Revue d'Evidence-Based Medicine



Les isoflavones de soja diminuent-elles la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur pendant la périménopause et la ménopause ?



Minerva 2012 Volume 11 Numéro 9 Page 110 - 111

Professions de santé


Analyse de
Taku K, Melby MK, Kronenberg F, et al. Extracted or synthesized soybean isoflavones reduce menopausal hot flash frequency and severity: systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Menopause 2012;19:776-90.


Question clinique
Quel est l’effet des isoflavones de soja, comparées à un placebo, sur le nombre et l’intensité des bouffées de chaleur pendant la périménopause et la ménopause ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique, de bonne qualité méthodologique, mais se basant sur des études très hétérogènes, montre que les isoflavones de soja diminuent de manière significative la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur par comparaison avec un placebo. L’effet de cette intervention dépend de sa durée et de la dose utilisée. D’autres études sont nécessaires pour évaluer les effets indésirables et la sécurité sur le long terme. Aussi longtemps que la sécurité n’est pas démontrée, les isoflavones de soja sont provisoirement déconseillées chez les femmes présentant un risque augmenté de cancer du sein.


 

 

Contexte

Pour diminuer la fréquence des bouffées de chaleur pendant la périménopause et la ménopause, on a longtemps conseillé un traitement hormonal substitutif par prise cyclique ou continue d’œstrogènes seuls ou d’une pilule combinée. Mais après la publication d’études pointant des effets indésirables néfastes, tels qu’un infarctus du myocarde, des AVC, des embolies pulmonaires et des cancers du sein (1-4), les guides de bonne pratique préconisent aujourd’hui de prendre le traitement hormonal substitutif le moins longtemps possible et à la dose la plus faible (4,5). C’est pourquoi les traitements alternatifs des bouffées de chaleur ont été l’objet d’un intérêt croissant. De nombreuses recherches ont ainsi évalué l’effet des produits de soja et des isoflavones de soja sur la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur. Les synthèses méthodiques et méta-analyses existantes ont montré une tendance positive, mais, trop hétérogènes, elles n’ont pas permis de tirer des conclusions définitives.

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique et méta-analyse

 

Sources consultées

  • PubMed, Cochrane Controlled Clinical Trials Register Database jusqu’au 14 décembre 2010 inclus
  • listes des références des synthèses méthodiques pertinentes et des études incluses
  • contact avec des chercheurs pour tracer les études complémentaires non publiées.

Études sélectionnées

  • inclusion de 19 RCTs dans la synthèse méthodique et de 17 RCTs dans la méta-analyse (sur 277 publications potentiellement pertinentes)
  • critères d’inclusion :
    • femme présentant des bouffées de chaleur, pendant la périménopause et la ménopause
    • évaluation des isoflavones de soja ou d’isoflavones de soja synthétisées par voie chimique, administrées à une dose clairement mentionnée
    • inclusion d’au moins un groupe témoin recevant un placebo ayant le même aspect et le même goût que le produit contenant les isoflavones
    • rapport de l’effet sur la fréquence et sur l’intensité ou sous forme de score composite des bouffées de chaleur comme symptôme isolé (fréquence x intensité)
    • études en groupes parallèles ou études avec permutation
    • publication en anglais, en chinois ou en japonais
  • critères d’exclusion :
    • traitement(s) concomitant(s) ayant un effet sur les bouffées de chaleur (œstrogènes, phyto-œstrogènes...) dans le groupe d’intervention et/ou dans le groupe témoin
    • rapport d’un score total uniquement, sur les échelles ou sous-échelles d’évaluation de la ménopause
    • risque de persistance de l’effet lors du changement de traitement dans les études en permutation.

Population étudiée

  • plus de 3 000 femmes péri- ou postménopausiques, dans dix pays ; âge moyen : 54 ans (29-70) ; y compris les femmes ayant un cancer du sein.

 

Mesure des résultats

  • différence entre les isoflavones de soja et le placebo, exprimée par la diminution en pourcentage de la fréquence et de l’intensité des bouffées de chaleur par rapport aux valeurs initiales 
  • nombre de bouffées de chaleur, consigné par les participantes dans un journal
  • intensité des bouffées de chaleur, évaluée par les participantes au moyen de différentes échelles d’intensité 
  • méta-analyse basée sur les données en intention de traiter des différentes études
  • en complément : analyses de sensibilité et analyses en sous-groupes.

 

Résultats

  • fréquence des bouffées de chaleur (N=13) : diminution de 20,62% du nombre de bouffées de chaleur (IC à 95% de -28,38 à -12,86 ; I² 67%) avec les isoflavones de soja par rapport au placebo après une prise médiane de 54 mg par jour pendant six semaines à douze mois
  • intensité des bouffées de chaleur (N=9) : diminution de 26,2% de la sévérité des bouffées de chaleur (IC à 95% de -42,23 à -10,15 ; I² 86%) avec les isoflavones de soja par rapport au placebo après une prise médiane de 54 mg par jour pendant six semaines à douze mois
  • une dose plus élevée en génistéine (>18,8 mg par jour) a permis, par rapport à une dose plus faible, de diminuer de moitié la fréquence des bouffées de chaleur (p=0,03)
  • il y a eu trois fois moins de bouffées de chaleur avec une prise prolongée (>12 semaines) (p<0,006).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs ont conclu que les isoflavones de soja sont significativement plus efficaces que le placebo pour diminuer la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur. D'autres études sont néanmoins nécessaires pour connaître l’influence d’une série complexe de facteurs, tels que la dose et la forme d’administration, la fréquence initiale des bouffées de chaleur et la durée du traitement.

 

Financement

Non mentionné.

 

Conflits d’intérêt

Deux des cinq auteurs sont activement impliqués dans le Soy Nutrition Institute (États-Unis), l’un d’eux faisant régulièrement de la consultance pour des produits de soja et/ou des suppléments de soja.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

La qualité méthodologique de cette synthèse méthodique avec méta-analyse est bonne. Les auteurs ont effectué une recherche approfondie dans la littérature, et ont également consulté d’autres sources. Les deux funnel plots se rapportant aux critères de jugement n’ont pas montré de biais de publication. Le cas échéant, les auteurs ont contacté les chercheurs des études originales pour obtenir un complément d’informations.

L’inclusion des études pertinentes et l’extraction des données ont été réalisées par au moins deux auteurs, indépendamment l’un de l’autre. Contrairement aux synthèses méthodiques antérieures, ils n’ont inclus que les études portant sur les isoflavones du soja. Malgré ce critère de sélection, l’hétérogénéité des études demeure cependant importante.

Pour exprimer la qualité méthodologique des études incluses, les auteurs ont utilisé des codes (A à C). Mais l’utilisation d’un code alphabétique reflétant la qualité méthodologique d’une recherche est peu transparente et n’est plus considérée comme correcte (6). Le secret de l’attribution n’était adéquat que dans huit études seulement. D’après les analyses de sensibilité enregistrées au préalable, la qualité méthodologique n’avait pas d’influence sur les résultats de la méta-analyse. En plus des analyses de sensibilité, des analyses en sous-groupes ont été effectuées a priori pour connaître les facteurs permettant d’expliquer l’écart entre les résultats des différentes études.

 

Interprétation des résultats

Il ressort de cette méta-analyse que les isoflavones de soja sont plus efficaces que le placebo pour soulager les bouffées de chaleur. Dans le groupe placebo, la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur ont toutefois également diminué, respectivement de 29,62% et de 21,41%. Cette méta-analyse montre une fois de plus que, dans le traitement des bouffées de chaleur, l’effet placebo est important.

Les résultats des études incluses varient grandement, tant en ce qui concerne la fréquence des bouffées de chaleur que leur intensité. Les analyses en sous-groupes montrent que cette variation résulte de la forte hétérogénéité des études quant à leur durée (6 à 12 semaines) et quant à la dose d’isoflavones de soja administrée. À une dose plus élevée en génistéine, qui est le principe actif des isoflavones du soja, l’effet s’est avéré environ 50 à 200% plus important, alors que l’efficacité a triplé avec un traitement prolongé (>12 semaines). En Belgique, deux médicaments à base d’isoflavones de soja sont enregistrés et commercialisés. Une capsule du médicament contient une dose de 100 mg d’isoflavones de soja, contrairement à la dose maximale autorisée de 40 mg d’isoflavones de soja par jour (40 fois plus que la consommation quotidienne normale) pour un supplément alimentaire. L’influence d’autres facteurs, comme le métabolisme de la femme, n’a pu être identifiée en raison du manque d’études. Grâce à une autre étude, on sait par exemple que la transformation des isoflavones de soja en équol, molécule très proche de l’œstradiol, se produit seulement chez une femme sur trois (7).

En l’absence de critères de jugement dichotomiques (par exemple diminution d’au moins 50% du nombre de bouffées de chaleur), il est également difficile d’interpréter la pertinence clinique des effets obtenus. Les études ne disent rien de l’influence d’une diminution de la fréquence et de l’intensité des bouffées de chaleur sur la qualité de vie des femmes.

Les effets indésirables, eux non plus, ne sont pas répertoriés. Une revue Cochrane a montré que le soja s’accompagne d’une augmentation des effets secondaires gastro-intestinaux (8). Une prise prolongée d’isoflavones de soja (>5 ans) pourrait également entraîner une hyperplasie endométriale (9). L’effet des phyto-œstrogènes sur l’incidence du cancer du sein n’est pas démontré (10) ; d’autres études sont nécessaires.

 

Autres études

Depuis la première étude clinique, menée en 1995, plus de cinquante nouvelles études évaluant l’effet des produits de soja et des isoflavones de soja sur les bouffées de chaleur ont été publiées. En plus des études contrôlées par placebo, il existe également des études menées avec un groupe témoin recevant un principe actif. Un RCT mené par Carmignani et coll. comptant 60 personnes saines a montré que la prise d’isoflavones de soja diminuait les bouffées de chaleur de manière tout aussi efficace que l’hormonothérapie (par œstradiol et acétate de noréthistérone) (11).

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a conclu que les preuves sont insuffisantes pour montrer l’existence d’une relation de cause à effet entre la consommation d’isoflavones de soja et la diminution des symptômes vasomoteurs associés à la ménopause (12). La conclusion de ce groupe consensuel repose sur les résultats de douze études d’intervention. La synthèse méthodique commentée plus haut en a exclu trois parce que le produit administré contenait des protéines de soja ou produits de soja et non des extraits d’isoflavones.

En 2009, une brève analyse de Minerva a mentionné que la prise d’isoflavones de soja (contre l’ostéoporose) entraînait une augmentation des bouffées de chaleur et des plaintes gastro-intestinales (13). Mais dans cette étude, les « bouffées de chaleur » étaient plutôt un critère de jugement secondaire, tandis que la puissance de l’étude n’était peut-être pas suffisante pour permettre de tirer des conclusions à propos du nombre des bouffées de chaleur.

Auparavant, Minerva avait déjà exploré d’autres traitements non hormonaux des bouffées de chaleur. Il s’avère que, sur le long terme, on ne dispose pas de preuves suffisantes concernant l’effet de l’actée à grappe noire (14) et des ISRS (paroxétine, venlafaxine et fluoxétine) (15) comme traitement des bouffées de chaleur.

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique, de bonne qualité méthodologique, mais se basant sur des études très hétérogènes, montre que les isoflavones de soja diminuent de manière significative la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur par comparaison avec un placebo. L’effet de cette intervention dépend de sa durée et de la dose utilisée. D’autres études sont nécessaires pour évaluer les effets indésirables et la sécurité sur le long terme. Aussi longtemps que la sécurité n’est pas démontrée, les isoflavones de soja sont provisoirement déconseillées chez les femmes présentant un risque augmenté de cancer du sein.

 

Pour la pratique

Après exclusion d’autres étiologies des symptômes vasomoteurs (comme l’hyperthyroïdie, un sevrage ou médicaments), on peut, chez les femmes à partir de l’âge de 45 ans, d’abord  proposer quelques mesures simples, telles que le port de couches successives de vêtements, une diminution de la température ambiante et des exercices respiratoires (11). Les guides de bonne pratique ne recommandent pas la prise de isoflavones de soja (5,11), d’une part en raison de l’absence de données probantes concernant l’effet (escompté) sur le long terme (>12 mois) et, d’autre part, en raison d’effets indésirables éventuellement néfastes encore insuffisamment connus. On n’envisagera pas la prescription d’isoflavones de soja aux femmes chez qui le traitement hormonal substitutif est contre-indiqué en raison d’antécédents personnels ou familiaux de cancer hormono-dépendant (du sein, de l’utérus ou des ovaires) ou d’affection thromboembolique ou cardiovasculaire.

 

 

Références

  1. Grady D, Herrington D, Bittner V, et al; HERS Research Group. Cardiovascular disease outcomes during 6.8 years of hormone therapy: Heart and Estrogen/progestin Replacement Study follow-up (HERS II). JAMA 2002;288:49-57.
  2. Rossouw JE, Anderson GL, Prentice RL, et al; Writing Group for the Women's Health Initiative Investigators. Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women: principal results from the Women’s Health Initiative randomized controlled trial. JAMA 2002;288:321-333.
  3. Beral V; Million Women Study Collaborators. Breast cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet 2003;362:419-427.
  4. Lemiengre M. Hormonale substitutie: het einde van een illusie? [Editoriaal] Minerva 2002;31(7):358-62.
  5. Bouma J, de Jonge M, de Laat E, et al. NHG-Standaard De overgang (eerste herziening).
  6. Chevalier P. Qualité méthodologique et biais dans les RCTs. MinervaF 2010;9(6):76.
  7. Bolca S, Possemiers S, Herregat A, et al. Microbial and dietary factors are associated with the equol producer phenotype in healthy postmenopausal women. J Nutr 2007;137:2242-6.
  8. Lethaby AE, Brown J, Marjoribanks J, et al. Phytoestrogens for vasomotor menopausal symptoms. Cochrane Database Syst Rev 2007, Issue 4.
  9. Unfer V, Casini ML, Costabile L, et al. Endometrial effects of long-term treatment with phytoestrogens: a randomized, double-blind, placebo-controlled study. Fertil Steril 2004;82:145-8.
  10. Tempfer CB, Froese G, Heinze G, et al. Side effects of phytoestrogens: a meta-analysis of randomized trials. Am J Med 2009;122:939-46.
  11. Carmignani LO, Pedro AO, Costa-Paiva LH, Pinto-Neto AM. The effect of dietary soy supplementation compared to estrogen and placebo on menopausal symptoms: a randomized controlled trial. Maturitas 2010;67:262-9.
  12. EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies (NDA). Scientific Opinion on the substantiation of health claims related to soy isoflavones and protection of DNA, proteins and lipids from oxidative damage (ID 1286, 4245), maintenance of normal blood LDL-cholesterol concentrations (ID 1135, 1704a, 3093a), reduction of vasomotor symptoms associated with menopause (ID 1654, 1704b, 2140, 3093b, 3154, 3590), maintenance of normal skin tonicity (ID 1704a), contribution to normal hair growth (ID 1704a, 4254), “cardiovascular health” (ID 3587), treatment of prostate cancer (ID 3588) and “upper respiratory tract” (ID 3589) pursuant to Article 13(1) of Regulation (EC) No 1924/2006. EFSA Journal 2011;9:2264.
  13. Michiels B. Isoflavones et ménopause. Minerva online 28/03/2012.
  14. Laekeman G. Actée à grappe noire et ménopause. MinervaF 2009;8(3):35.
  15. De Meyere M. Sertraline : non efficace pour les bouffées de chaleur. MinervaF 2008;7(6):96.
Les isoflavones de soja diminuent-elles la fréquence et l’intensité des bouffées de chaleur pendant la périménopause et la ménopause ?



Ajoutez un commentaire

Commentaires