Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention des caries dentaires chez les enfants de moins de 5 ans



Minerva 2014 Volume 13 Numéro 5 Page 62 - 63

Professions de santé


Analyse de
Chou R, Cantor A, Zakher B, et al. Preventing dental caries in children <5 years: systematic review updating USPSTF recommendation. Pediatrics 2013;132:332-50.


Question clinique
Chez des enfants âgés de moins de 5 ans, quels sont l’efficacité préventive pour les caries dentaires et les inconvénients d’un dépistage par un praticien de première ligne ? Quelles sont l’efficacité et la sécurité des traitements préventifs proposés ?


Conclusion
Cette mise à jour d’une synthèse de la littérature effectuée en 2004 confirme l’intérêt du fluor en application locale sous la forme de vernis et en apport alimentaire. Elle fait l’impasse sur les dentifrices fluorés, d’efficacité prouvée. Elle ne peut apporter de preuves ni de l’intérêt du xylitol, ni d’un dépistage en première ligne, ni d’interventions éducatives.


 

 


Texte sous la responsabilité de la rédaction francophone

 

Contexte

Les caries dentaires sont actuellement considérées comme un processus infectieux causant la destruction de l’émail dentaire (1). Les caries chez les jeunes enfants sont associées à des épisodes douloureux, des pertes dentaires, une détérioration de la qualité de vie avec retentissements possibles sur la croissance, la prise de poids, le langage et l’estime de soi (2). L’évaluation des recommandations en matière préventive s’est surtout focalisée sur les différentes interventions préventives possibles (3).

Une supplémentation systématique en fluor a été remise en question fin des années 90 (4). Une mise à jour de la synthèse de la littérature (réalisée en 2004 par l’US Preventive Services Task Force Recommendation concernant l’intérêt à la fois d’un dépistage systématique et des différents traitements préventifs était la bienvenue.

 

 

Résumé

 

Méthodologie

Synthèse méthodique sans méta-analyse

Sources consultées

  • bases de données consultées : MEDLINE (via Ovid de janvier 1999 à mars 2013), Cochrane Library Database (début 2013)
  • consultation des listes de référence.

 

Etudes sélectionnées

  • RCTs, études contrôlées non randomisées, études de cohorte, études d’observation pour le risque de fluorose de l’émail, interventions communautaires
  • études publiées in extenso et en anglais, avec données originales
  • études de dépistage ou de diagnostic en première ligne de soins, de traitement préventif en première ligne de soins ou non si pouvant être administré sans expérience approfondie en dentisterie
  • inclusion de 20 études.

 

Population étudiée

  • enfants < 5 ans
  • traitements préventifs évalués : éducation par les parents ou les soignants, référence au dentiste par un clinicien de première ligne, traitements préventifs (supplément alimentaire de fluor, vernis fluoré, xylitol).

 

Mesure des résultats

Entre autres :

  • bénéfice et risque du dépistage par le clinicien de première ligne
  • précision de l’examen de la bouche fait par un non dentiste
  • efficacité de traitements préventifs
  • risque de fluorose dentaire.

 

Résultats

  • bénéfice et risque du dépistage pour les enfants < 5 ans : pas de publication
  • précision de l’examen de la bouche (enfants < 3 ans) :
    • versus dentiste pédiatrique, un examen par un pédiatre de première ligne a une sensibilité de 0,76 pour identifier ≥ 1 cavité et de 0,63 pour identifier une référence dentaire nécessaire, avec des spécificités respectivement de 0,95 et 0,98 (1 étude)
    • un examen par un pédiatre avec formation de 4 heures a une sensibilité de 1,0 et une spécificité de 0,87 pour identifier des caries à soigner (1 étude)
  • efficacité d’une éducation pour la santé orale : pas d’étude spécifique de bonne qualité ; uniquement études de moins bonne qualité avec éducation associée à d’autres interventions
  • efficacité d’une référence par le médecin de première ligne chez le dentiste : pas d’étude prospective
  • efficacité de traitements préventifs :
    • suppléments alimentaires de fluor : dans des régions avec fluorisation des eaux de distribution < 0,6 ppm, incidence de caries diminuée de façon variable (48 % à 72 % pour les dents primaires) ; pour une fluorisation des eaux de distribution < 0,1 ppm, incidence de caries diminuée selon la forme d’administration (de 52 % à 72 % pour les dents primaires) ; un suivi jusqu’à l’âge de 7 à 10 ans montre une incidence de caries réduite de 33 à 80 %
    • vernis fluoré appliqué tous les 6 mois : 3 études plus récentes montrent une diminution de l’incidence de caries après 2 ans, significative dans 2 études, de 24 % à 59 % ; la précédente synthèse (USPSTF 2004) montrait une réduction d’incidence de caries de 37 à 63 %
    • xylitol : résultats non concordants de 5 études (4 RCTs, 1 étude non randomisée)
  • risque de fluorose dentaire : association confirmée d’une fluorose de l’émail avec une administration de fluor dans la première enfance : OR de 10,8 (avec IC à 95 % de 1,9 à 62,0) pour une prise dans les 2 premières années de vie, à faible (OR de 1,1 à 1,7) dans d’autres études rétrospectives, ce qui rejoint les chiffres de la précédente recherche (OR de 1,3 à 10,7).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’il n’y a pas de preuve directe qu’un dépistage fait par des cliniciens de soins primaires réduise les caries dans la prime enfance. Les preuves précédemment trouvées par l’US Preventive Services Task Force étayaient l’efficacité d’une supplémentation en fluor oral en termes de réduction de l’incidence des caries ; de nouvelles preuves montrent l’efficacité d’un vernis fluoré chez des enfants à haut risque.

 

Financement de l’étude

Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) pour le US Preventive Task Force (USPSTF).

 

Conflit d’intérêt des auteurs 

Déclaration des auteurs d’absence de conflits pour cet article.

 

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

Cette mise à jour d’une recherche dans la littérature effectuée en 2004 est relativement décevante. Les auteurs incluent différents types d’études (avec des niveaux de preuve différents). Ils évaluent cependant la qualité méthodologique des études selon des critères établis (ceux de l’USPSTF) et la mentionnent avec les résultats. Ils déclarent ne pas avoir tenté de méta-analyse au vu des insuffisances méthodologiques des études et des différences entre études au niveau dessin, interventions, populations incluses et autres facteurs. Le nombre d’études est faible malgré la fréquence du problème (et le coût des caries) et malgré les objectifs élargis de cette recherche (efficacité de l’éducation à la santé buccale, de la référence chez le dentiste, des traitements préventifs).

 

Interprétation des résultats

Certaines interventions actuellement proposées ne sont pas reprises dans cette synthèse, comme par exemple les scellements de sillons. Cette intervention ne concerne en effet pas les enfants de moins de 5 ans puisqu’il s’agit des molaires. Chez les enfants âgés de moins de 5 ans, cette synthèse de la littérature nous apporte peu d’éléments neufs : au point de vue dépistage en première ligne de soins, absence d’études ; pour le traitement préventif, en plus des dentifrices fluorés, l’application d’un vernis fluoré s’est également montrée efficace, l’intérêt du xylitol n’étant toujours pas prouvé. Les auteurs font l’impasse sur les dentifrices fluorés dans cette mise à jour (non repris dans les questions de recherche), leur efficacité étant reconnue. Les études d’efficacité prospectives n’apportent pas de renseignement valide concernant la toxicité potentielle du fluor dans cette tranche d’âge, mais les études rétrospectives confirment un risque de fluorose.

 

La fluorose dentaire

En cas de surdosage en fluor lors de la minéralisation des dents (à partir du troisième mois de vie in utero jusqu’à l’âge de 12 ans), des lésions irréversibles peuvent apparaitre sur l’émail dentaire (stries horizontales blanchâtres). Dans les cas plus sévères, des taches opaques et blanchâtres ou même colorées peuvent apparaitre, avec des zones d’érosion ou de perte de substance. Une intoxication au fluor provoque des troubles digestifs et cardiorespiratoires (5). Chez les petits enfants, le fluor est toxique à partir d’une dose de 5 mg/kg. Un dentifrice fluoré contenant de 0,10 % (1 000 ppm) à 0,15 % (1 500 ppm) de fluor ne devrait pas être utilisé chez les enfants de moins de 6 ans, sauf en très petite quantité (taille d’un petit pois par jour, mention légalement obligatoire depuis l’Arrêté Royal du 3 février 2010) et après bilan des apports fluorés (sel fluoré, eau de boisson).

« En Belgique, la consommation d’eau de distribution (eau du robinet) ou d’eau en bouteille ne comporte pas de risque pour la santé humaine pour autant que les critères relatifs à la composition et à l’étiquetage arrêtés par les autorités soient respectés. » (6).

 

Autres études

Des méta-analyses ont été publiées mais elles concernent une population plus large (enfants et adolescents).

Une synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration comparant plusieurs modalités d’application locale de fluor (7) montre une efficacité semblable des dentifrices, bains de bouche et gels pour la prévention des caries dentaires chez l’enfant. Aucune conclusion n’est possible pour déterminer une supériorité entre vernis et gels ou entre bains de bouche et gels. Le traitement le mieux accepté est probablement le dentifrice. Faute de données, les études ne permettent pas d’évaluer les effets indésirables.

Une deuxième synthèse de la Cochrane Collaboration (8) confirme l’intérêt des dentifrices fluorés pour la prévention des caries chez l’enfant et l’adolescent mais avec une concentration minimale en fluor de 1000 ppm, l’efficacité préventive étant aussi plus grande avec des concentrations plus fortes. Chez des enfants âgés de moins de 6 ans la concentration doit être choisie en fonction du risque de fluorose.

Une dernière synthèse méthodique de la Cochrane Collaboration, plus récente (9), évalue l’efficacité de l’application d’un vernis fluoré chez les enfants et les adolescents : les 22 RCTs ou études contrôlées quasi-randomisées suggèrent que cette application réduit l’incidence de caries sur les dents primaires ou permanentes mais la qualité des preuves est modérée, avec souvent un risque élevé de biais et avec une hétérogénéité très importante (I2 de 75 % ou 59 %).

 

Conclusion de Minerva

Cette mise à jour d’une synthèse de la littérature effectuée en 2004 confirme l’intérêt du fluor en application locale sous la forme de vernis et en apport alimentaire. Elle fait l’impasse sur les dentifrices fluorés, d’efficacité prouvée. Elle ne peut apporter de preuves ni de l’intérêt du xylitol, ni d’un dépistage en première ligne, ni d’interventions éducatives.

 

Pour la pratique

Comme tous les autres guides de pratique étrangers consultés, un guide de pratique écossais paru en 2010 (10) recommande une consommation limitée de sucrerie et un brossage soigneux des dents dans le cadre de la prévention des caries dentaires chez l’enfant. Ce guide comme les autres ne donne cependant aucun niveau de preuve pour ces mesures et les autres proposées. Le guide de pratique 2013 de l’USPSTF (encore sous la forme de « draft » lors de la rédaction de cette analyse (11)) est le seul qui concerne spécifiquement les enfants âgés de moins de 5 ans, et recommande, sur base de la synthèse ici analysée, d’administrer des suppléments oraux de fluor à partir de l’âge de 6 mois aux enfants avec un apport insuffisant de fluor dans l’eau qu’ils consomment et d’appliquer un vernis fluoré sur leurs dents primaires (recommandation B = bonnes preuves d’un bénéfice modéré). Il conclut à une insuffisance de preuves pour recommander un dépistage systématique.

Sur base d’études et de méta-analyses chez des enfants plus âgés, le récent guide de pratique de SIGN (12) recommande l’utilisation uniquement locale de fluor, sous la forme d’un dentifrice fluoré (1 000 à 1500 ppm), taille d’un petit pois (1,3 ml) par jour, à partir de l’âge de 1 an et 2,2 ml à partir de l’âge de 4 ans (GRADE A).

 

 

 

Références

  1. Selwitz RH, Ismail AI, Pitts NB. Dental carries. Lancet 2007;369:51-9.
  2. Kawashita Y, Kitamura m, Saito T. Early childhood caries. Int J Dent 2011:725320.
  3. Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique. Guide canadien de Médecine clinique préventive. Edition Ottawa Canada KIA 0S9. ISBN 0-660-94804-4.
  4. La supplémentation systématique en fluor chez l’enfant doit être remise en question.. Rev Prescr 1996;16:381-7.
  5. Dents et fluor chez les enfants. Rev Prescr. Idées-Forces décembre 2012.
  6. Conseil supérieur de la Santé. Fluor et eau potable : risques potentiels pour la santé 14/02/2013
  7. Marinho VC, Higgins JP, Sheiham A, Logan S. One topical fluoride (toothpastes, or mouthrinses, or gels, or varnishes) versus another for preventing dental caries in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2004, Issue 1.
  8. Walsh T, Worthington HV, Glenny AM, et al. Fluoride toothpastes of different concentrations for preventing dental caries in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2010, Issue 1.
  9. Marinho VC, Worthington HV, Walsh T, Clarkson JE. Fluoride varnishes for preventing dental caries in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev 2013, Issue 7.
  10. Scottish Dental Clinical Effectiveness Programme. Prevention and management of dental caries in children. Dental Clinical Guidance. April 2010. www.scottishdental.org/cep
  11. U.S. Preventive Services Task Force. Prevention of dental caries in children from birth through age 5 years: U.S. Preventive Services Task Force. Recommendation Statement. DRAFT, June 2013.
  12. Scottish Intercollegiate Guidelines Network (SIGN). Dental interventions to prevent caries in children. Edinburgh: SIGN; 2014.(SIGN publication no. 138). [March 2014]. Available from URL: http://www.sign.ac.uk

 

 

 

Prévention des caries dentaires chez les enfants de moins de 5 ans

Auteurs

Chevalier E.
étudiante en Sciences Dentaires, Université Catholique de Louvain
COI :

Chevalier P.
médecin généraliste
COI :

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