Revue d'Evidence-Based Medicine



Dépistage du gonocoque et du chlamydia : comment et chez qui ?



Minerva 2015 Volume 14 Numéro 7 Page 83 - 84

Professions de santé


Analyse de
Zakher B, Cantor AG, Pappas M, et al. Screening for gonorrhea and chlamydia: a systematic review for the U.S. Preventive Services Task Force. Ann Intern Med 2014;161:884-93.


Question clinique
Chez quels patient(e)s et au moyen de quels tests diagnostiques, un dépistage d’une infection sexuellement transmissible par chlamydia ou gonocoque est-il prouvé utile en prévention de la transmission et/ou de la survenue de complications ?


Conclusion
Cette mise à jour de précédentes synthèses effectuées par l’U.S. Preventive Services Task Force confirme l’exactitude des tests d’amplification de l’ADN en dépistage d’une infection à chlamydia ou à gonocoque. L’efficacité pratique (utilité) d’un dépistage du gonocoque n’est pas évaluée. Les données (imprécises, par manque de puissance ?) sur l’efficacité pratique d’un dépistage du chlamydia chez des femmes âgées de 16 à 34 ans, asymptomatiques, en termes de prévention de la PID, ne sont pas concordantes.


 

Contexte

Le gonocoque et le chlamydia sont les 2 agents des maladies sexuellement transmissibles les plus fréquentes aux USA (1), tandis qu’en Europe, près de 347000 cas ont été recensés en 2011 dont 75% chez les 15 - 24 ans (2). Une RBP belge datant de 2004 et mise à jour en 2013 (3) recommande un dépistage sélectif du chlamydia en précisant, sur consensus d’experts, la liste des patients à dépister (voir annexe I) par technique d’amplification ADN sur urine de début de miction ou sur prélèvement vaginal. Un guide de pratique européen publié en 2012 (4) propose, sur consensus d’experts, un dépistage du gonocoque chez un public ciblé (voir annexe II) par technique d’amplification ADN sur prélèvement vaginal ou par culture. Sur base de la littérature disponible en 2005, un dépistage du gonocoque était recommandé chez toutes les femmes sexuellement actives, ou enceintes, et à risque accru d’infection (5). En 2007, le dépistage du chlamydia était recommandé chez toutes les femmes sexuellement actives ou enceintes âgées < 25 ans et chez les femmes plus âgées et à haut risque (6). La littérature plus récente invite-t-elle à modifier le public cible et les tests de dépistage ?

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique

Sources consultées

Etudes sélectionnées

  • pour l’efficacité du dépistage : RCTs et études d’observation contrôlées
  • pour la sécurité du dépistage : RCTs et études d’observation contrôlées ou non
  • pour l’exactitude des tests de dépistage : tests disponibles et reconnus aux USA
  • exclusion des publications limitées à un résumé et celles ne rapportant pas les données originales
  • études avec description correcte de la population dépistée, avec groupes comparés, description du programme de dépistage, mesure des résultats
  • pour l’exactitude des tests de dépistage : études rapportant sensibilité et spécificité versus référence fiable ; exclusion des tests réalisés dans un contexte non clinique ou au domicile
  • études publiées en anglais.

Populations étudiées

  • hommes, femmes, adolescents, femmes non enceintes, asymptomatiques, sexuellement actifs, de 16 à 34 ans (varie selon les études).

Mesure des résultats

  • voir tableau (colonne de gauche).

Résultats

  • absence d’étude concernant le dépistage du gonocoque répondant aux critères d’inclusion
  • autres : voir tableau.

 

Tableau. Résultats pour différents critères de précédentes études et d’études analysées dans cette mise à jour ; résultats donnés, si disponibles, en Risque Relatif avec IC à 95%.

 

Etudes de cette mise à jour

Précédentes études

Commentaires

Prévention de la pelvic inflammatory disease (PID) grâce à un dépistage

1 RCT (bonne qualité) : 2529 femmes de 16 à 27 (moyenne 21 ans) ; sur 1 an : PID, 1,3% versus 1,9% ; RR 0,65 (0,34 - 1,22)*

1 RCT (bonne qualité) : 2607 femmes : 18 à 34 ans : RR 0,44 (0,20 - 0,90) ; 1 RCT (qualité pauvre) : 930 étudiantes : RR 0,50 (0,23 - 1,08)

concordance

Efficacité relative de différentes stratégies de dépistage du chlamydia (en fonction de l’âge ou d’autres critères)

1 étude d’observation ; chlamydia ; liste de critères de risque non performante dans une population à haut risque

1 étude d’observation ; chlamydia ; âge de maximum 22 ans = seul critère ≥ précis que des listes plus fournies

pas d’étude avec les 2 tests ni sur intervalle entre dépistages

Précision des tests diagnostiques pour le dépistage du chlamydia/ du gonocoque

10 études ; bonne exactitude des tests amplification ADN

25 études gonocoques ; 33 études chlamydia ; précision haute

concordance ; spécificité ≥ 97% pour les 2 tests amplification ADN

Effets indésirables du dépistage chez l’homme asymptomatique, la femme non enceinte y compris les adolescents

10 études ; bonne exactitude des tests amplification ADN

25 études gonocoques ; 33 études chlamydia

précision haute

concordance

 

 

Faux+

Faux-

gonocoque

≤ 3%

0 - 9%

chlamydia

≤ 3%

0 - 14%

Efficacité du dépistage chez la femme enceinte asymptomatique

aucune

aucune

 

Effets indésirables du dépistage chez la femme enceinte asymptomatique

aucune

aucune

 

* échantillon auto-prélevé ; 79% des cas de PID chez des femmes initialement avec test négatif.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que le dépistage du chlamydia chez la jeune femme peut réduire l’incidence de la pelvic inflammatory disease (PID). Les tests d’amplification de l’ADN sont précis (alias, exacts) pour le diagnostic de la gonorrhée et du chlamydia chez des personnes asymptomatiques.

Financement de l’étude

Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) qui n’est pas intervenue dans la sélection des études, l’évaluation qualitative, la synthèse ou l’élaboration des conclusions.

Conflits d’intérêt des auteurs

4 des 5 auteurs déclarent des liens d’intérêt (autres travaux) avec l’AHRQ.

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La méthodologie de recherche est correcte et bien décrite. Les critères de sélection des études ont été adaptés selon la question de recherche, ce qui est valide pour un dépistage. Les données de chaque étude (dessin, population, groupes comparés, contexte, méthode de dépistage, analyse, suivi, résultats) ont été extraites par un premier chercheur et contrôlées par un second. La qualité méthodologique des études a ensuite été évaluée par 2 investigateurs, indépendamment l’un de l’autre, selon des critères préspécifiés et validés par l’USPSTF. Deux évaluateurs ont ensuite évalué la validité interne (qualité) des preuves apportées par les nouvelles études : nombre d’études, qualité, taille des populations, concordance des résultats, extrapolabilité des résultats. Un biais de langue aurait pu être évoqué mais les auteurs affirment n’avoir pas trouvé d’article non publié en anglais et correspondant à leurs critères de sélection.

Une méta-analyse n’a pu être faite au vu des limites méthodologiques des études, de l’hétérogénéité des protocoles d’étude, des interventions, des populations et d’autres facteurs. Au vu des modifications des processus de travail, une intégration possible des nouvelles données avec celles qui étaient plus anciennes s’est révélée limitée.

Mise en perspective des résultats

La littérature actuelle n’apporte pas de données permettant de déterminer l’efficacité clinique (utilité) d’un dépistage du gonocoque dans les différents groupes de population cibles ni de l’intérêt d’un dépistage du chlamydia chez l’homme, chez la femme enceinte et chez les adolescents spécifiquement, ni de l’efficacité clinique de stratégies de dépistage, ni des effets indésirables d’un dépistage indépendamment de l’exactitude des tests.

Pour l’évaluation de l’utilité d’un dépistage du chlamydia en prévention de la PID, la nouvelle RCT (7) incluse dans cette synthèse ne montre pas d’efficacité statistiquement significative. Cette étude manque probablement de puissance : le recrutement a été difficile, environ ¼ des participantes ne répondaient pas strictement aux critères pour un dépistage selon le protocole initial. Le fait que, sur un an, 79% des cas de PID sont survenus chez des femmes initialement avec test négatif suggère qu’un dépistage plus fréquent pourrait être instauré, par exemple en cas de nouveau partenaire. Ceci reste à évaluer. Les auteurs mentionnent aussi les résultats de 3 études de cohorte, non incluses dans leur synthèse, ne montrant pas d’efficacité clinique d’un dépistage. La conclusion des auteurs selon laquelle un dépistage du chlamydia chez les jeunes femmes peut réduire l’incidence de PID devrait donc être au conditionnel.

Aucune nouvelle étude n’apporte d’élément utile pour mieux cibler la population à dépister pour le chlamydia. Les femmes plus jeunes restent la population cible préférentielle. Les consensus diffèrent selon les pays. Etant donné l’inclusion de femmes âgées de 18 à 34 ans dans la seule RCT ayant montré une efficacité pratique du dépistage en prévention de la PID, la proposition d’une limite de 35 ans faite dans la RBP belge est justifiable.

L’exactitude des tests d’amplification ADN, tant pour le gonocoque que pour le chlamydia est confirmée, avec une spécificité d’au moins 97% (et une sensibilité d’au moins 85%) en dépistage chez des femmes asymptomatiques, pour les études sans limite méthodologique majeure. Soulignons que la prévalence de l’infection dans ces populations d’étude est élevée, ce qui peut influencer la précision du test (8). Les auteurs ne mentionnent pas explicitement l’exactitude de tests sur prélèvements non réalisés par le médecin mais par la femme elle-même. Dans la revue Minerva, nous avions analysé une étude diagnostique (9) montrant la validité d’un frottis vaginal effectué par la femme elle-même versus échantillon prélevé par le médecin pour le diagnostic d’une infection à chlamydia au moyen d’une technique d’amplification de l’ADN, validité confirmée par d’autres études (10).

Les études incluses n’apportent pas de renseignements au sujet des effets indésirables du dépistage. D’autres études, sans groupe comparateur, signalent une anxiété accrue et des ruptures de partenariat chez les sujets avec test positif pour le chlamydia (11,12).

 

Conclusion de Minerva

Cette mise à jour de précédentes synthèses effectuées par l’U.S. Preventive Services Task Force confirme l’exactitude des tests d’amplification de l’ADN en dépistage d’une infection à chlamydia ou à gonocoque. L’efficacité pratique (utilité) d’un dépistage du gonocoque n’est pas évaluée. Les données (imprécises, par manque de puissance ?) sur l’efficacité pratique d’un dépistage du chlamydia chez des femmes âgées de 16 à 34 ans, asymptomatiques, en termes de prévention de la PID, ne sont pas concordantes.

 

Pour la pratique

La RBP belge mise à jour en 2013 (3) recommande, sur base d’un consensus, d’effectuer un dépistage du chlamydia chez les patientes âgées < 35 ans avec plus d’un partenaire au cours de la dernière année ou avec un partenaire récent (< 6 mois), chez les femmes chez lesquelles une interruption de grossesse est planifiée ou présentant au moins un des facteurs de risque décrits (voir annexe I), et chez les hommes présentant une dysurie ou des plaintes d’urétrite. Elle insiste sur l’intérêt des tests d’amplification de l’ADN, pour le chlamydia comme pour le gonocoque. La présente synthèse de la littérature confirme que ces recommandations (comme d’autres à l’étranger) reposent sur un consensus d’experts et non sur des preuves solides dans la littérature, sauf pour la (très) bonne exactitude des tests d’amplification de l’ADN (dans un contexte de prévalence élevée pour le chlamydia).

 

Références 

  1. Centers for Disease Control and Prevention. 2013 sexually transmitted diseases surveillance. Accessed at http://www.cdc.gov/std/stats13/surv2013-print.pdf.
  2. European Centre for Disease Prevention and Control. Annual epidemiological report on communicable diseases in Europe. Site consulté le 17/07/2015.
  3. Verhoeven V, Avonts D, Peremans L, et al. Actieve opsporing van Chlamydia trachomatis in de huisartsenpraktijk. Huisarts Nu 2004;33:182-98 + Verhoeven V. Opvolgrapport. Actieve opsporing van Chlamydia trachomatis in de huisartsenpraktijk. Augustus 2013.
  4. Bignell C, Unemo M. 2012 European guideline on the diagnosis and treatment of gonorrhoea in adults. Revision date: 1 November 2012.
  5. U.S. Preventive Services Task Force. Screening for gonorrhea: recommendation statement. Ann Fam Med 2005;3:263-7.
  6. LeFevre ML; U.S. Preventive Services Task Force. Screening for chlamydial infection: U.S. Preventive Services Task Force recommendation statement. Ann Intern Med 2007;147:128-34.
  7. Oakeshott P, Kerry S, Aghaizu A, et al. Randomised controlled trial of screening for Chlamydia trachomatis to prevent pelvic inflammatory disease: the POPI (Prevention of Pelvic Infection) trial. BMJ 2010;340:c1642.
  8. Chevalier P. Précision d’un test diagnostique et prévalence. MinervaF 2011;10(4):51.
  9. Schoeman SA, Stewart CM, Booth RA, et al. Assessment of best single sample for finding chlamydia in women with and without symptoms: a diagnostic test study. BMJ 2012;345:e8013.
  10. Verhoeven V. Infection à Chlamydia : écouvillon prélevé par le médecin ou par la femme elle-même ? MinervaF 2013;12(10):125–6.
  11. Gottlieb SL, Stoner BP, Zaidi AA, et al. A prospective study of the psychosocial impact of a positive Chlamydia trachomatis laboratory test. Sex Transm Dis 2011;38:1004-11.
  12. Kangas I, Andersen B, Olesen F, et al. Psychosocial impact of Chlamydia trachomatis testing in general practice. Br J Gen Pract 2006;56:587-93.

 

Annexe I

Liste des personnes chez lesquelles un dépistage du chlamydia est indiqué (consensus, niveau de preuve 3) :

  • femmes âgées < 35 ans avec plus d’un partenaire sur la dernière année ou avec un partenaire récent (< 6 mois)
  • femmes chez lesquelles une interruption de grossesse est planifiée
  • femmes présentant au moins un des facteurs de risque suivant :
    • plainte de perte de sang post-coïtale ou intermenstruelle
    • dysurie ne disparaissant pas après un traitement classique de cystite
    • avec partenaire présentant des plaintes urinaires
  • hommes présentant une dysurie ou des plaintes d’urétrite.

Source : Verhoeven V, Avonts D, Peremans L, et al. Actieve opsporing van Chlamydia trachomatis in de huisartsenpraktijk. Huisarts Nu 2004;33:182-98 + Verhoeven V. Opvolgrapport. Actieve opsporing van Chlamydia trachomatis in de huisartsenpraktijk. Augustus 2013.

 

Annexe II

Indications pour une recherche du gonocoque (consensus) :

  • symptômes ou signes d’écoulement urétral chez l’homme
  • pertes vaginales avec risque d’IST (âge < 30 ans, nouveau partenaire)
  • cervicite mucopurulente
  • personne atteinte d’une autre IST
  • partenaire d’une personne présentant une IST ou une pelvic inflammatory disease (PID)
  • orchi-épididymite aiguë chez un homme < 40 ans
  • PID aiguë
  • dépistage IST chez de jeunes adultes (< 25 ans)
  • dépistage chez des personnes avec un récent ou de multiples partenaires
  • conjonctivite purulente chez un nouveau-né ou chez un adulte
  • mère d’un nouveau-né présentant une ophtalmie.

Source : Bignell C, Unemo M. 2012 European guideline on the diagnosis and Treatment of gonorrhoea in adults. Revision date: 1 November 2012.

 

 




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