Revue d'Evidence-Based Medicine



Douleurs thoraciques suspectes : utilité d’un ECG d’effort pour le pronostic ?



Minerva 2011 Volume 10 Numéro 1 Page 6 - 7

Professions de santé


Analyse de
Sekhri N, Feder GS, Junghans C, et al. Incremental prognostic value of the exercise electrocardiogram in the initial assessment of patients with suspected angina: cohort study. BMJ 2008;337:a2240.


Question clinique
Quelles informations supplémentaires pour le pronostic apporte l'épreuve d'effort (ECG) en plus d'une anamnèse soignée en cas de douleurs thoraciques suspectes ?


Conclusion
Cette étude de cohorte ne montre qu’une très faible valeur pronostique ajoutée par la réalisation d’un ECG au repos et à l’effort, par rapport à une anamnèse fouillée, chez des patients développant des douleurs thoraciques et adressés par leur médecin généraliste à un centre cardiologique.


 

Contexte

Dans le bilan de douleurs thoraciques suspectes d'angor, un ECG au repos est généralement réalisé ainsi que, souvent, une épreuve d'effort (par exemple chez ¾ des patients selon le registre européen EURO Heart Survey (1)). De nombreuses études ont été faites sur la faisabilité, les performances diagnostiques et les coûts des différentes techniques d'effort (2). Il n'existe que peu de données sur la valeur ajoutée de l'épreuve d'effort pour la prédiction de pronostic, hormis chez des patients coronariens et chez des personnes asymptomatiques.

 

Population étudiée

  • 8 176 personnes adressées consécutivement par leurs médecins traitants dans des polycliniques spécialisées ("Chest pain clinics" "Cliniques de la douleur thoracique" – R.-U.) pour des plaintes de douleurs thoraciques de survenue récente ; âge moyen de 55 ans (ET 13) ; 53% d’hommes
  • recrutement durant 7 ans (de janvier 1996 à décembre 2002)
  • critères d'exclusion : personnes sans douleur thoracique, avec maladie coronaire connue, avec données incomplètes pour les covariables prédéterminées, non reprises dans le registre central, de race noire ou non précisée.

 

Protocole d'étude

  • étude de cohorte
  • ECG d'effort chez 4 873 personnes (60% de la cohorte)
  • ECG d’effort avec résultat résumé : 4 848, classé en positif/négatif/douteux
  • ECG d'effort avec des données détaillées : 1 422 personnes
  • évaluation du critère de jugement primaire à la date du 23 décembre 2003
  • suivi médian de 2,5 ans
  • diagnostics accessibles dans les banques de données nationales (R.-U.) pour la mortalité d'origine coronaire et les séjours hospitaliers pour syndrome coronarien aigu, non fatal
  • censure : revascularisation myocardique (angioplastie coronaire / pontage aorto-coronaire).

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire composite : décès coronarien et survenue d'un syndrome coronarien aigu (SCA) non fatal
  • méthode d'analyse :
    • modèle de hasards proportionnels de Cox pour le critère de jugement primaire des facteurs cliniques,
      des données ECG au repos et ECG d'effort
    • construction de 3 modèles incrémentiels
              1. évaluation clinique de base
              2. associée à l'ECG de repos
              3. associée à l'ECG d'effort
    • courbe ROC est un graphique exprimant la capacité d’un test de dépistage de faire la distinction entre les personnes saines et les personnes malades. Sur le graphique ROC la sensibilité du test (vrais positifs) est indiquée sur l’axe des y (ordonnée) au moyen de différentes valeurs-seuils. Sur l’axe des x (abscisse) on place les faux-positifs (1-spécificité). La valeur optimale se trouve dans le coin supérieur gauche du graphique indiquant une proportion élevée de vrais-positifs et une faible proportion de faux-positifs). Une courbe ROC peut également être utilisée pour comparer entre eux différents tests diagnostiques (par exemple dans une méta-analyse). L’aire sous la courbe indique la précision du test : égale à 1 si le test est parfait et peut identifier tous les malades sans faux positifs, à 0,5 si le test est sans valeur, détectant autant de vrais positifs que de faux positifs.">ROC et calcul des statistiques C pour tous les patients et le groupe avec une probabilité intermédiaire de maladie coronaire (20-80%)

Résultats

  • caractéristiques de base semblables dans les 3 groupes distingués (cohorte principale, ECG d’effort résumé et ECG d’effort détaillé)
  • dans le modèle incorporant les données cliniques + ECG de repos + ECG d'effort, le risque d'être victime de la survenue d'un critère primaire repose essentiellement sur l'aspect typique des plaintes et sur les résultats pathologiques de l'effort (effort pathologique vs négatif)
  • probabilité cumulative de survenue du critère primaire composite à 6 ans de suivi : voir tableau
  • 47% des événements pour le critère primaire survenus chez des patients avec ECG d’effort normal.
 

Tableau. Probabilité cumulative en % de survenue du critère primaire composite à 6 ans de suivi.

Variable

 

Probabilité (IC à 95%)

Douleur thoracique

non spécifique

3 (2 à 4)

atypique

5 (4 à 5)

typique

16 (14 à 18)

Douleur thoracique

+ ECG au repos

normal

5 (5 à 6)

anormal

15 (13 à 17)

Douleur thoracique

+ ECG à l’effort

normal

9 (6 à 14)

équivoque

18 (12 à 27)

anormal

19 (16 à 23)

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez des patients suspects de souffrir d’angor, en ambulatoire, l’évaluation clinique de base apporte à peu près la même valeur prédictive qu’un ECG au repos et inclut une importante partie de la valeur prédictive d’un ECG à l’effort. La valeur incrémentielle limitée de ces tests largement réalisés souligne la nécessité de méthodes plus efficaces pour stratifier le risque dans ce groupe de patients.

 

Financement : National Health Service (Angleterre) non impliqué dans l’élaboration et l’analyse de cette recherche.

Conflits d’intérêt : aucun n’est déclaré.

 

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Les auteurs ont choisi une série consécutive de patients envoyés par leur médecin traitant à des "cliniques de douleurs thoraciques" pour la mise au point de douleurs thoraciques suspectes d'apparition récente.

Sur les 10 634 patients consécutifs, 2 458 ont été exclus pour des raisons bien détaillées. Les auteurs ne précisent pas les raisons pour lesquelles une épreuve d'effort n'a pas été réalisée chez la moitié des patients. La cohorte de 8 176 patients, recrutés sur une période de 7 ans (1996-2002) a pu être suivie pendant une durée médiane de 2,5 années grâce à un accès aux données de l'Office de Statistiques Nationales (en Grande-Bretagne) permettant une évaluation fiable de la survie à une date précise (23.12.2003). Les diagnostics hospitaliers durant la période de suivi ont eux aussi pu être obtenus avec un taux d'identification correcte de 99,5% (!). Ainsi la cohorte entière a pu être suivie et aucun événement cardiaque majeur (décès coronarien ou hospitalisation pour un syndrome coronarien aigu non fatal) durant le suivi n'a probablement échappé.

En raison de la variabilité dans la prise en charge par revascularisation myocardique (soit par angioplastie coronaire, soit par pontage aorto-coronaire) et de son impact éventuel sur le pronostic, les auteurs ont appliqué la technique de la "censure" = le suivi s'arrête au moment de la revascularisation.

Le critère de jugement primaire (critère composé de décès et de SCA) repose donc sur des événements cliniques "durs" et non pas sur des événements plus "doux" tels que l'angor, la coronarographie ou la revascularisation. Dans le groupe avec une épreuve d'effort (en plus de l'anamnèse et ECG de repos) (n = 4 848 personnes), les auteurs ont construit 3 modèles incrémentiels permettant d'évaluer correctement la valeur ajoutée de l'ECG de repos et de l'épreuve d'effort simple. La méthodologie statistique est solide. Les auteurs reconnaissent comme limitation de l'étude l'absence de données sur les valeurs lipidiques et sur les antécédents familiaux.

 

Interprétation des résultats

Les données de l'épreuve d'effort (effort pathologique vs normal) prédisent de façon indépendante la survenue d'un événement cardiovasculaire majeur, mais l'épreuve d'effort n'améliore que faiblement (5,7%) la prédiction du risque cardiovasculaire par rapport à l'anamnèse clinique soignée. Ces conclusions ne s'appliquent qu'aux épreuves d'effort "simples", c'est-à-dire sans autre technique d'imagerie médicale. Or la performance diagnostique (détection d'une maladie coronaire lors d'une épreuve d'effort) de l'ECG d'effort n'est que modeste sur base des valeurs de la sensibilité (68 %) et de la spécificité (77%) (3). L'avantage de l'ECG d'effort repose sur la facilité de réalisation, y compris au cabinet du cardiologue.

Les conclusions de l'étude de cohorte ne s'appliquent pas aux nouvelles techniques d'imagerie médicale à l'effort (scintigraphie myocardique, échocardiographie) dont les valeurs de sensibilité et spécificité avoisinent 90% (4,5). Mais ces dernières techniques demandent des investissements en infrastructure et une solide expertise dans la réalisation et l'interprétation des résultats. Dès lors, il serait hautement souhaitable de répéter cette étude de cohorte en utilisant des nouvelles techniques. La valeur ajoutée de ces techniques plus coûteuses dans la prédiction cardiovasculaire pourrait être ainsi évaluée.

Enfin, il faut souligner que cette étude porte sur la prédiction du risque et non pas sur la capacité diagnostique (présence ou absence de la maladie coronaire lors de l'épreuve d'effort), car un patient avec des plaintes peu typiques et avec une épreuve d'effort pathologique suivie d'une coronarographie sera retiré ("censuré") du suivi le jour de sa revascularisation…

 

Conclusion de Minerva

 

Cette étude de cohorte ne montre qu’une très faible valeur pronostique ajoutée par la réalisation d’un ECG au repos et à l’effort, par rapport à une anamnèse fouillée, chez des patients développant des douleurs thoraciques et adressés par leur médecin généraliste à un centre cardiologique. 

 

Pour la pratique

 

L'anamnèse et l'examen clinique restent les piliers dans le diagnostic de la maladie coronaire, et même de l'évaluation du risque cardiovasculaire. L’électrocardiogramme au repos et l'électrocardiogramme à l’effort n'apportent que peu de valeur ajoutée dans l'évaluation du pronostic. La valeur ajoutée d’autres imageries médicales à l’effort pour l’évaluation du pronostic reste à déterminer.

 

Références

  1. Daly CA, Clemens F, Sendon JL, et al; Euro Heart Survey Investigators. The clinical characteristics and investigations planned in patients with stable angina presenting to cardiologists in Europe: from the Euro heart survey of stable angina. Eur Heart J 2005;26:996-1010.
  2. Gibbons RJ, Balady GJ, Bricker JT, et al. ACC/AHA 2002 guideline update for exercise testing: summary article. A report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines (Committee to Update the 1997 Exercise Testing Guidelines). J Am Coll Cardiol 2002;40:1531-40.
  3. Gianrossi R, Detrano R, Mulvihill D, et al. Exercise-induced ST depression in the diagnosis of coronary artery disease: a meta-analysis. Circulation 1989;80:87-98.
  4. Marcus M, Schelbert H, Shorten D, Wolf G, eds. In: Cardiac Imaging, a compagnion to Braunwald's Heart Disease, W.B. Saunders Co. 1991; p. 1060.
  5. Marwick TH, Mehta R, Arheart K, Lauer MS. Use of exercise echocardiography for prognostic evaluation of patients with known or suspected coronary artery disease. J Am Coll Cardiol 1997;30:83-90.
Douleurs thoraciques suspectes : utilité d’un ECG d’effort pour le pronostic ?

Auteurs

Schröder E.
Service de Cardiologie, Cliniques Universitaires UCL de Mont-Godinne
COI :

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