Revue d'Evidence-Based Medicine



Les revues prédatrices



Minerva 2017 Volume 16 Numéro 9 Page 212 - 213

Professions de santé



 

L’accès gratuit en ligne est à la source d’une dérive majeure dont beaucoup de médecins et de scientifiques n’ont pas encore complètement pris conscience, à savoir l’apparition de revues prédatrices. L’origine du problème vient du développement d’internet permettant d’accéder très rapidement et gratuitement à une importante quantité d’informations. Pour la recherche, l’idée de base est évidemment bonne, à savoir faire rapidement progresser la science. Cette facilité a cependant créé une mentalité du « tout, tout de suite et sans coût » à laquelle la presse scientifique et les institutions ont tenté de répondre par le développement des voies de publication dites dorée et verte (1).

La voie dorée s’est mise en place chez les éditeurs traditionnels de revue. A côté des publications classiques où le lecteur paie l’éditeur, par exemple par un abonnement au journal, sans frais pour l’auteur, les revues ont proposé, souvent sous la pression des organismes et des donateurs finançant la recherche, un accès gratuit en ligne de l’article aux auteurs qui le désirent, moyennant paiement de frais (souvent de l’ordre de 2000 euro). Ces frais ne doivent être payés que si l’article est accepté. Le processus de traitement de l’article reste traditionnel avec revue du papier soumis par des lecteurs experts du sujet (« peer-review »). Quant aux institutions comme les universités, elles ont développé la voie verte, mettant directement en ligne sur des sites ad hoc les publications de leurs chercheurs, éventuellement le manuscrit qui sera soumis (prépublications). En effet, elles se sentent victimes d’un double-jeu. Elles financent la recherche et paient pour la publication, voire pour l’accès à la publication qu'elles-mêmes ont financé.

Profitant de la situation et probablement aussi de la nécessité pour les chercheurs de publier pour survivre académiquement parlant, des prédateurs (2) ont développé des revues en ligne en offrant aux auteurs une publication très rapide sans vrai processus de revue par les pairs et moyennant paiement préalable (souvent de quelques centaines de dollars). N’étant en principe pas repris dans les répertoires habituellement utilisés comme l’index medicus (PubMed), pas plus qu’ils ne sont membres d’organisations avec un « code de bonne conduite» tel que COPE (Committee on Publication Ethics), OASPA (Open Access Scholarly Publishers Association) ou STM (International Association of Scientific, Technical, and Medical Publishers), ils se font connaître auprès de la communauté scientifique en lui lançant des invitations à soumettre par messages électroniques. Il a été récemment estimé que les chercheurs recevaient chaque jour 2,1 spams de revues prédatrices (3). Beaucoup de ces revues n’ont pas de comité rédactionnel et viennent de pays comme l’Inde ou la Chine. Elles s’inspirent de revues existantes et tant leurs titres que leur infographie prêtent à confusion avec d’honorables journaux. Elles peuvent appartenir à un simple informaticien ou à des éditeurs regroupant de nombreuses revues prédatrices comme Bentham science ou OMICS group. Les prédateurs organisent également des congrès où ils sollicitent des chercheurs à venir faire des présentations, bien entendu moyennant paiement.

Phénomène relativement récent, remontant à une petite dizaine d’années, les revues prédatrices ont été répertoriées par un documentaliste d’une bibliothèque universitaire américaine, Jeffray Beall, sur son site https://web.archive.org/web/20170112125427/https:/scholarlyoa.com/publishers/ (4). Beall en a répertorié plus de 10000 (5) mais a dû fermer son site web en janvier 2017, objet de pressions et d’une campagne de calomnies sur la toile (6).

Avant de soumettre un article à une revue avec accès gratuit en ligne, il est conseillé de consulter le répertoire d’origine suédoise DOAJ (Directory of Open Access Journals : https://doaj.org/) qui recense les revues offrant cette possibilité de façon honorable et avec un vrai comité de lecture.

Les revues prédatrices sont une vraie source de pollution pour la science. Tout auteur et tout lecteur doit être conscient du problème. Il ne faut surtout pas hésiter à consulter les répertoires recensant les journaux fiables et ne pas s’en remettre naïvement aux messages envoyés sur la toile par les prédateurs. 

Comme on le voit, les revues prédatrices sont un vrai problème pour les académiques : comment mettre en valeur une publication qui n’est pas supportée par une revue reconnue ? Mais au-delà de ce problème qui pourrait paraître très spécifique ou spécialisé, cette pratique met à mal la qualité des informations disponibles, leur sélection, leur synthèse, bref tout le cycle de l’information passant de la production à l’analyse critique, de la synthèse à la rédaction de guide de pratique clinique. Une raison de plus pour rappeler à tous les cliniciens que toutes les informations ne se valent pas, et qu’une formation de recherche et de critique d’informations est une obligation pour toutes les facultés de médecine, ainsi que pour tous les organismes responsables de formation continuée en santé, dans le but d’apporter aux patients les meilleurs soins, au moment le plus adéquat pour lui.

 

 

Références   

  1. McKiernan EC, Bourne PE, Brown CT, et al. How open science helps researchers succeed. ELife 2016;5:e16800. DOI: 10.7554/eLife.16800
  2. Shen C, Björk BC. “Predatory” open access: a longitudinal study of article volumes and market characteristics. BMC Med 2015;13:230. DOI: 10.1186/s12916-015-0469-2
  3. Grey A, Bolland MJ, Dalbeth N, et al. We read spam a lot: prospective cohort study of unsolicited and unwanted academic invitations. BMJ 2016;355:i5383. DOI: 10.1136/bmj.i5383
  4. Roberts J. Predatory journals: illegitimate publishing and its threat to all readers and authors. J Sex Med 2016;13:1830-3. DOI: 10.1016/j.jsxm.2016.10.008
  5. Sorokowski P, Kulczycki E, Sorokowska A, Pisanski K. Predatory journals recruit fake editor. Nature 2017;543:481-3. DOI: 10.1038/543481a
  6. Silver A. Controversial website that lists ‘predatory’ publishers shuts down. Nature 2017 [site consulté le 4 avril 2017]. DOI: 10.1038/nature.2017.21328

 

 


Auteurs

Sculier J.P.
Institut Jules Bordet; Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI :

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