Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention des récidives de diverticulite : la mésalazine non efficace



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 3 Page 29 - 30

Professions de santé


Analyse de
Raskin JB, Kamm MA, Jamal MM, et al. Mesalamine did not prevent recurrent diverticulitis in phase 3 controlled trials. Gastroenterology 2014;147:793-802.


Question clinique
Chez des patients adultes ayant présenté une diverticulite aiguë documentée et guérie, avec au moins 3 diverticules, l’administration de mésalazine à différentes doses (de 1,2 g à 4,8 g par jour) durant 104 semaines, est-elle plus efficace qu’un placebo pour prévenir une récidive ?


Conclusion
Ces deux RCTs au protocole identique et de bonne facture méthodologique globale (hors définition d’une diverticulite par manque de consensus) ne montrent pas de bénéfice d’un traitement prolongé (104 semaines) par mésalazine à différentes doses (de 1,2 g à 4,8 g par jour) en prévention d’une récidive de diverticulite.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le NHG-Standaard concernant la diverticulite n’aborde pas la prévention des récidives. De petites études se sont intéressées à l’efficacité de certains médicaments dont la mésalazine en prévention des symptômes de pathologie diverticulaire colique non compliquée, sans cibler la prévention d’une récidive de diverticulite. Cette RCT nous montre la non efficacité de la mésalazine pour une telle prévention, même à forte dose (4,8 g/jour). Par contre, ce médicament peut occasionner (très rarement) de graves effets indésirables. Il existe donc de bons arguments pour ne pas en recommander l’utilisation dans cette indication.


Prévention des récidives de diverticulite : la mésalazine non efficace

Contexte

La mésalazine (mésalamine), métabolite actif de la sulfasalazine, indiquée pour le traitement de la colite ulcéreuse et de la maladie de Crohn, est parfois utilisée en cas de pathologie diverticulaire colique. Nous ne disposions cependant pas de preuves de son intérêt dans une pathologie diverticulaire symptomatique, ni pour la réduction de la douleur, ni en termes de réduction des complications, faute d’études de bonne qualité (1). Son utilité en prévention de récidive de diverticulite (1/4 à 1/3 des patients) (2) était mal établie, dans de petites études, portant plus sur les symptômes d’une pathologie diverticulaire chronique que sur une diverticulite confirmée, et/ou de qualité méthodologique insuffisante (3).

 

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 590 (PREVENT1) et 592 (PREVENT2) patients âgés d’au moins 18 ans, ayant présenté au moins 1 épisode documenté (CT scan, IRM, échographie, colonoscopie, sigmoïdoscopie ou lavement baryté) de diverticulite aiguë dans les 24 mois précédents, épisode guéri sans chirurgie, au moins 3 diverticules à l’endoscopie, avec une leucocytose et une neutrophilie dans les normes
  • critères d’exclusion : grossesse, antécédent de chirurgie colique (sauf hémorroïdectomie, appendicectomie, résection de polype(s)), diverticulite compliquée (perforation, fistulisation), diverticulose droite uniquement, ulcère peptique actif, pathologie intestinale inflammatoire, syndrome du côlon irritable, endométriose ou dysménorrhée, usage actuel de certains médicaments (biologiques, immunomodulateurs, stéroïdes)
  • caractéristiques des sujets inclus : âge moyen de 56 ans, 53,6% de femmes, prépondérance de sujets en surpoids (39,9%) ou obèses (41,5%), 59,7% avec un seul précédent épisode, avec une médiane de 16,5 (écarts de 0 à 122) semaines depuis l’épisode le plus récent.

 

Protocole d’étude

  • 2 études randomisées, contrôlées versus placebo, en double-aveugle, multicentriques, multinationales, au protocole identique (PREVENT1 et PREVENT2) avec étude dose-réponse
  • traitement par soit mésalazine 1,2 g par jour (n = 145 + 148), soit mésalazine 2,4 g par jour (n = 145 + 148), soit mésalazine 4,8 g par jour (n = 151 + 150), soit placebo (n = 149 + 146) durant 104 semaines ; la mésalazine est administrée par comprimé de 1,2 g + 3 comprimés placebo nécessaires pour un total de 4 comprimés comme dans le groupe placebo.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire d’efficacité : proportion de sujets sans récidive à la semaine 104 ; définition d’une récidive : intervention chirurgicale pour pathologie diverticulaire, CT scan montrant une diverticulite (+ éventuels autres critères, voir discussion)
  • critères de jugement secondaires : délai de récidive et proportion de patients avec recours chirurgical
  • critères de jugement tertiaires : qualité de vie (EQ-5D et Health Utilities Index Version Mark 2 (HUI2)) aux semaines 16, 52, 78 et 104
  • effets indésirables
  • durée de l’étude : 104 semaines
  • 14 visites de suivi en cours d’étude avec examen physique, biologie, anamnèse des symptômes ; CT scan abdominal complet dans les 24 h et biologie en cas de suspicion de diverticulite (compliquée ou non)
  • analyse en ITT (avec au moins une dose de médicament prise).

 

Résultats

  • un résultat pour le critère primaire est obtenu pour 87,3% et 90,5% des patients respectivement (suivi jusqu’à 104 semaines, même en cas d’arrêt de traitement, récidive ou recours chirurgical), mais les arrêts de traitement sont fréquents (intervention jusqu’en fin d’étude pour 36,4% (mésalazine 4,8 g/j) à 52,3% (placebo) dans PREVENT1 et 47,3% (mésalazine 2,4 g/j) à 52,1% (placebo) dans PREVENT2 ; les arrêts de traitement pour effets indésirables sont respectivement de 17,2% et 17,1%
  • critère de jugement primaire : pas de réduction significative de la fréquence des récidives de diverticulite :
    • PREVENT1 : absence de récidive de 53% à 63% pour les patients sous mésalazine versus 65% sous placebo
    • PREVENT2 : absence de récidive de 59% à 69% pour les patients sous mésalazine versus 68% sous placebo
  • critères de jugement secondaires : pas de réduction du délai de récidive, pas de différence pour un recours chirurgical ni pour la qualité de vie
  • « pas de nouvel effet indésirable identifié » selon les auteurs.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que la mésalazine n’est pas supérieure à un placebo pour prévenir la récidive de diverticulite ; elle n’est pas recommandée dans cette indication.

 

Financement de l’étude

Firme Shire Development LLC, impliquée à tous les stades de l’étude sauf dans l’interprétation ultime et la soumission du manuscrit.

 

Conflits d’intérêt des auteurs  

Sur les 9 auteurs, 3 ont reçu des honoraires de la firme à titres divers, 2 sont employés par la firme (+ en possession d’actions de celle-ci) ; les autres auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette RCT présente plusieurs aspects positifs. Le calcul de la puissance d’étude (90%) a été fait avec une hypothèse d’absence de récidive de 75% sous placebo et 90% sous mésalazine à la posologie de 4,8 g/jour, avec un total souhaité de 584 patients par étude, ce qui a été atteint. Notons, par contre, que le taux de récidive sous placebo a été plus élevé que prévu, ce qui aurait pu accentuer l’efficacité relative de la mésalazine… si elle s’était montrée efficace.

La randomisation a été effectuée par blocs générés aléatoirement, avec une stratification initiale par région et par nombre d’épisodes précédents de diverticulite (1 ou >1).

Les patients perdus de vue sont considérés, lors de l’analyse en ITT, comme des échecs thérapeutiques. D’autres analyses de sensibilité ont été faites, avec différentes prises en compte des patients sortis de l’étude (arrêt de traitement mais suivi) ainsi que des études de sous-groupes (régions, nombre d’épisodes précédents, âge, BMI, etc.).

Un problème majeur de cette étude est la valse-hésitation pour le critère de diagnostic de diverticulite : l’ensemble des critères initialement fixés étant réduit à la seule imagerie au CT scan, 6 mois après le début de l’étude. Le critère initial (CT scan + douleur abdominale + leucocytose augmentée de 15%) a ensuite été rétabli 12 mois avant la fin de l’étude… mais la majorité des récidives de diverticulite repose uniquement sur l’imagerie CT scan.

 

Mise en perspective des résultats

Une diverticulite non compliquée est généralement définie par des critères d’exclusion (d’une diverticulite compliquée) plutôt que par des critères d’inclusion bien précis ; certains auteurs préfèrent utiliser les termes de pathologie diverticulaire non compliquée… ce qui est encore moins précis. Les tergiversations des auteurs de l’étude analysée ici, pour fixer les critères de diagnostic de leur étude, illustrent bien l’absence d’un consensus international.

La mésalazine, métabolite actif de la sulfasalazine, indiquée pour le traitement de la colite ulcéreuse et de la maladie de Crohn, est parfois utilisée en cas de pathologie diverticulaire colique. Nous ne disposions cependant pas de preuves de son intérêt dans cette indication, ni pour la réduction de la douleur, ni en termes de réduction des complications, faute d’études de bonne qualité (1). Dans l’analyse réalisée par la revue Minerva d’une RCT de bonne qualité mais de puissance (trop) limitée (4,5), nous avions conclu que celle-ci n’apportait pas de preuves de l’intérêt de l’administration de mésalazine versus placebo durant 6 semaines en cas de pathologie diverticulaire colique douloureuse non compliquée chez des adultes âgés de 45 à 80 ans, en termes de réduction de la douleur. La RCT analysée ici concerne la prévention d’une récidive de diverticulite (au moins 1 épisode dans les 24 mois précédents). Elle ne montre pas de bénéfice de l’administration de différents dosages (élevés) de mésalazine. Nous n’avons pas trouvé d’autre RCT de bonne qualité méthodologique évaluant l’efficacité de la mésalazine en prévention d’une récidive de diverticulite avec documentation imagée des (au moins) 2 épisodes.

 

Effets indésirables

Dans leur résumé d’étude, les auteurs mentionnent une absence de rapport de nouvel effet indésirable identifié. Les effets indésirables rapportés sous traitement sont fréquents (72,5% et 74,1% des patients sous mésalazine, pour 76,2% et 73,9% des patients sous placebo). L’incidence d’effets indésirables sévères ne semble pas différente selon les bras d’étude : 11,2% sous mésalazine et 10,9% sous placebo dans PREVENT1 ; 8,1% sous mésalazine et 10,6% sous placebo dans PREVENT2. Etonnamment, les auteurs mentionnent que les investigateurs ont estimé que tous ces évènements n’étaient pas liés au médicament évalué… tout en rapportant 1 cas d’agranulocytose sous 4,8 g de mésalazine.

Le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) des spécialités contenant de la mésalazine énumère une longue liste d’effets indésirables dont certains sont (très) graves, ce qui est important même s’ils sont très rares (< 1/10 000). Dans la rubrique Précautions, ce RCP mentionne des réactions d'hypersensibilité cardiaque (myocardite et péricardite) induites par la mésalazine, des anomalies sanguines sévères (anémie, anémie aplasique, leucopénie y compris granulocytopénie et neutropénie, thrombocytopénie, agranulocytose et pancytopénie). Des interactions avec certains médicaments augmentent le risque de survenue d’une dyscrasie sanguine.

 

Conclusion de Minerva

Ces deux RCTs au protocole identique et de bonne facture méthodologique globale (hors définition d’une diverticulite par manque de consensus) ne montrent pas de bénéfice d’un traitement prolongé (104 semaines) par mésalazine à différentes doses (de 1,2 g à 4,8 g par jour) en prévention d’une récidive de diverticulite.

 

Pour la pratique

Le NHG-Standaard concernant la diverticulite (6) n’aborde pas la prévention des récidives. De petites études se sont intéressées à l’efficacité de certains médicaments dont la mésalazine en prévention des symptômes de pathologie diverticulaire colique non compliquée, sans cibler la prévention d’une récidive de diverticulite. Cette RCT nous montre la non efficacité de la mésalazine pour une telle prévention, même à forte dose (4,8 g/jour). Par contre, ce médicament peut occasionner (très rarement) de graves effets indésirables. Il existe donc de bons arguments pour ne pas en recommander l’utilisation dans cette indication.

 

 

Noms de marque 

mésalazine : Claversal®, Colitofalk®, Mesalazine Teva®, Pentasa®, Mezavant®, Mesalazine IPS®

 

 

Références 

  1. Humes D, Smith JK, Spiller RC. Colonic diverticular disease. Clinical Evidence. Search date May 2010.
  2. Eglinton T, Nguyen T, Raniga S, et al. Patterns of recurrence in patients with acute diverticulitis. Br J Surg 2010;97:952-7.
  3. Unlü C, Daniels L, Vrouenraets BC, Boermeester MA. Systematic review of medical therapy to prevent recurrent diverticulitis. Int J Colorectal Dis 2012;27:1131-6.
  4. Kruis W, Meier E, Schmacher M, et al; German SAG-20 Study Group. Randomised clinical trial: mesalazine (Salofalk granules) for uncomplicated diverticular disease of the colon – a placebo-controlled study. Aliment Pharmacol Ther 2013;37:680-90.
  5. La Rédaction Minerva. Mésalazine et pathologie diverticulaire colique ? Minerva online 15/02/2014.
  6. Berger MY, De Wit NJ, Vogelenzang R, et al. NHG-Standaard Diverticulitis. Huisarts Wet 2011:54:492-9.

 

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