Revue d'Evidence-Based Medicine



Quelle est l’utilité du dépistage systématique de la fibrillation auriculaire chez les patients âgés ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 6 Page 141 - 144

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Svennberg E, Friberg L, Frykman V, et al. Clinical outcomes in systematic screening for atrial fibrillation (STROKESTOP): a multicentre, parallel group, unmasked, randomised controlled trial. Lancet 2021;398:1498-1506. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)01637-8


Question clinique
Le dépistage de la fibrillation auriculaire suivi d’un traitement anticoagulant adapté réduit-il l’incidence des AVC, des thromboembolies systémiques et de la mortalité globale sans augmenter les hémorragies majeures dans une population âgée (75-76 ans) ?


Conclusion
Cette étude contrôlée randomisée, menée en ouvert, montre que le dépistage systématique de la FA chez les personnes âgées de 75-76 ans entraîne une réduction marginalement significative d’un critère de jugement composite combinant AVC ischémique ou hémorragique, thromboembolie systémique, saignement entraînant une hospitalisation (au moins une nuit) et mortalité globale. Il est difficile d’estimer correctement la pertinence clinique de ce résultat car aucune différence n’a pu être établie entre les deux groupes en termes de critères de jugement individuels. On ne dispose pas de données sur les éventuels effets indésirables. L’influence d’un effet de patient en bonne santé doit également être étudiée plus avant. En outre, on ne sait pas encore dans quelle mesure les avantages possibles pour la santé justifient une stratégie de dépistage systématique à grande échelle au vu de son coût économique.


Contexte

La fibrillation auriculaire (FA) est l’arythmie cardiaque la plus fréquente après l’extrasystole. Une étude d’enregistrement national aux Pays-Bas a montré que l’incidence et la prévalence de la FA augmentaient avec l’âge. Ainsi, l’incidence passe de 0,1 par 1000 personnes par an dans la tranche d’âge de 25 à 44 ans à une incidence de 6,3 (chez les hommes) et 8,6 (chez les femmes) par 1000 personnes par an dans la tranche d’âge ≥ 75 ans. La prévalence passe de 0,6 (chez les hommes) et 0,2 (chez les femmes) par 1000 personnes par an dans la tranche d’âge de 25 à 44 ans à une prévalence de 44,7 (chez les hommes) et 43,3 (chez les femmes) par 1000 personnes par an dans la tranche d’âge ≥ 75 ans (1). Ces chiffres devraient augmenter à l’avenir vu le vieillissement de la population et les meilleures options de traitement dans le cadre d’un infarctus du myocarde ou d’une insuffisance cardiaque (2). On a pu montrer que la FA multipliait par 5 le risque de thromboembolie, en particulier d’AVC ischémique (3), et qu’elle était associée à une mortalité accrue (4). Pour prévenir une thromboembolie due à la FA, un traitement anticoagulant est recommandé chez tous les patients ayant un score CHA2DS2-VASC ≥ 2 (2). Une étude de dépistage a montré que, chez 25 à 30% des patients chez qui une FA a été détectée, celle-ci n’avait pas encore été diagnostiquée (5). Il s’agit d’une découverte importante car, plus la FA est détectée précocement, plus le traitement par anticoagulants oraux peut débuter tôt, ce qui pourrait réduire la morbidité et la mortalité de la FA.

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 28768 habitants âgés de 75 ou 76 ans, recrutés en Suède dans le Halland et à Stockholm (6)
  • pas de critère d’exclusion.

 

Protocole de l’étude

Étude randomisée, multicentrique, menée en ouvert, contrôlée, avec deux groupes en parallèles :

  • invitation pour le dépistage de la FA (n = 14387) : les personnes ont reçu trois invitations écrites pour le dépistage de la FA sur une période de ± 2 ans
    • les participants connus pour être atteints de FA mais qui n’avaient pas encore été traités avec des anticoagulants oraux ont été adressés au cardiologue pour confirmation du diagnostic et pour un suivi ultérieur
    • les participants sans FA connue ont été invités à utiliser un appareil ECG portable à une seule dérivation ; en l’absence de FA, on leur a demandé de continuer à utiliser cet appareil deux fois par jour pendant 2 semaines ; en présence d’un épisode de 30 secondes ou en présence de > 2 épisodes de 10 à 29 secondes de rythme cardiaque irrégulier sans onde p, le diagnostic de FA a été posé ; les participants atteints de FA ont été adressés à un cardiologue pour instauration d’un anticoagulant oral et pour un suivi ultérieur
  • pas d’invitation au dépistage de la FA (n = 14381).

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : critère composite combinant AVC ischémique ou hémorragique, embolie systémique, hémorragie entraînant une hospitalisation (au moins une nuit) et mortalité globale
  • critères de jugement secondaires : détection d’une FA, instauration d’une anticoagulation orale et observance, hospitalisation (au moins une nuit) pour maladie cardiovasculaire, AVC ischémique, thromboembolie veineuse, démence, analyse coût-efficacité
  • diverses bases de données nationales ont été utilisées pour identifier les critères de jugement
  • suivi : au moins 5 ans
  • toutes les analyses ont été effectuées en intention de traiter.

 

Résultats

  • parmi les 28768 participants randomisés, le nombre de sorties d’étude avant le début de l’étude était de 408 dans le groupe dépistage et de 385 dans le groupe témoin suite à un décès ou une migration ; il n’y a pas eu d’abandon en cours d’étude ; sur les 13979 invités au dépistage, 7165 (51,3%) ont effectivement participé au dépistage ; tous les participants inclus dans l’analyse ont été suivis pendant au moins 5,6 ans (médiane 6,9 ans avec écart interquartile (IQR) de 6,5 à 7,2 ans)
  • résultats des principaux critères de jugement : il y a eu marge-significativement moins d’événements dans le groupe dépistage (4456 [31,9%] sur 13979 ; 5,45 pour 100 ans) que dans le groupe témoin (4616 [33,0%] sur 13996 ; 5,68 pour 100 ans) avec un HR de 0,96 (avec IC à 95% de 0,92 à 1,00 ; p = 0,045) ; dans les deux groupes combinés, les événements les plus fréquents étaient la mortalité globale (6464 [71,2%] sur 9072 événements), outre 2879 (31,7%) hospitalisations pour hémorragie majeure, 1596 (17,6%) AVC ischémiques, 292 (3,2%) AVC hémorragiques et 114 (1,3%) embolies systémiques ; il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le groupe dépistage et le groupe témoin dans les composantes individuelles des principaux critères de jugement
  • résultats des critères de jugement secondaires : il n’y avait pas de différences statistiquement significatives dans les critères de jugement secondaires entre le groupe dépistage et le groupe témoin.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs de cette étude concluent que le dépistage de la FA par rapport à la prise en charge standard apporte un léger bénéfice net, ce qui indique que le dépistage est sûr et bénéfique chez les personnes âgées.

 

Financement de l’étude 

Cette étude a été financée par les organismes suivants : Stockholm County Council, Swedish Heart & Lung Foundation, King Gustav V and Queen Victoria’s Freemasons’ Foundation, Klebergska Foundation, Tornspiran Foundation, Scientific Council of Halland, Southern Regional Healthcare Committee, Swedish Stroke Fund, Carl Bennet AB, Boehringer Ingelheim, Bayer et Bristol Myers Squibb-Pfizer.

 

Conflits d’intérêt des auteurs 

Aucun organisme externe n’a été impliqué dans la conception de l’étude, dans la collecte des données, dans l’analyse ou dans le rapport.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Le recrutement de tous les habitants en fonction de leur date de naissance (en 1936 ou 1937) et dans deux régions définies de Suède, par le biais de leur numéro d’identification personnel, permet d’étudier l’utilité du dépistage systématique de la FA chez les personnes âgées. Au cours de l’étude, les chercheurs ont élargi le principal critère de jugement initial, qui est passé de « AVC ischémique » à un critère de jugement composite. Le calcul de la taille de l’échantillon était basé sur un risque annuel d’AVC ischémique de 7% chez les patients de 75 ans atteints de FA non traitée. Cependant, de nouvelles études menées entre 2012 et 2017 ont montré que le risque n’était que de 3 % dans cette tranche d’âge (7). Cela peut être dû au fait que, contrairement aux études épidémiologiques antérieures, les études plus récentes incluent des patients atteints de FA paroxystique, en plus des patients atteints de FA permanente. En raison de ce manque de puissance pour montrer une différence dans l’AVC ischémique, les chercheurs ont finalement choisi un critère composite qui, en plus de l’AVC ischémique, comprenait également l’AVC hémorragique, l’embolie systémique, les saignements entraînant une hospitalisation (au moins une nuit) et la mortalité globale. D’un point de vue méthodologique, le fait que ce choix ait été opéré durant l’étude pose problème (8). D’un côté, les différentes composantes du critère composite étaient toutes cliniquement pertinentes en elles-mêmes pour les patients atteints de FA. D’un autre côté, la combinaison de l’AVC ischémique et de l’AVC hémorragique va à l’encontre de l’exigence selon laquelle on doit pouvoir attendre du traitement une même tendance en termes d’efficacité pour les différentes composantes individuelles.

La randomisation en deux groupes s’est faite par ordinateur. L’étude a été menée en ouvert, mais les critères de jugement ont été recherchés de manière anonyme via un lien entre le numéro d’identification personnel des participants et les bases de données nationales de données cliniques obtenues en routine. Cependant, malgré la grande précision de ces bases de données, il est toujours possible que certains événements aient été mal diagnostiqués ou que l’on soit passé à côté. L’analyse en intention de traiter est certainement fiable car aucun abandon d’étude n’a été signalé. 

 

Interprétation des résultats

Le dépistage a montré une réduction marginalement significative du critère de jugement composite. Ce résultat correspondait à un nombre nécessaire pour le dépistage égal à 91. On n’en connaît pas la pertinence clinique. Aucun effet positif du dépistage n’a pu être démontré pour les différentes composantes du critère de jugement composite, ni pour les critères de jugement secondaires. Cependant, les auteurs soulignent la possibilité d’une sous-estimation des résultats. D’une part, il y a eu, ces dernières années, une plus grande prise de conscience de la FA en raison de l’utilisation croissante de la technologie à bas seuil pour surveiller le rythme cardiaque. D’autre part, sous l’impulsion des récentes recommandations, la FA est de plus en plus souvent traitée par anticoagulants. Pour une interprétation correcte des résultats de cette étude, nous devons également prendre en compte le risque d’un « effet du patient en bonne santé » (healthy user effect). Les habitants qui ont choisi de participer au dépistage étaient en meilleure santé, et leur statut socio-économique était plus élevé. Les personnes qui ont été invitées au dépistage mais qui n’ont pas participé avaient plus souvent une comorbidité, un niveau d’éducation inférieur et des revenus plus faibles que celles qui ont accepté l’invitation au dépistage. Il est possible que, si le taux de participation avait été plus élevé dans le groupe invité, l’effet du dépistage aurait été plus important. À cet égard, les auteurs montrent également que la distance géographique a un impact majeur sur la présence au dépistage. Pour y remédier, les chercheurs de l’étude STROKESTOP II (en cours) ont rapproché tous les centres de dépistage des habitants pour augmenter la participation (9). Fait intéressant, les auteurs font, ici également, un lien avec le dépistage opportuniste, par exemple par les médecins généralistes, afin d’attirer plus de personnes au dépistage.

Les résultats de l’étude ne permettent pas de déterminer le nombre exact de patients chez qui finalement une FA a été détectée de novo. Il est donc difficile de comparer cette forme large de dépistage (qui ne tient compte que de l’âge) avec d’autres programmes de dépistage qui se concentrent sur des groupes de patients plus spécifiques (par exemple, les patients atteints d’hypertension, de diabète, d’insuffisance cardiaque, de cardiopathie ischémique, de valvulopathie). De cette étude, on ne peut rien inférer non plus en ce qui concerne les éventuels effets indésirables du dépistage. La confrontation constante à son propre rythme cardiaque peut induire du stress et de l’anxiété chez certains patients. De plus, étant donné que le rythme cardiaque n’est surveillé que pendant une courte période, un faux sentiment de sécurité risque de s’installer et de retarder la demande d’attention médicale en cas d’arythmie. Enfin, on ignore encore si les coûts de ce dépistage systématique sont économiquement équilibrés avec les dépenses totales de soins médicaux dans la communauté.

 

Que disent les guides pour la pratique clinique ?

Les recommandations de la Société néerlandaise des médecins généralistes (NHG) préconisent un dépistage opportuniste de la FA plutôt que le dépistage systématique. Concrètement, cela peut se faire en évaluant également le rythme cardiaque chez les patients dont la pression artérielle est mesurée en routine, comme chez les personnes atteintes d’hypertension artérielle, d’insuffisance cardiaque, de diabète sucré (2). La directive la plus récente de la Société européenne de cardiologie (European Society of Cardiology, ESC) recommande également le dépistage opportuniste de la FA chez les patients âgés de ≥ 65 ans et chez les patients atteints d’hypertension artérielle (10).

 

Conclusion de Minerva

Cette étude contrôlée randomisée, menée en ouvert, montre que le dépistage systématique de la FA chez les personnes âgées de 75-76 ans entraîne une réduction marginalement significative d’un critère de jugement composite combinant AVC ischémique ou hémorragique, thromboembolie systémique, saignement entraînant une hospitalisation (au moins une nuit) et mortalité globale. Il est difficile d’estimer correctement la pertinence clinique de ce résultat car aucune différence n’a pu être établie entre les deux groupes en termes de critères de jugement individuels. On ne dispose pas de données sur les éventuels effets indésirables. L’influence d’un effet de patient en bonne santé doit également être étudiée plus avant. En outre, on ne sait pas encore dans quelle mesure les avantages possibles pour la santé justifient une stratégie de dépistage systématique à grande échelle au vu de son coût économique.

 

 

Références 

  1. Van der Linden MW, Westert GP, De Bakker DH, Schellevis FG. Tweede Nationale Studie naar ziekten en verrichtingen in de huisartspraktijk: klachten en aandoeningen in de bevolking en in de huisartspraktijk. NIVEL/RIVM, 2004. URL: https://www.nivel.nl/nl/publicatie/tweede-nationale-studie-naar-ziekten-en-verrichtingen-de-huisartspraktijk-klachten-en
  2. NHG-standaard Atriumfibrilleren (M79). Gepubliceerd 2017.
  3. Wolf PA, Abbott RD, Kannel WB. Atrial fibrillation as an independent risk factor for stroke: the Framingham Study. Stroke 1991;22:983-8. DOI: 10.1161/01.str.22.8.983
  4. Benjamin EJ, Wolf PA, D’Agostino RB, et al. Impact of atrial fibrillation on the risk of death: the Framingham Heart Study. Circulation 1998;98:946-52. DOI: 10.1161/01.cir.98.10.946
  5. Sudlow M, Rodgers H, Kenny RA, Thomson R. Identification of patients with atrial fibrillation in general practice: a study of screening methods. BMJ 1998;317:327-8. DOI: 10.1136/bmj.317.7154.327
  6. Svennberg E, Friberg L, Frykman V, et al. Clinical outcomes in systematic screening for atrial fibrillation (STROKESTOP): a multicentre, parallel group, unmasked, randomised controlled trial. Lancet 2021;398:1498-1506. DOI: 10.1016/S0140-6736(21)01637-8
  7. Connolly SJ, Eikelboom J, Joyner C, et al. Apixaban in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011;364:806-17. DOI: 10.1056/NEJMoa1007432
  8. Chevalier P. Critères composites : interprétation clinique. MinervaF 2009;8(5):68.
  9. Gudmundsdottir KK, Holmen A, Fredriksson T, et al. Decentralising atrial fibrillation screening to overcome socio- demographic inequalities in uptake in STROKESTOP II. J Med Screen. 2021;28:3-9. DOI: 10.1177/0969141320908316
  10. Gerhard Hindricks, Tatjana Potpara, Nikolaos Dagres, et al. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS): The Task Force for the diagnosis and management of atrial fibrillation of the European Society of Cardiology (ESC) Developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association (EHRA) of the ESC, Eur Heart J 2021;42:373-498. DOI: 10.1093/eurheartj/ehaa612

 

 




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