Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est l’efficacité de la CPAP en prévention secondaire de maladies cardiovasculaires ?



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 8 Page 204 - 207

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Mc Evoy RD, Antic NA, Heeley E, et al. CPAP for prevention of cardiovascular events in obstructive sleep apnea. N Engl J Med 2016;375:919-31. DOI: 10.1056/NEJMoa1606599


Question clinique
La ventilation en pression positive continue (Continuous Positive Airway Pressure, CPAP) permet-elle de prévenir les événements cardiovasculaires majeurs chez les patients atteints de coronaropathie ou de maladie cérébrovasculaire et de syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) ?


Conclusion
Cette étude contrôlée randomisée multicentrique, de méthodologie correcte, n’a pas pu montrer que la CPAP réduisait le nombre d’événements cardiovasculaires chez les patients ayant un SAOS et des antécédents de coronaropathie ou de maladie cérébrovasculaire.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Un traitement par pression positive continue (CPAP nasale) est, à l’heure actuelle, le traitement de première ligne du syndrome d’apnées obstructives du sommeil. Pour prétendre au remboursement de la CPAP, le diagnostic de SAOS doit être confirmé par un premier examen polysomnographique (index d’apnées/hypopnées obstructives (IAHO) ≥ 15/h), et l’effet positif sur la respiration et sur la qualité du sommeil doit être montré au moyen d’un deuxième examen polysomnographique. On ne tient pas compte de la présence de comorbidités, telles qu’une maladie cardiovasculaire. Cette étude randomisée contrôlée ne fournit pas d’arguments pour adapter les recommandations sur le SAOS ou les modalités actuelles du remboursement de l’INAMI.



Contexte

Il existe assez de preuves montrant que le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) est associé à une augmentation des accidents vasculaires cérébraux (AVC) (1). Par ailleurs, le SAOS survient également plus fréquemment chez les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire (2-4). Une récente méta-analyse a montré que, chez les patients, avec hypertension artérielle non contrôlée, la CPAP réduit la pression artérielle de 2,5/2,1 mmHg en moyenne (5). Des études d’observation ont également montré que l’utilisation de la CPAP était associée à une baisse de l’incidence des événements cardiovasculaires et de la mortalité cardiovasculaire (6,7). Ces résultats n’ont toutefois pas été montrés dans une étude randomisée contrôlée (5-8).

 

Résumé

Population étudiée

  • 2717 patients adultes âgés de 45 à 75 ans (en moyenne 61 ans), 81% de sexe masculin, IMC moyen de 29 kg/m², avec SAOS modéré à sévère (index de désaturation en oxygène de minimum 12, en moyenne 28) et coronaropathie ou maladie cérébrovasculaire, recrutés dans 89 centres dans 7 pays
  • critère d’inclusion : seuls les participants qui, durant une période de présélection d’une semaine, avaient utilisé l’appareil de CPAP placebo (avec pression infra-thérapeutique) en moyenne 3 heures par nuit
  • critères d’exclusion : somnolence diurne sévère (score à l’échelle de somnolence d’Epworth > 15), risque accru de provoquer un accident suite à un assoupissement, hypoxémie très sévère (saturation en oxygène < 80% pendant > 10% du temps d’observation), respiration de Cheyne-Stokes.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, multicentrique, menée en ouvert, contrôlée, avec deux groupes en parallèle :

  • groupe CPAP (n = 1359) : appareil de CPAP avec pression positive ajustée individuellement + soins habituels consistant en la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire selon les guides de pratique clinique nationaux et en conseils relatifs aux habitudes saines qui favorisent le sommeil et aux changements de mode de vie pour prévenir le SAOS
  • groupe soins habituels (n = 1358) : uniquement les soins habituels
  • suivi : visite à l’hôpital après 1, 3, 6 et 12 mois, puis tous les ans avec contact téléphonique tous les 6 mois.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : critère d’évaluation composite combinant décès de cause cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC, hospitalisation pour syndrome coronarien aigu, insuffisance cardiaque ou AIT
  • critères de jugement secondaires : composantes individuelles du critère de jugement primaire, autres critères de jugement composites combinant événements cardiovasculaires, réalisation d’une intervention de revascularisation, fibrillation auriculaire (FA) d’apparition récente, diabète sucré récent, mortalité globale, ronflements, somnolence diurne, qualité de vie liée à la santé, humeur, effets indésirables graves, (quasi-)accidents de voiture suite à un assoupissement au volant
  • analyse en intention de traiter
  • appariement sur les scores de propension, les patients du groupe CPAP qui observaient le traitement (utilisation moyenne de la CPAP ≥ 4 heures pendant les 2 premières années) étant appariés avec les patients du groupe contrôle.

 

Résultats

  • sorties de l’étude : 177 patients
  • critère de jugement principal : pas de différence statistiquement significative, après un suivi d’une durée moyenne de 3,7 ans, le critère est constaté chez 229 personnes du groupe CPAP (17%) et chez 207 personnes du groupe soins habituels (15,4%), ce qui revient à un rapport de hasards (Hazard Ratio, HR) de 1,10 avec IC à 95% de 0,91 à 1,32 ; p = 0,34. Il n’y avait pas non plus de différence statistiquement significative après appariement sur les scores de propension
  • pas d’effet statistiquement significatif pour les critères de jugement individuels ou les autres critères de jugement composites cardiovasculaires
  • versus soins habituels, la CPAP réduisait la somnolence diurne (le score à l’échelle de somnolence d’Epworth (0 à 10) a diminué de 2,5 points (IC à 95% de -2,8 à -2,2 ; p < 0,001)), et améliorait la qualité de vie liée à la santé ainsi que l’humeur
  • pas de différence statistiquement significative quant aux effets indésirables graves et aux accidents de la route.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que, versus les soins habituels seuls, la CPAP ajoutée aux soins habituels n’a pas permis de prévenir les événements cardiovasculaires chez les patients présentant un syndrome d’apnées du sommeil modéré à sévère et une maladie cardiovasculaire connue.

 

Financement de l’étude

National Health and Medical Research Council of Australia, Philips Respironics (matériel de CPAP), ResMed (appareils pour le diagnostic des apnées du sommeil).

 

Conflits dintérêts des auteurs

Les promoteurs n’avaient pas d’influence sur la conception de l’étude, la collecte et l’analyse des données, la rédaction de l’article, la décision de soumettre l’article pour publication.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement des patients a été effectué dans 89 centres cliniques répartis dans 7 pays. Avant le début de l’étude, certains pays ne disposaient pas encore de protocole précis pour le diagnostic et le traitement du syndrome d’apnées du sommeil. Grâce à une formation intensive du personnel impliqué dans l’étude, les exclusions pour non-observance du protocole de l’étude sont restées limitées à un seul centre. Pour le diagnostic de SAOS, on a utilisé un appareil de dépistage facile à utiliser à domicile avec oxymètre et mesure de la pression au niveau du nez. Bien que cet appareil ait été validé dans 2 études (9,10), selon une parution récente, la précision diagnostique des moniteurs portables de type IV (avec 1 à 3 paramètres) varie fortement par comparaison avec la polysomnographie (considérée comme la norme) (5). La randomisation s’est effectuée de manière centralisée, et une technique de minimisation a été utilisée pour obtenir une répartition équitable des caractéristiques pronostiques importantes (centre d’étude, nature de la maladie cardiovasculaire, sévérité de la somnolence diurne) entre les 2 groupes de l’étude. Étant donné la nature de l’intervention, l’étude ne pouvait être menée qu’en ouvert. L’évaluation des critères de jugement cardiovasculaires graves a été réalisée à l’insu de l’attribution des patients. Sur base des données intermédiaires (25 à 32% d’augmentation du risque cardiovasculaire pour chaque augmentation de 10 apnées/hypopnées par heure), le nombre nécessaire de participants a été réduit de 5000 à 2500. Le but étant de montrer, avec une puissance suffisante, une différence de 25% dans le critère de jugement composite entre les 2 groupes 4,5 ans. Les sorties de l’étude étaient limitées, et elles étaient réparties de manière similaire entre les 2 groupes. Les auteurs ont utilisé une analyse en intention de traiter. Le protocole de l’étude comprenait quelques analyses de sensibilité pertinentes, ainsi qu’une méthode permettant de connaître l’influence de l’observance sur les résultats.

 

Interprétation des résultats

Cette étude de prévention secondaire chez les adultes présentant une maladie cardiovasculaire et un syndrome d’apnées obstructives du sommeil n’a pas permis de montrer que le risque d’événements cardiovasculaires graves diminuait chez les patients qui étaient traités par CPAP en plus des soins habituels, versus soins habituels seuls. Lorsque l’on tenait compte de l’observance, la CPAP ne paraissait pas non plus avoir d’influence sur le critère de jugement primaire composite. En théorie, il est possible que, pour cet appariement sur les scores de propension, la puissance de l’étude n’était pas suffisante (n = 561 patients dans les 2 groupes) pour montrer un résultat statistiquement significatif, mais, étant donné qu’en chiffres absolus la différence entre les 2 groupes est faible (15,3% versus 13,5%), on peut présumer qu’un effet cliniquement pertinent est peu probable, même dans une étude plus vaste. Une autre étude randomisée contrôlée (RCT) de 2016, menée avec 224 patients ayant un SAOS et qui avaient récemment subi une intervention de revascularisation pour coronaropathie, n’a pas non plus permis de montrer, avec la CPAP versus contrôle, une différence quant au critère de jugement composite cardiovasculaire (répétition de la revascularisation, infarctus du myocarde, AVC, mortalité cardiovasculaire) après plus de 2 ans de suivi (11). Avec une analyse par régression de Cox, cette RCT a montré un effet statistiquement significatif lorsque les patients utilisaient la CPAP en moyenne ≥ 4 heures par nuit, versus une utilisation < 4 heures ou l’absence d’utilisation. Étant donné la largeur importante de l’intervalle de confiance de ce résultat, il convient d'être prudent avant d’en tirer des conclusions. Les investigateurs signalent aussi la possibilité d’un biais de sélection. Une autre RCT avec 140 patients ayant récemment fait un AVC a toutefois montré un gain statistiquement significatif au niveau de la mortalité cardiovasculaire, mais pas pour un critère de jugement composite combinant mortalité cardiovasculaire et morbidité cardiovasculaire après 2 ans de suivi (12). Une récente méta-analyse rassemblant toutes les RCTs qui, pour le traitement du SAOS, comparaient l’effet de la CPAP sur les critères de jugement cardiovasculaires, versus contrôle, tant chez les personnes qui avaient des antécédents cardiovasculaires que chez celles qui n’en avaient pas, n’a montré aucune différence en termes d’événements cardiovasculaires (8).

Tout comme une étude menée auparavant (5,13,14), cette étude-ci montre aussi une diminution plus importante des symptômes de somnolence diurne avec la CPAP qu’avec le contrôle ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie liée à la santé de même que de l’humeur.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude contrôlée randomisée multicentrique, de méthodologie correcte, n’a pas pu montrer que la CPAP réduisait le nombre d’événements cardiovasculaires chez les patients ayant un SAOS et des antécédents de coronaropathie ou de maladie cérébrovasculaire.

 

Pour la pratique

Un traitement par pression positive continue (CPAP nasale) est, à l’heure actuelle, le traitement de première ligne du syndrome d’apnées obstructives du sommeil (15). Pour prétendre au remboursement de la CPAP, le diagnostic de SAOS doit être confirmé par un premier examen polysomnographique (index d’apnées/hypopnées obstructives (IAHO) ≥ 15/h), et l’effet positif sur la respiration et sur la qualité du sommeil doit être montré au moyen d’un deuxième examen polysomnographique (16). On ne tient pas compte de la présence de comorbidités, telles qu’une maladie cardiovasculaire. Cette étude randomisée contrôlée ne fournit pas d’arguments pour adapter les recommandations sur le SAOS ou les modalités actuelles du remboursement de l’INAMI.

 

 

Références 

  1. Loke YK, Brown JW, Kwok CS, et al. Association of obstructive sleep apnea with risk of serious cardiovascular events: a systematic review and meta-analysis. Circ Cardiovasc Qual Outcomes 2012;5:720-8. DOI: 10.1161/CIRCOUTCOMES.111.964783
  2. Hung J, Whitford EG, Parsons RW, Hillman DR. Association of sleep apnoea with myocardial infarction in men. Lancet 1990;336:261-4. DOI: 10.1016/0140-6736(90)91799-G
  3. Lee CH, Sethi R, Li R, et al. Obstructive sleep apnea and cardiovascular events after percutaneous coronary intervention. Circulation 2016;133:2008-17. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.115.019392
  4. Johnson KG, Johnson DC. Frequency of sleep apnea in stroke and TIA patients: a meta-analysis. J Clin Sleep Med 2010;6:131-7.
  5. Jonas DE, Amick HR, Feltner C, et al. Screening of obstructive sleep apnea in adults. evidence report and systematic review for the US Preventive Services Task Force. JAMA 2017;317:415-33. DOI: 10.1001/jama.2016.19635
  6. Campos-Rodriguez F, Martinez-Garcia MA, de la Cruz-Moron I, et al. Cardiovascular mortality in women with obstructive sleep apnea with or without continuous positive airway pressure treatment: a cohort study. Ann Intern Med 2012;156:115-22. DOI: 10.7326/0003-4819-156-2-201201170-00006
  7. Marin JM, Carrizo SJ, Vicente E, Agusti AG. Long-term cardiovascular outcomes in men with obstructive sleep apnoea-hypopnoea with or without treatment with continuous positive airway pressure: an observational study. Lancet 2005;365:1046-53. DOI: 10.1016/S0140-6736(05)71141-7
  8. Yu J, Zhou Z, McEvoy RD, et al. Association of positive airway pressure with cardiovascular events and death in adults with sleep apnea. A systematic review and meta-analysis. JAMA 2017;318:156-66. DOI: 10.1001/jama.2017.7967
  9. Chai-Coetzer CL, Antic NA, Rowland LS, et al. A simplified model of screening questionnaire and home monitoring for obstructive sleep apnoea in primary care. Thorax 2011;66:213-9. DOI: 10.1136/thx.2010.152801
  10. Gantner D, Ge JY, Li LH, et al. Diagnostic accuracy of a questionnaire and simple home monitoring device in detecting obstructive sleep apnoea in a Chinese population at high cardiovascular risk. Respirology 2010;15:952-60. DOI: 10.1111/j.1440-1843.2010.01797.x
  11. Peker Y, Glantz H, Eulenburg C, et al. Effect of positive airway pressure on cardiovascular outcomes in coronary artery disease patients with nonsleepy obstructive sleep apnea. The RICCADSA randomized controlled trial. Am J Respir Crit Care Med 2016;194:613-20. DOI: 10.1164/rccm.201601-0088OC
  12. Parra O, Sánchez-Armengol Á, Capote F, et al. Efficacy of continuous positive airway pressure treatment on 5-year survival in patients with ischaemic stroke and obstructive sleep apnea: a randomized controlled trial. J Sleep Res 2015;24:47-53. DOI: 10.1111/jsr.12181
  13. Pevernagie D, Poelman T. En cas de SAOS léger, moins de somnolence avec une CPAP ? MinervaF 2007;6(8):118-9.
  14. Marshall NS, Barnes M, Travier N, et al. Continuous positive airway pressure reduces daytime sleepiness in mild to moderate obstructive sleep apnoea: a meta-analysis. Thorax 2006;61:430-4. DOI: 10.1136/thx.2005.050583
  15. Apnées du sommeil obstructives chez l'adulte. Duodecim Medical Publications. Dernière mise à jour: 19/10/2015. Dernière revue: 19/10/2015.
  16. INAMI. Syndrome des apnées obstructives du sommeil : intervention dans le coût d’un traitement à domicile au moyen d’un appareil nCPAP ou au moyen d’une orthèse d’avancée mandibulaire. Soins de santé: coût et remboursement. Dernière mise à jour 31 janvier 2017.

 

 




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