Revue d'Evidence-Based Medicine



Le traitement hormonal adjuvant à base d’inhibiteur d’aromatase peut être raccourci de 10 à 7 ans chez les femmes ménopausées atteinte d’un cancer du sein non métastasé avec présence de récepteurs hormonaux après chirurgie d’exérèse



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 1 Page 22 - 24

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Gnant M, Fitzal F, Rinnerthaler G, et al. Duration of adjuvant aromatase-inhibitor therapy in postmenopausal breast cancer. N Engl J Med 2021;385:395-405. DOI: 10.1056/NEJMoa2104162


Conclusion
Chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein à récepteurs hormonaux positifs qui reçoivent 5 ans d'hormonothérapie adjuvante, un supplément de 5 ans d'hormonothérapie par un inhibiteur de l’aromatase n'apporte aucun bénéfice par rapport à un supplément de 2 ans mais est associé à un risque plus élevé de fracture osseuse.


Les inhibiteurs de l’aromatase – anastrozole, létrozole, exémestane – bloquent la conversion des androgènes en œstrogènes dans les tissus périphériques autres que les ovaires. Ils sont utilisés en hormonothérapie adjuvante après chirurgie d’exérèse pour les femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein non métastasé avec présence de récepteurs hormonaux. Ils sont utilisés en alternative à un antiœstrogène comme le tamoxifène (1).

Les principales études sur le sujet ont été revues dans Minerva. L’anastrozole s’est avéré efficace et bien toléré comme traitement adjuvant du cancer du sein chez la femme ménopausée dans une étude comparative avec le tamoxifène (2,3). Un traitement d’emblée par un autre inhibiteur d’aromatase, l’exémestane, durant 5 ans, a été montré équivalent à un traitement séquentiel avec tamoxifène durant 2 à 3 ans suivi d’exémestane jusqu‘au terme des 5 ans (4,5). Une monothérapie adjuvante par létrozole, un autre analogue, a été supérieure au tamoxifène dans une étude comparative, sans que le traitement séquentiel par tamoxifène et létrozole ne donne de meilleurs résultats que le létrozole en monothérapie (6,7). Enfin, une étude randomisée, contrôlée par placebo, a montré une survie sans maladie significativement meilleure après un traitement par létrozole pendant une durée prolongée à 10 ans, sans différence en termes de survie, mais avec un plus grand nombre d’effets indésirables osseux (ostéoporose et fractures) (8,9). Les données concernant la balance bénéfice-risque étaient cependant insuffisantes pour considérer ce traitement hormonal par inhibiteur de l’aromatase comme le traitement standard. Notons que ces trois agents ont été comparés dans une étude contrôlée sans différence d’efficacité (10).

Une nouvelle étude randomisée (11) a eu comme objectif de déterminer si on pouvait recourir à un traitement adjuvant plus court (moins de dix ans). Cette étude, appelée “Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group Trial 16” et conduite par un groupe collaborateur autrichien et la firme AstraZeneca, a randomisé des femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein à récepteurs hormonaux positifs qui avaient reçu 5 ans d'hormonothérapie adjuvante avec le tamoxifène et/ou un inhibiteur d’aromatase, entre 2 ans supplémentaires avec de l’anastrozole (groupe de 2 ans, recevant un total de 7 ans) ou 5 ans supplémentaires (groupe de 5 ans, recevant un total de 10 ans). Le critère d'évaluation principal était la survie sans maladie. Les critères secondaires étaient la survie globale, la survenue d’un cancer du sein controlatéral, celle d’un deuxième cancer primitif et celle de fractures osseuses cliniques.

Sur les 3484 femmes enregistrées dans l'essai (âge médian : 64 ans ; 66,9% N0 c-à-d sans atteinte ganglionnaire), 3208 sont restées sans progression de la maladie après les 2 premières années de traitement supplémentaire à l'anastrozole après la randomisation. Une progression de la maladie ou un décès est survenu chez 335 femmes dans chaque groupe de traitement dans l'analyse primaire fixée à 8 ans après la randomisation (HR de 0,99 avec IC à 95% de 0,85 à 1,15 ; p = 0,90). Aucune différence entre les groupes (et dans les sous-groupes) n'est survenue pour les critères d'évaluation secondaires dont la survie globale (87,5% dans le groupe 2 ans et 87,3% dans le groupe 5 ans), sauf pour le risque de fracture osseuse clinique plus élevé dans le groupe à 5 ans que dans le groupe à 2 ans (6,3% vs 4,7% ; HR de 1,35 avec IC à 95% de 1,00 à 1,84). À 5 ans, le nombre de patients nécessaire pour nuire avec la survenue d’une fracture est de 63 (avec IC à 95% de 32 à 953).

L’étude analyse est un essai randomisé de phase III ouverte avec une randomisation stratifiée tenant compte des principaux facteurs pronostiques dans le cancer du sein non métastatique. Les considérations statistiques prévoyaient d’inclure 3500 patientes environ, ce qui a été accompli, avec des objectifs primaires et secondaires remplis. Ces malades ont été recrutées pour un complément d’hormonothérapie adjuvante après 5 premières années de cette thérapie. Celle-ci était hétérogène, ce qui nuit à la pureté de l’étude : 51,0% avaient reçu du tamoxifène seul, 7,3% un inhibiteur de l'aromatase seul et 41,7% un inhibiteur de l'aromatase en association avec le tamoxifène. Un autre problème dans la sélection des patientes est le grand nombre de cas N0 sans adénopathies (66,3%) et de tumeur de petite taille T1 (< 2 cm) (72,3%) avec relativement peu de tumeurs de haut grade (19,4%). Or ce sont surtout les tumeurs de plus grande taille, avec adénopathies et de haut grade qui conditionnent le pronostic à ce stade. La sélection des patientes peut dès lors être source de discussion, ne permettant pas de conclure à l’inutilité de poursuivre de façon plus prolongée l’hormonothérapie adjuvante en cas de facteurs de mauvais pronostic. Les auteurs ont réalisé une analyse en intention de traitement, particulièrement importante dans ce cas car pour des raisons probablement de tolérance, 20% des femmes ont arrêté de prendre l’anastrozole après 2 ans et 33% après 5 ans, même si à l’inclusion toutes avaient déjà eu 5 ans de chimiothérapie adjuvante. Le praticien doit être conscient de tous ces problèmes avant de recommander un traitement adjuvant.

Que disent les guides de pratique clinique ?

Dans les recommandations du KCE (12), un traitement hormonal adjuvant doit être proposé pour les patientes post-ménopausées souffrant d’un cancer du sein à récepteur hormonal positif, avec du tamoxifène (pendant 5 ans), ou avec de l’anastrozole (pendant 5 ans) ou du létrozole (pendant 5 ans), ou avec du tamoxifène (pendant 2 - 3 ans), suivi d’un inhibiteur de l’aromatase (pour un total de 5 ans de thérapie hormonale), ou avec un inhibiteur de l’aromatase (pendant 2 ans) suivi de tamoxifène (pour un total de 5 ans de thérapie hormonale). Une prolongation de traitement avec un inhibiteur de l’aromatase (d’une durée pouvant atteindre 5 ans) doit être envisagée en cas de ganglion lymphatique positif ou de ganglion négatif à haut risque (pT2 ou grade III). Pour l’ESMO, société européenne d’oncologie médicale (13), un traitement adjuvant prolongé doit être discuté avec toutes les patientes, à l'exception de celles présentant un très faible risque de rechute, mais la durée et le schéma optimaux sont actuellement inconnus. Il n'y a qu'un avantage minime pour l'utilisation des inhibiteurs d’aromatase pendant plus de 5 ans. Ces recommandations ont été endossées par les sociétés asiatiques (14). Pour l’ASCO, société américaine d’oncologie médicale (15), les femmes qui reçoivent un traitement endocrinien adjuvant prolongé ne devraient pas recevoir plus de 10 années de traitement total. Les patientes sans envahissement ganglionnaire sont des candidates potentielles, celles avec envahissement ganglionnaire devraient se voir proposer un traitement prolongé par inhibiteur d’aromatase jusqu'à un total de 10 ans. Pour la revue Prescrire (16), le choix du médicament doit être discuté avec la malade en tenant compte du profil d’effets indésirables. L’étude présentement analysée devrait être prise en considération pour recommander des durées plus courtes que dix ans pour l’hormonothérapie adjuvante.

 

Conclusion

Chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein à récepteurs hormonaux positifs qui reçoivent 5 ans d'hormonothérapie adjuvante, un supplément de 5 ans d'hormonothérapie par un inhibiteur de l’aromatase n'apporte aucun bénéfice par rapport à un supplément de 2 ans mais est associé à un risque plus élevé de fracture osseuse.

 

 

Références 

  1. Répertoire commenté des médicaments. Modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes en oncologie. Inhibiteurs de l’aromatase. CBIP décembre 2021.
  2. Cocquyt V. Anastrozol et tamoxifène pour traiter le cancer du sein. MinervaF 2004;3(2):20-2.
  3. The ATAC (Arimidex, Tamoxifen Alone or in Combination) Trialist’s Group. Anastrozole alone or in combination with tamoxifen versus tamoxifen alone for adjuvant treatment of postmenopausal women with early breast cancer : first results of the ATAC randomized trial. Lancet 2002;359:2131-9. DOI: 10.1016/s0140-6736(02)09088-8
  4. Cocquyt V. Timing des inhibiteurs de l’aromatase dans le traitement du cancer du sein. Minerva bref 28/11/2011.
  5. Van de Velde CJ, Rea D, Seynaeve C, et al. Adjuvant tamoxifen and exemestane in early breast cancer (TEAM) : a randomised phase 3 trial. Lancet 2011;377:321-31. DOI: 10.1016/S0140-6736(10)62312-4
  6. Strijbos M, Cocquyt V. Une monothérapie adjuvante avec le létrozole est plus efficace que le tamoxifène chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein hormonosensible. Minerva bref 28/11/2012.
  7. Regan MM, Neven P, Giobbie-Hurder A, et al ; BIG 1-98 Collaborative Group ; International Breast Cancer Study Group (IBCSG). Assessment of letrozole and tamoxifen alone and in sequence for postmenopausal women with steroid hormone receptor-positive breast cancer : the BIG 1-98 randomised clinical trial at 8•1 years median follow-up. Lancet Oncol 2011;12:1101-8. DOI: 10.1016/S1470-2045(11)70270-4
  8. De Bock M, Cocquyt V. Prolongation à 10 ans d’une thérapie adjuvante avec inhibiteurs de l’aromatase chez des femmes ménopausées atteintes d’un cancer du sein avec récepteurs hormonaux positifs  ? Minerva bref 15/03/2017.$
  9. Goss PE, Ingle JN, Pritchard KI, et al. Extending aromatase-inhibitor adjuvant therapy to 10 years. N Engl J Med 2016;375:209-19. DOI: 10.1056/NEJMoa1604700
  10. De Placido S, Gallo C, De Laurentiis M, et al. Adjuvant anastrozole versus exemestane versus letrozole, upfront or after 2 years of tamoxifen, in endocrine-sensitive breast cancer (FATA-GIM3) : a randomised, phase 3 trial. Lancet Oncol 2018;19:474-85. DOI: 10.1016/S1470-2045(18)30116-5
  11. Gnant M, Fitzal F, Rinnerthaler G, et al. Duration of adjuvant aromatase-inhibitor therapy in postmenopausal breast cancer. N Engl J Med 2021;385:395-405. DOI: 10.1056/NEJMoa2104162
  12. Wildiers H, Stordeur S, Vlayen J, et al. Cancer du sein chez la femme  : diagnostic, prise en charge et suivi – Synthèse. Good Clinical Practice (GCP). 3ème éditiuon. Bruxelles : KCE ; 2013. KCE Reports 143Bs – 3ème EDITION. D/2013/10.273/36.
  13. Cardoso F, Kyriakides S, Ohno S, et al. Early breast cancer : ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up†. Ann Oncol 2019 ;30 :1194-220. DOI: 10.1093/annonc/mdz173
  14. Park YH, Senkus-Konefka E, Im S-A, et al. Pan-Asian adapted ESMO Clinical Practice Guidelines for the management of patients with early breast cancer : a KSMO-ESMO initiative endorsed by CSCO, ISMPO, JSMO, MOS, SSO and TOS. Ann Oncol 2020;31:451-69. DOI: 10.1016/j.annonc.2020.01.008
  15. Burstein HJ, Temin S, Anderson H, et al. Adjuvant endocrine therapy for women with hormone receptor-positive breast cancer : American Society of Clinical Oncology clinical practice guideline focused update. J Clin Oncol 2014;32:2255-69. DOI: 10.1200/JCO.2013.54.2258
  16. Traitement hormonal adjuvant du cancer du sein. En choisir les modalités avec les patientes. Prescrire 2019;39:290.

 




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