Revue d'Evidence-Based Medicine



Consultation infirmière en vue d’améliorer la prévention et le dépistage des maladies chroniques



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 3 Page 54 - 57

Professions de santé

Infirmier, Médecin généraliste

Analyse de
Lofters AK, O’Brien MA, Sutradhar R. Building on existing tools to improve chronic disease prevention and screening in public health: a cluster randomized trial. BMC Public Health 2021;21:1496. DOI: 10.1186/s12889-021-11452-x


Question clinique
L’utilisation de l’intervention BETTER-HEALTH (une consultation centrée sur la prévention et le dépistage des maladies chronique menées par des infirmier/ères en santé publique spécialement formée) permet-elle d’augmenter à 6 mois le nombre d’actions de prévention et dépistage des maladies chroniques basées sur les données probantes dans les populations adultes ayant un désavantage socio-économique ?


Conclusion
Cet essai clinique contrôlé randomisé en grappe, originale et pertinente bien que limitée par des biais (principalement de sélection et de désirabilité sociale), montre une augmentation moyenne des actions de prévention et de dépistage des maladies chroniques au sein d’une population socio économiquement défavorisée 6 mois après une consultation menée par des infirmier/ères formés à l’aide de l’intervention BETTER-HEALTH.


Contexte

En 2015, Minerva a analysé une synthèse méthodique montrant que la programmation de soins personnalisés aboutissait à une légère amélioration des critères de jugement physiques et psychiques chez les patients souffrant d’une affection chronique, essentiellement dans le cadre du diabète sucré (1,2). Ensuite, Minerva a publié en 2021 l’analyse d’un essai contrôlé randomisé sur la planification anticipée de soins dirigée par un(e) infirmier/ère démontrant, via l’échange des informations entre soignants de première ligne, une efficacité en termes de discussion et d’enregistrement des éléments en lien avec la planification anticipée de soins (3,4). Les populations à faible revenu recourent moins souvent à l’offre de prévention et de dépistage des maladies chroniques. Un obstacle énoncé est la non-intégration de ces interventions dans un système de soin (basé sur les données probantes). Nous analysons donc ici l’efficacité pratique d’une consultation proactive en première ligne de soins centrée sur la prévention et le dépistage des maladies chronique menés par des infirmier/ères en santé publique auprès de populations défavorisées (5).

 

Résumé

Population étudiée

  • citoyens entre 40 et 65 ans, habitants de la Province de Ontario au Canada, parlant couramment l’anglais et recrutés sur base volontaire
  • 22 quartiers administratifs ont été sélectionnés sur base de leurs faibles revenus financiers et du faible taux de dépistage des cancers (Census data) ; 3 quartiers ont ensuite été exclus du fait de caractères urbanistiques atypiques ; la randomisation finale sur 10 quartiers, suffisante pour la puissance de l’étude, s’est réalisée via la fonction SAMPLE du logiciel statistique R : 5 quartiers avec intervention / 5 quartiers en liste d’attente (sans intervention).

Protocole d’étude

  • essai clinique contrôlé́ randomisé en grappe
  • l’intervention, BETTER-HEALTH, consistait en une consultation d’une heure à une heure trente basée sur des techniques d’entretien motivationnel, la planification d’actions et une décision partagée aboutissant à une « prescription préventive » comprenant au maximum 3 objectifs spécifiques individuels, mesurables, atteignables, réalistes et opportuns à visée de santé publique tels que le tabagisme, l’alimentation et l’activité physique ; 3 infirmier/ères ont été formés à cette approche pendant deux journées
  • le groupe contrôle ne bénéficiait pas quant à lui de la consultation des infirmier/ères formés à l’approche BETTER-HEALTH (5 quartiers administratifs en liste d’attente).

 

Mesures des résultats

  • le critère de jugement primaire est la proportion d’action de prévention et de dépistage des maladies chroniques basées sur les données probantes, auxquelles chaque participant étaient potentiellement éligible à l’inclusion, auto-rapportée comme réalisée à 6 mois après l’intervention.

 

Résultats

  • critères de jugement primaire
    • dans les deux groupes (intervention et contrôle), avant intervention, les participants étaient éligibles à 8,6 actions potentielles, en moyenne, de prévention et de dépistage
    • après 6 mois, le groupe sensibilisé à l’aide de l’intervention BETTER-HEALTH a réalisé 64,5% des actions potentielles versus 42,1% du groupe contrôle (liste d’attente). Rapport d’incidence 1,53 (avec IC à 95% de 1,22 à 1,84)
  • la plus grande amélioration entre les deux groupes a été observée pour la mesure du tour de taille (différence absolue de 71,9%), le dépistage de l’indice de masse corporelle (différence absolue de 72,7%), ainsi que dans le cadre du dépistage du cancer du sein (différence absolue de 50%).

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’utilisation par des infirmiers/ères de santé publique de l’intervention BETTER-HEALTH a conduit à un taux plus élevé d'actions de prévention et de dépistage basées sur les données probantes réalisés à six mois chez des personnes désavantagées socio économiquement.

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie (validité interne)

Bien qu’intéressante et innovante dans le domaine de la pratique infirmière, cette étude a de nombreuses limites internes :

1- Biais de participation : les caractéristiques des sujets inclus et les résultats observés sont probablement dépendants du caractère volontaire du recrutement.

2- Biais de désirabilité sociale et de mémorisation : les mesures de résultats sont réalisées de manière auto-rapportées par les sujets de l’étude 6 mois après l’intervention. La tendance est généralement le sous rapportage d’actions sociales indésirables et le sur-rapportage d’actions considérées comme positives. En effet, l’étude à posteriori des dossiers médicaux des sujets n’a pas été réalisée dans cette étude, ce qui aurait fortement renforcé la validité interne.

3- Biais de sélection : le critère d’exclusion des sujets non anglophones a pu engendrer l’exclusion d’un groupe sociodémographique potentiellement à haut risque de développer des affections chroniques par manque de prévention et de dépistage.

A noter également que le recensement des actions potentielles de dépistage et de prévention par le chercheur dans le groupe contrôle peut être considéré comme une intervention à minima, mais qui aurait influencé les résultats vers l’hypothèse nulle.

 

Évaluation des résultats de l'étude (validité externe)

L'intervention BETTER-HEALTH a entraîné une augmentation de 50 % des actions de prévention et de dépistage. Bien que la population d’Ontario diffère quelque peu au niveau sociodémographique de la population belge, l’intervention BETTER-HEALTH pourrait s’avérer également intéressante, après traduction et contextualisation, au sein du système belge de soins de santé. L’expertise requise pourraient être facilement reproduite. En 2008, la Ministre de la Santé Publique et des Affaires Sociales publiait un programme national intitulé « Priorité aux Malades chroniques ! » dont le premier état des lieux a été réalisé en 2012 (6). Ce rapport mentionnait qu’un belge sur quatre (27,2%) faisait état d’au moins une pathologie chronique et que les facteurs de risque de maladies chroniques étaient le plus fréquemment rapportés par les personnes appartenant aux groupes socio-économiques défavorisés. Un des axes prioritaires énoncés a également relevé l’importance de l’« empowerment » du patient visant à améliorer son efficacité personnelle en termes de prévention et de dépistage précoce (7).

Avec l’émergence des infirmier/ères en pratique avancée en Belgique (8), une adoption de cette intervention, optimalisant le flux d’informations et la coordination des soignants de premières lignes, permettrait certainement un recrutement (dépistage et prévention) grandissant de patients atteints de maladies chroniques dans les régions les plus défavorisées sur le plan socio-économique tel que prévu dans le plan d’action (point d’action 4.3) du KCE.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Bien que nombreuses recommandations aient été réalisées à ce jour sur la prévention et le dépistage des maladies chroniques, ces dernières sont généralement spécifiques à la pathologie étudiée. Le KCE a émis une série de recommandations génériques en 2012 (6). Voici les principales recommandations en lien avec l’analyse :

développer et mettre en œuvre un travail d’équipe multidisciplinaire 

instaurer et reconnaître de nouveaux rôles et fonctions dans les soins de santé de première ligne (Pour exemple : l’infirmier de pratiques avancées) tout en assistant le médecin généraliste dans la gestion des cas complexes

réaliser des activités de dépistage précoce : les médecins généralistes et autres soignants doivent disposer de vastes compétences de détection, en vue du dépistage précoce des affections chroniques

soutenir l’« empowerment » du patient : les professionnels de la santé doivent être sensibilisés au rôle de partenaire des patients et aidants informels et développer leurs aptitudes, des programmes d'intervention et des outils ; ces derniers doivent également intégrer dans les soins de routine aux malades chroniques des attitudes et actions visant à l'« empowerment » des patients.

 

Conclusion de Minerva

Cet essai clinique contrôlé randomisé en grappe, originale et pertinente bien que limitée par des biais (principalement de sélection et de désirabilité sociale), montre une augmentation moyenne des actions de prévention et de dépistage des maladies chroniques au sein d’une population socio économiquement défavorisée 6 mois après une consultation menée par des infirmier/ères formés à l’aide de l’intervention BETTER-HEALTH.

 

 

Références 

  1. Boeckxstaens P. Planification de soins personnalisés en cas de maladie chronique ?  MinervaF 2015;14(10):124-5.
  2. Coulter A, Entwistle VA, Eccles A, et al. Personalised care planning for adults with chronic or long-term health conditions. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD010523.pub2
  3. Cordyn S. Quelle est l’utilité d’un parcours de soins dirigé par des infirmiers/ères pour la planification anticipée des soins ? Minerva Analyse 15/10/2021.
  4. Gabbard J, Pajewski NM, Callahan KE, et al. Effectiveness of a nurse-led multidisciplinary intervention vs usual care on advance care planning for vulnerable older adults in an accountable care organization: a randomized clinical trial. JAMA Intern Med 2021;181:361-9. DOI: 10.1001/jamainternmed.2020.5950
  5. Lofters AK, O’Brien MA, Sutradhar R. Building on existing tools to improve chronic disease prevention and screening in public health: a cluster randomized trial. BMC Public Health 2021;21:1496. DOI: 10.1186/s12889-021-11452-x.
  6. Position paper : Organisation des soins pour les malades chroniques en Belgique, Rapport KCE 2012, KCE Report 190Bs. URL : https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_190B_organisation_soin_malades_chroniques_Position%20Paper_0_0.pdf
  7. Bodenheimer T, Wagner EH, Grumbach K. Improving primary care for patients with chronic illness. JAMA 2002;28:1775-9. DOI: 10.1001/jama.288.14.1775
  8. Delamaire M, Lafortune G. Les pratiques infirmières avancées : Une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés. In: Editions OCDE. Paris: OCDE; 2010.

 

 

 


Auteurs

Stipulante S.
chargé de cours ULiège, Pratiques Avancées en Sciences Infirmières, DSSP, Faculté de Médecine
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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