Revue d'Evidence-Based Medicine



La synthèse comme formation continue



Minerva 2003 Volume 2 Numéro 4 Page 56 - 57

Professions de santé


 

Les résultats d’études scientifiques submergent de vagues de plus en plus hautes et larges les patients, travailleurs dans le monde de la santé et décideurs politiques. Il est de plus en plus évident que nous avons un besoin croissant de synthèse des preuves bâties sur des études.

Les « revues » systématiques ou scientifiques sont des constructions qui, via une synthèse, sont censées apporter une réponse aux nombreuses questions cliniques, mais aussi aux prises en charge des questions qui se posent quotidiennement. Les recommandations ou guidelines sont aussi des produits de synthèse qui estiment des niveaux de preuve existant. Elles complètent, si nécessaire, ceux-ci, par un consensus de préférence multidisciplinaire, basé sur l’expérience, à l’intention des praticiens. À ce jour, ce sont essentiellement les synthèses concernant les preuves d’efficacité d’interventions médicales, principalement médicamenteuses, qui retenaient surtout notre attention. Les fondements, les bases de celles-ci sont les RCTs. Les études randomisées, contrôlées, offrent les meilleures preuves d’efficacité. Bien que cela soit établi et probablement demeurera ainsi, notre demande croissante de synthèse nous laisse aux prises avec des problèmes incontournables. Que faire en l’absence de RCTs, l’efficacité a-t-elle différents visages ? Quelle est l’efficacité des soins par rapport à celle des interventions ? Que faire en l’absence d’études cliniques, mais en présence de résultats de recherche uniquement qualitative ? Tient-on suffisamment compte de la qualité de vie ? Dans notre recherche de bonnes synthèses, nous ne pouvons nous limiter uniquement aux RCTs.D’autres études, par exemple des études qualitatives, doivent être incluses dans notre démarche de recherche.

Notre démarche nous amène à formuler des questions bien différenciées, pratiques et pertinentes : les soins consistent d’ailleurs en plusieurs « interventions » qui peuvent se compléter ou parfois se contrarier. Il devient de plus en plus évident qu’une réponse basée sur les niveaux de preuve est beaucoup plus que le constat que quelque chose est efficace ou non et que l’intervention est donc ou n’est donc pas judicieuse. Quelques aspects, et probablement certains aspects importants même, doivent de plus en plus retenir notre attention : que faire si une intervention est probablement efficace ? Quels facteurs déterminent la réussite plus ou moins importante d’une intervention ? Comment une efficacité peut-elle disparaître ? En d’autres mots, des notions comme celle de risque de fond, risque absolu de la personne à laquelle les soins sont destinés, commencent à retenir notre attention. Ce risque détermine également en grande mesure la pertinence de notre activité de soin.

Dans certains domaines de soins, l’efficacité ne peut être mesurée comme telle, mais seulement estimée qualitativement. Quoique l’approche Cochrane pour les synthèses méthodiques soit une méthode acceptée universellement pour la synthèse basée sur les preuves, d’autres approches existent. Dans un certain nombre de cas, le but de ces synthèses « alternatives » est de rassembler différents types de résultats prouvés, non issus donc de RCTs, dans une synthèse systématique. De plus en plus, les synthèses méthodiques d’efficacité incluent des preuves issues d’études qualitatives ou d’évaluations de processus pour aider à la compréhension de l’hétérogénéité des résultats 1. Les études qualitatives sont également utiles pour la découverte de facteurs favorisant ou défavorisant l’implantation d’une intervention et aussi avoir un aperçu du vécu des personnes qui bénéficient des soins lors de l’intervention.

Depuis quelques années, des méthodes de synthèse des études qualitatives sont explorées. La méta-analyse de RCTs est un des éléments centraux de la méthodologie basée sur les niveaux de preuve (EBM). Comme la recherche qualitative obtient lentement plus de reconnaissance, à côté de la recherche quantitative, le besoin d’élaborer des méthodes de synthèse adéquates dans ce domaine grandit. Il est, bien sûr, impossible d’appliquer les méthodes de la synthèse quantitative aux études qualitatives. Ces dernières études peuvent être rassemblées dans une synthèse narrative, descriptive, mais le but d’une synthèse est davantage de réussir un résumé des connaissances actuelles. Cette synthèse a pour mission d’apporter une innovation conceptuelle basée sur la mise en commun des différents éléments interprétés au mieux 2, 3. Une nouvelle forme de méta-analyse d’études qualitatives est la méta-ethnographie : après une évaluation de la qualité des études qualitatives incluses, ces dernières ayant le même sujet de recherche, la correspondance entre elles est recherchée, puis elles sont interprétées les unes par rapport aux autres et les « traductions » sont rassemblées en une synthèse. Par exemple, les opinions de patients diabétiques sur leur propre maladie et compliance thérapeutique sont synthétisées suivant cette méthodologie. Passionnant, mais guère simple.

Dans cet univers de la synthèse, la Collaboration Cochrane 4 a été mise sur pied en 1992. Elle effectue des synthèses méthodiques (systematic review) de l’efficacité des interventions médicales. La Campbell Collaboration 5 a également vu le jour en 2000. Elle réalise des synthèses méthodiques d’interventions concernant l’éducation, la justice et d’autres domaines sociaux. En février 2003 s’est créé à Londres le très captivant « Joint Cochrane and Campbell Qualitative Methods Group» qui a pour buts, d’une part de développer de nouvelles méthodes de synthèse, et, d’autre part, de permettre une intégration entre ces deux mondes.

Il est évident que nous avons besoin d’une synthèse des preuves. Celle-ci ne peut se limiter aux résultats (par des études quantitatives), mais doit être élargie à tous les aspects des soins, à des questions telle que l’acceptabilité des interventions et aux besoins vécus par les personnes (par des études qualitatives). Faire une synthèse devient un défi permanent et reste un Mont Everest méthodologique.

E. Vermeire

 

Références

  1. Putting effectiveness into context: methodological issues in the synthesis of evidence from diverse study designs. An International Seminar.Windermere (England), January 13-15th 2003.
  2. Britten N, Campbell R, Pope C, et al. Using meta-ethnography to synthesise qualitative research: a worked example. J Health Serv Res Policy 2002;7:209-15.
  3. Campbell R, Pound P, Pope C, et al. Evaluating meta-ethnography: a synthesis of qualitative research on lay experiences of diabetes and diabetes care. Soc Sci Med 2003;56:671-84.
  4. Cochrane Collaboration: www.cochrane.org
  5. Campbell Collaboration: www.campbellcollaboration.org
La synthèse comme formation continue

Auteurs

Vermeire E.
Vakgroep eerstelijns- en interdisciplinaire zorg, Centrum voor Huisartsgeneeskunde, Universiteit Antwerpen
COI :

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