 40 (argument fort pour exclure)
    • absence de tout item des New Orleans Criteria (7) (> 60 ans, intoxication, céphalée, vomissement, amnésie, crise d’épilepsie, ou trauma au-dessus de la clavicule) : LR négatif de 0,08 (avec IC à 95% de 0,01 à 0,84), ce qui diminue la probabilité d’une lésion sévère à 0,61% (avec IC à 95% de 0,08% à 6,0%) ; selon nos calculs, force excluante d’environ 13 (bon argument pour exclure).
 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’association des données de l’anamnèse et de l’examen clinique dans des scores de décision clinique permet d’identifier des patients avec traumatisme crânien mineur à faible risque de lésion intracrânienne sévère. Certaines données, comme des signes de fracture crânienne, un score GCS de 13, au moins 2 épisodes de vomissements, une diminution du score GCS, et le fait d’être un piéton renversé par un véhicule motorisé pourraient aider à identifier les patients avec risque accru de lésions intracrâniennes sévères.

Financement de l’étude

Bourses de l’Agency for Healthcare Research and Quality pour 2 auteurs, du National Institute of Allergy and Infectious Diseases pour 1 auteur, du National Football League Players Association pour 1 auteur, du National Hockey League Alumni Association pour 1 auteur.

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Tous les auteurs ont complété et signé la ICMJE Form for Disclosure of Potential Conflicts of Interest ; ils ne déclarent pas d’autre conflit potentiel que ceux énumérés ci-dessus (financement) et le support de ABC-CLio Publishing et de Wolters Kluwer pour un d’eux.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La motivation des auteurs de cette synthèse était essentiellement de pouvoir réduire le nombre d’examens d’imagerie non indispensables en cas de traumatisme crânien mineur. Les patients avec un traumatisme crânien modéré (GCS 9-12) ou sévère (GCS ≤ 8) doivent bénéficier immédiatement d’un CT scan cérébral, puisqu’une intervention neurochirurgicale rapide permet de diminuer la mortalité et morbidité (2). Par contre, le rôle de l’imagerie cérébrale en cas de traumatisme crânien mineur est moins claire alors que la population est de plus en plus sensibilisée aux conséquences néfastes d’un traumatisme crânien même mineur, ce qui entraine une augmentation de consultations et d’examens pour ce motif, notamment durant la dernière décennie de vie, générant un coût direct et indirect très important (8).

Les auteurs ont réalisé une synthèse méthodique à partir de 2 bases de données, suivant une méthodologie rigoureuse développée pour The Rational Clinical Examination series du JAMA afin d’identifier des facteurs associés avec l’absence ou la présence de lésions intracrâniennes sévères après traumatisme crânien mineur afin d’éviter un CT scan cérébral chez certains patients adultes. La définition du traumatisme crânien mineur est celle de l’OMS (9). Les auteurs soulignent, pour les différents arguments utilisés, un manque de concordance entre les résultats des études (test I2 souvent dans les 90%). Ils soulignent aussi que les différentes règles (scores) de décision clinique ont été évaluées dans des cohortes avec critères d’inclusion différents, ce qui ne permet pas de comparaison directe de leur performance. Elles ont aussi été utilisées par différents types de praticiens (urgentistes, avec participation variable de neurologues et de neurochirurgiens), mais avec une performance diagnostique paraissant semblable pour ces différents types d’examinateurs.

 

Mise en perspective des résultats

Les auteurs soulignent les arguments qui comportent un risque accru de lésion intracrânienne en cas de traumatisme cérébral mineur. Ils nous montrent surtout l’intérêt de 2 scores de décision clinique pour diminuer fortement la probabilité d’une lésion intracrânienne sévère en cas de traumatisme cérébral mineur.

L’absence de tout item du Canadian CT Head Rule est associée à un rapport de vraisemblance négatif de 0,04 (avec IC à 95% de 0 à 0,65), diminuant la probabilité d’une lésion sévère à 0,31% (avec IC à 95% de 0% à 4,7%), pour une prévalence de 7,1% dans cette recherche. Bien qu’aucune donnée clinique seule ou aucune association entre elles ne permette d’exclure à 100% une lésion intracrânienne, ce score a une très haute sensibilité pour identifier les patients ne nécessitant pas de CT scan cérébral dans l’immédiat. Dès lors, les patients sans signe clinique évident de traumatisme crânien ou sans symptôme dans les 2 heures après le trauma peuvent rentrer chez eux, accompagnés, et avec des consignes claires de reconsulter en cas de plusieurs épisodes de vomissements, de céphalées sévères ou s’aggravant, de crise d’épilepsie ou d’une détérioration de l’état de conscience (critères du GCS).

Il faut cependant souligner les limites de cette étude au niveau de la population prise en compte. L’étude concerne les adolescents et les adultes. Pour les enfants, il existe d’autres règles de décision clinique. Chez les patients âgés > 60 ans ; chez ceux qui présentent une coagulopathie ou qui prennent des antiagrégants ou des anticoagulants ;  chez ceux avec un traumatisme crânien suite à un processus plus dangereux (piéton renversé par ou éjecté d’un véhicule, chute > 1 m), il peut y avoir des lésions intracrâniennes malgré l’absence de symptômes ou signes cliniques. Ces patients nécessitent donc une surveillance ou un CT scan cérébral d’emblée.

Cette étude ne portait nullement sur le pronostic à long terme. Même les patients sans anomalie visible au CT scan cérébral initial sont susceptibles de développer des symptômes qui changeront leur vie à long terme, mais à ce jour, nous ne disposons pas d’outils diagnostiques pour identifier les 10-20% de patients à risque (10).

Si les auteurs soulignent l’intérêt d’utiliser le Canadian CT Head Rule en pratique quotidienne, ils reconnaissent dans leur publication que la seule RCT ayant évalué l’implantation de cette utilisation n’a pas pu montrer de modification du nombre de CT scan réalisés avant et après implantation, dans un contexte de fréquence faible de CT scan systématique (11).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique montre que des données de l’anamnèse et de l’examen clinique, et surtout les règles (scores) de décision clinique « Canadian CT Head Rule » et « New Orleans Criteria » ont une très haute sensibilité pour identifier parmi les patients adultes avec traumatisme crânien mineur ceux à très faible risque de lésion intracrânienne sévère.

 

Pour la pratique

Les recommandations de SIGN 2009 (GRADE B) (12) relatives aux indications d’un CT scan cérébral en cas de traumatisme crânien chez l’adulte rejoignent les différents points détaillés dans cet article. Elles ne sont pas remises en cause par les conclusions de celui-ci. Les patients avec un traumatisme crânien modéré (GCS 9-12) ou sévère (GCS ≤ 8) doivent bénéficier immédiatement d’un CT scan cérébral, puisqu’une intervention neurochirurgicale rapide permet de diminuer la mortalité et morbidité (2).

La prévalence de lésions intracrâniennes sévères chez les patients (adolescents et adultes  < 60 ans) avec traumatisme crânien mineur est de l’ordre de 7% et de 1% pour celles menant à la mort ou nécessitant une intervention neurochirurgicale. Ceci n’est pas une raison valable pour réaliser chez tous ces patients un CT scan cérébral d’emblée puisque des données cliniques et des règles de décision clinique permettent d’identifier ceux à très faible risque de lésion intracrânienne sévère. Ces règles ont été validées de manière exhaustive et leur application aboutit à un très faible nombre de lésions non initialement suspectées (13). Pour ces patients, il ne faut donc pas réaliser un CT scan cérébral immédiatement après le traumatisme. Par contre, il est recommandé de leur donner des instructions concernant les signes ou symptômes qui nécessitent de réévaluer l’indication d’imagerie cérébrale.

 

* Glasgow Coma Scale pour adultes

L'échelle de Glasgow, ou score de Glasgow (Glasgow coma scale, GCS), est un indicateur de l'état de conscience. Cette échelle fut développée par G. Teasdale et B. Jennet à l'institut de neurologie de Glasgow (Écosse) en 1974. C'est une échelle allant de 3 (coma profond) à 15 (personne parfaitement consciente), et qui s'évalue sur trois critères : ouverture des yeux, réponse verbale et réponse motrice.

Ouverture des yeux (E)

Score

Spontanée

4

A la demande

3

A la douleur

2

Aucune

1

Réaction motrice (M)

Score

À la demande

6

Localise la douleur

5

Réaction d’évitement à la douleur

4

Flexion à la douleur (décortication)

3

Extension à la douleur (décérébration)

2

Aucune

1

Réaction verbale (V)

Score

Orientée

5

Confuse

4

Incohérente/inadaptée

3

Incompréhensible

2

Aucune

1


 

Références  

  1. Coronado VG, Xu L, Basavaraju SV, et al ; Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Surveillance for traumatic brain injury-related deaths - United States, 1997-2007. MMWR Surveill Summ 2011;60:1-32.
  2. Cheung PS, Lam JM, Yeung JH, et al. Outcome of traumatic extradural haematoma in Hong Kong. Injury 2007;38:76-80. DOI: 10.1016/j.injury.2006.08.059
  3. Pandor A, Goodacre S, Harnan S, et al. Diagnostic management strategies for adults and children with minor head injury: a systematic review and an economic evaluation. Health Technol Assess 2011;15:1-202. DOI: 10.3310/hta15270
  4. Yates PJ, Williams WH, Harris A, et al. An epidemiological study of head injuries in a UK population attending an emergency department. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2006;77:699-701. DOI: 10.1136/jnnp.2005.081901
  5. Brenner DJ, Hall EJ. Computed tomography - an increasing source of radiation exposure. N Engl J Med 2007;357:2277-84. DOI: 10.1056/NEJMra072149
  6. Stiell IG, Wells GA, Vandemheen K, et al. The Canadian CT Head Rule for patients with minor head injury. Lancet 2001;357:1391-6. DOI: 10.1016/S0140-6736(00)04561-X
  7. Haydel MJ, Preston CA, Mills TJ, et al. Indications for computed tomography in patients with minor head injury. N Engl J Med 2000;343:100-5. DOI: 10.1056/NEJM200007133430204
  8. Finkelstein E, Corso PS, Miller TR. The incidence and economic burden of injuries in the United States. New York, NY: Oxford University Press, 2006. DOI: 10.1136/jech.2007.059717
  9. Cassidy JD (dir.), «Best Evidence Synthesis on Mild Traumatic Brain Injury: results of the WHO Collaborating Center for Neurotrauma, Prevention, Management and Rehabilitation Task Force on Mild Traumatic Brain Injury», J Rehabil Med 2004;Suppl. 43.
  10. Amyot F, Arciniegas DB, Brazaitis MP, et al. A review of the effectiveness of neuroimaging modalities for the detection of traumatic brain injury. J Neurotrauma 2015;32:1693-721. DOI: 10.1089/neu.2013.3306
  11. Stiell IG, Clement CM, Grimshaw JM, et al. A prospective cluster-randomized trial to implement the Canadian CT Head Rule in emergency departments. CMAJ 2010;182:1527-32. DOI: 10.1503/cmaj.091974
  12. Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Early management of patients with a head injury. A national clinical guideline. Edinburgh: SIGN, 2009. SIGN Publication No. 110.
  13. Smits M, Dippel DW, de Haan GG, et al. External validation of the Canadian CT Head Rule and the New Orleans Criteria for CT scanning in patients with minor head injury. JAMA 2005;294:1519-25. DOI: 10.1001/jama.294.12.1519

 

 




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