Revue d'Evidence-Based Medicine



L’autogestion peut apporter une aide chez l’homme âgé se plaignant de symptômes en rapport avec les voies urinaires basses



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 3 Page 62 - 65

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Psychologue

Analyse de
Albarqouni L, Sanders S, Clark J, et al. Self-management for men with lower urinary tract symptoms: a systematic review and meta-analysis. Ann Fam Med 2021;19:157-67. DOI: 10.1370/afm.2609


Question clinique
Chez des hommes présentant des symptômes des voies urinaires basses, qu’apportent des interventions d'autogestion (seules ou associées à une pharmacothérapie) par rapport aux soins habituels ou au seul traitement médicamenteux pour améliorer la sévérité des symptômes des voies urinaires basses ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique et méta-analyse a trouvé des preuves de qualité moyenne concernant l'efficacité de l'autogestion pour le traitement des symptômes des voies urinaires basses chez les patients de sexe masculins, conduisant leurs auteurs à recommander l'utilisation d'interventions d'autogestion pour cette population. Si la revue est de bonne qualité, les études identifiées ont toutes des problèmes méthodologiques importants et sont très hétérogènes en ce qui concerne les traitements comparés, rendant impossible une méta-analyse globale. Néanmoins, l’autogestion s’avère avantageuse par rapport aux seuls soins usuels ou en addition au seul traitement médicamenteux. Des études de meilleure qualité méthodologique et à plus long terme seront nécessaires pour donner des recommandations plus précises.


 

Contexte

Les symptômes en rapport avec les voies urinaires basses sont un problème courant chez les hommes âgés, affectant 70 à 90% des personnes âgées de 80 ans et plus (1). Ces symptômes peuvent être divisés en symptômes de stockage (p. ex. augmentation de la fréquence urinaire), symptômes de miction (p. ex. vidange incomplète) et symptômes post-mictionnels. Minerva a couvert certains aspects de ce problème. La détection de la bactériurie ne fournit que peu d'informations utiles chez la personne vivant en maison de repos présentant des symptômes non spécifiques (2,3). La force probante des symptômes de suspicion d’infection des voies urinaires pris individuellement est assez faible (4,5). De plus, pour un épisode d’infection des voies urinaires basses chez l’homme, il ne semble pas y avoir de bénéfice d’un traitement antibiotique dépassant 7 jours versus 7 jours maximum en termes de récidives dans les 30 jours ou après 30 jours, avec cependant davantage de récidives après 30 jours et peut-être d’infections à Clostridium difficile (6,7). Des interventions d'autogestion peuvent être proposées pour aider le patient symptomatique. Elles consistent en interventions structurées visant à améliorer l’état médical, comportemental et émotionnel de l’individu afin de lui donner un certain contrôle sur ses symptômes. Cette approche est abordée dans des recommandations de pratique clinique (8,9). Il n’existe cependant pas de revue systématique synthétisant les preuves de l'effet des interventions d'autogestion pour les hommes présentant des symptômes des voies urinaires basses, raison pour laquelle cette question mérite de faire l’objet d’une telle revue avec méta-analyse (10).

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

 

Études sélectionnées

  • critères d’inclusion : études randomisées portant sur des hommes présentant des symptômes des voies urinaires inférieures, qu'il s'agisse de symptômes de troubles du remplissage, de la miction ou des deux
  • aucune restriction de langue ou de date
  • critères d’exclusion : les femmes ont été exclues ainsi que les études qui impliquaient des hommes qui présentaient des symptômes attribués à des infections, qui avaient un cancer de la prostate ou avaient subi une chirurgie de la prostate et/ou qui souffraient de troubles neurologiques concomitants
  • les essais devaient évaluer une combinaison des composantes de l'autogestion, avec ou sans traitement médicamenteux concomitant ; l’intervention d'autogestion impliquait au moins 2 des composantes suivantes : éducation et réassurance ; gestion des apports liquidiens ; réduction de la consommation de caféine et d'alcool ; utilisation de médicaments concomitants ; entraînement à l’hygiène de la vessie ; interventions diverses ; le traitement du groupe contrôle consistait en soins habituels (selon la définition des auteurs de l’étude) ou pharmacothérapie ; le critère de jugement principal était la gravité des symptômes des voies urinaires basses mesurée à l'aide de scores de symptômes validés
  • les auteurs ont pu extraire les données de résultats de 8 études (14 articles) et inclure 6 de ces études (12 articles) dans la méta-analyse ; six études ont pu faire l’objet d’une agrégation des données ; la nature des interventions d'autogestion variait d'une étude à l'autre ; il en était de même des interventions des groupes contrôles, conduisant à trois comparaisons séparées.

 

Population étudiée

  • ces études ont recruté un total de 1006 hommes avec une médiane de 141 hommes par essai et une fourchette de 41 à 222.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement principal : la gravité des symptômes des voies urinaires inférieures mesurée à l'aide de scores de symptômes validés, par exemple, l'International Prostate Symptom Score (IPSS) et l'American Urological Association Symptom Index (AUA-SI)
  • critères de jugement secondaires : ils devaient être pertinents pour les patients, tels que la qualité de vie et la fréquence des symptômes (par exemple, la fréquence des mictions sur 24 heures ou la nycturie).

 

Résultats

  • critères de jugement principal :
    • les résultats montrent une réduction cliniquement importante de l'International Prostate Symptom Score (total de 35 points) à 6 mois en faveur des interventions d'autogestion par rapport aux soins habituels (médiane = -7,4 ; avec IC à 95% de -8,8 à -6,1 ; 2 études)
    • aucune différence pour la réduction du score avec l'autogestion versus celle obtenue avec un traitement médicamenteux à 6 à 12 semaines (médiane = 0,0 avec IC à 95% de -2,0 à 2,0 ; 3 études)
    • l'autogestion a eu un avantage supplémentaire plus petit à 6 semaines lorsqu'elle a été ajoutée à la pharmacothérapie (médiane de -2,3 avec IC à 95% de -4,1 à -0,5 ; 1 étude)
  • critères de jugement secondaires :
    • effet positif sur la nycturie (DM de -0,42 avec IC à 95% de -0,67 to -0,17; 3 études ; I2 = 0%)
    • aucune preuve d'une différence dans la fréquence des mictions sur 24 heures
    • meilleure qualité de vie par rapport au groupe de soins habituels à 6 mois (2 études)
    • avantage pour le groupe autogestion versus pharmacothérapie pour la fréquence des effets indésirables (différence de risque absolue de -0,26 avec IC à 95 % de -0,40 à -0,11)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent avoir trouvé des preuves de qualité modérée (suggérant une certitude raisonnable dans les estimations) concernant l'efficacité de l'autogestion pour le traitement des symptômes des voies urinaires basses chez les hommes. Ils recommandent donc l'utilisation d'interventions d'autogestion pour cette population de patients.

 

Discussion

 

Méthodologie (validité interne)

La revue systématique a été conduite selon les règles PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses) avec un protocole prospectivement développé et enregistré sur le site Open Science Framework.

Les auteurs ont noté un grand problème lié aux biais potentiels. Sur les 8 études incluses, 7 ont été jugées à haut risque de biais dans plus d'un des 7 domaines évalués. Toutes les études ont été jugées à risque de biais élevé ou incertain pour la dissimulation de l'attribution. Toutes les études sauf une ont été jugées à haut risque de biais de performance. La moitié des études (4 sur 8) ont été jugées comme présentant un risque de biais incertain en raison de rapports sélectifs.

Les scores utilisés dans les études évaluent surtout les symptômes de stockage ou ceux de miction mais pas ou peu l’égouttement post-mictionnel, l'incontinence et la gêne occasionnée par les symptômes. Les études n’offrent qu’une évaluation partielle de l’effet des traitements testés. Faute d’accès aux données des patients individuels, les auteurs n’ont pas pu étudier dans quels sous-groupes de patients (comme pour des sous-ensembles de symptômes) les composants de l'autogestion avaient le plus grand effet.

 

Évaluation des résultats (validité externe) 

Les résultats obtenus suggérant un intérêt pour l’autogestion sont d’un niveau de preuve de qualité modérée, avec une certitude raisonnable dans les estimations. Vu l’hétérogénéité des designs des essais, il n’a pas été possible de réaliser une méta-analyse globale. Les auteurs ont agrégé les résultats pour trois sous-groupes : autogestion versus soins usuels (avec un avantage pour l’autogestion) ; autogestion versus traitement médicamenteux (avec un effet semblable) ; abord combiné médicamenteux et autogestion versus traitement médicamenteux seul (avec un avantage pour l’abord combiné). Les effets ne sont évalués qu’à 6 mois et la description des traitements est hétérogène et parfois non rapportée très précisément pour l’autogestion. Les soins usuels ne sont pas clairement définis.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Il y a peu de recommandations sur le sujet et aucune en particulier sur l’autogestion. Ebpracticenet ne couvre que l’incontinence urinaire chez la personne âgée. La Société Européenne d’Urologie (SEU) (8) aborde le sujet sous l’abord du diagnostic de ces troubles et rappelle que l’étiologie est souvent multifactorielle et ne doit pas être systématiquement attribuée à un problème prostatique. Quant à l’intérêt de l’autogestion, on peut trouver des recommandations sur le site de la SEU mais elles ne sont pas (encore) publiées dans une revue avec révision par les pairs (11). Les auteurs rappellent que les hommes randomisés pour trois séances d'autogestion en plus des soins standard présentent une meilleure amélioration des symptômes et de la qualité de vie que les hommes traités avec les soins standard seuls jusqu'à un an. L’autogestion dans le cadre d’une surveillance vigilante (watchful waiting) réduit à la fois les symptômes et la progression (force de recommandation 1B). L'autogestion permet une réduction cliniquement significative de la gravité des symptômes à six mois par rapport aux soins habituels. L'ajout de l'autogestion à la pharmacothérapie présente également un avantage supplémentaire, faible mais significatif (force de recommandation 1B). Les Britanniques du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) se proposent de revoir leurs recommandations vu les nouvelles données qui apparaissent dans la littérature (9).

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique et méta-analyse a trouvé des preuves de qualité moyenne concernant l'efficacité de l'autogestion pour le traitement des symptômes des voies urinaires basses chez les patients de sexe masculins, conduisant leurs auteurs à recommander l'utilisation d'interventions d'autogestion pour cette population. Si la revue est de bonne qualité, les études identifiées ont toutes des problèmes méthodologiques importants et sont très hétérogènes en ce qui concerne les traitements comparés, rendant impossible une méta-analyse globale. Néanmoins, l’autogestion s’avère avantageuse par rapport aux seuls soins usuels ou en addition au seul traitement médicamenteux. Des études de meilleure qualité méthodologique et à plus long terme seront nécessaires pour donner des recommandations plus précises.

 

 

Références 

  1. Parsons JK, Bergstrom J, Silberstein J, Barrett-Connor E. Prevalence and characteristics of lower urinary tract symptoms in men aged > or = 80 years. Urology 2008;72:318-21. DOI: 10.1016/j.urology.2008.03.057
  2. De Cort P. La culture d’urine, instrument discutable pour détecter la cause de plaintes non spécifiques chez la personne âgée. Minerva Analyse 28/11/2012.
  3. Sundvall PD, Ulteryd P, Gunnarsson RK. Urine culture doubtful in determining etiology of diffuse symptoms among elderly individuals: a cross-sectional study of 32 nursing homes. BMC Fam Pract 2011;12:36. DOI: 10.1186/1471-2296-12-36
  4. Christiaens T, Heytens S. Valeur diagnostique des symptômes et signes cliniques en cas d’infection non compliquée des voies urinaires. Minerva Analyse 28/01/2012.
  5. Giesen LG, Cousins G, Dimitrov BD, et al. Predicting acute uncomplicated urinary tract infection in women: a systematic review of the diagnostic accuracy of symptoms and signs. BMC Fam Pract 2010;11:78. DOI: 10.1186/1471-2296-11-78
  6. La Rédaction Minerva. Infection des voies urinaires chez l’homme : antibiothérapie de 7 jours maximum ? Minerva Analyse 15/11/2013.
  7. Drekonja DM, Rector TS, Cutting A, Johnson JR. Urinary tract infection in male veterans: treatment patterns and outcomes. JAMA Intern Med 2013;173:62-8. DOI: 10.1001/2013.jamainternmed.829
  8. Gratzke C, Bachmann A, Descazeaud A, et al. EAU Guidelines on the assessment of non-neurogenic male lower urinary tract symptoms including benign prostatic obstruction. Eur Urol 2015;67:1099-109. DOI: 10.1016/j.eururo.2014.12.038
  9. National Institute for Health and Care Excellence. 2019 surveillance of lower urinary tract symptoms in men: management. NICE guideline (CG97) 2019 [cité 3 mars 2022]. Disponible sur: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK552248/
  10. Albarqouni L, Sanders S, Clark J, et al. Self-management for men with lower urinary tract symptoms: a systematic review and meta-analysis. Ann Fam Med 2021;19:157-67. DOI: 10.1370/afm.2609
  11. EAU Guidelines. Management of non-neurogenic male LUTS. URL: https://uroweb.org/guidelines/management-of-non-neurogenic-male-luts/chapter/disease-management

 

 

 




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