Revue d'Evidence-Based Medicine



IPP pour les nourrissons avec plaintes postprandiales ?



Minerva 2010 Volume 9 Numéro 6 Page 68 - 69

Professions de santé


Analyse de
Orenstein SR, Hassal E, Furmaga-Jablonska W, et al. Multicenter, double-blind, randomized, placebo-controlled trial assessing the efficacy and safety of proton-pump-inhibitor lansoprazol in infants with symptoms of gastroesophageal reflux disease. J Pediatr 2009;154:514-20.


Question clinique
Chez des nourrissons présentant des symptômes attribués à un reflux gastro-oesophagien, quelle est l’efficacité du lansoprazole versus placebo sur les plaintes et le comportement difficile de ces nourrissons et quelle est sa sécurité d’emploi ?


Conclusion
Cette étude montre une efficacité semblable du lansoprazole et d’un placebo chez des nourrissons qui se plaignent pendant ou peu après le repas mais avec davantage d’effets indésirables sévères sous lansoprazole.


 

Contexte

En Belgique, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et les antihistaminiques H2 ne sont pas enregistrés pour une utilisation chez les nourrissons. Leur efficacité et leur sécurité sont insuffisamment prouvées pour cette population. Ces médicaments sont cependant fréquemment prescrits et remboursés dans cette catégorie d’âge pour des symptômes attribués à un reflux gastro-oesophagien (RGO) : environ 20 000 nourrissons (nés en 2007 et 2008) ont reçu en 2008 un remboursement pour ces médicaments.

 

Résumé

 

Population étudiée

  • 162 nourrissons âgés de 1 à 12 mois ; âge médian entre 16 et 18 semaines ; recrutés dans 8 centres étatsuniens et 8 polonais
  • critères d’inclusion : > 2 kg ; plaintes ou comportement difficile durant au moins une heure quotidiennement suite à au moins 25% des repas ; plaintes persistantes après 1 à 2 semaines d’un traitement d’essai non médicamenteux (moindre exposition à la fumée de tabac, adaptation de l’alimentation (repas moins importants, plus fréquents, alimentation épaissie), modification de position (pas de position couchée sur le dos après le repas)) ; pas d’exigence d’une documentation d’un RGO (pHmétrie)
  • critères d’exclusion : e.a. pathologie gastro-intestinale congénitale, anomalie à l’examen clinique ou biologique, recours à des IPP dans les 30 jours ou à des antiH2 dans les 7 jours avant l’inclusion.

Protocole d’étude

  • étude randomisée, en double aveugle, contrôlée versus placebo, multicentrique
  • intervention : lansoprazole (n=81) administré à jeun sous forme d’une suspension de microgranules préparée pour l’étude, à la dose de 0,3 à 0,3 mg/kg/j pour les nourrissons ≤ 10 semaines et de 1 à 1,5 mg/kg/j pour les nourrissons > 10 semaines, versus placebo (n=81) pendant 4 semaines
  • en l’absence d’amélioration ≥ 1 semaine, possibilité de passer à une administration en ouvert de lansoprazole à la même dose
  • poursuite autorisée d’autres traitements efficaces médicamenteux ou non
  • notification des repas et des symptômes (liés aux repas) par les parents.

 

Mesure des résultats

  • critères primaires : nombre et durée des crises de larmes durant au moins 1 heure après les repas ; définition d’une réponse = diminution ≥ 50% à la semaine 4 (ou dernière donnée en cas d’arrêt prématuré)
  • critères secondaires : autres symptômes de RGO, évaluation de la sévérité des plaintes par les parents et par le médecin traitant sur une échelle de 0 (absence) à 5 (très sévères), présence de sibilances
  • effets indésirables (sévères)
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • pas de différence statistiquement significative (SS) pour les arrêts prématurés de traitement (35 et 36%)
  • critère primaire : pas de différence SS pour le taux de réponse (54%)
  • nombre de repas suivis de symptômes (toux, régurgitation, arrêt ou refus de s’alimenter, hyperextension du dos, sibilances, enrouement) : pas de différence SS
  • évaluation globale par les parents et par le médecin traitant : pas de différence SS
  • effets indésirables (infections des voies respiratoires, fièvre, eczéma, diarrhée par ex.) : pas de différence SS ; plus d’effets indésirables sévères avec hospitalisations (déshydratation, infection des voies respiratoires basses par ex.) pour le lansoprazole (12%) versus placebo (2%, p =0,032 pour la différence).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent à l’absence de différence en efficacité entre le lansoprazole et un placebo pour les symptômes attribués à un reflux gastro-oesophagien chez des enfants âgés d’un à douze mois. Des effets indésirables sévères sont plus fréquemment observés sous lansoprazole, particulièrement des infections respiratoires basses.

 

Financement

Takeda Global Research & Development Center Inc.

Conflits d’intérêt

Trois auteurs sont consultants de la firme Takeda Global Research & Development Center, et 2 autres en sont des collaborateurs.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude bénéficie d’un protocole solide, très clair et bien détaillé : échantillon important, randomisation par blocs, en double aveugle, contrôle versus placebo. Le nombre de patients à inclure pour montrer avec une puissance ≥ 80% la supériorité du lansoprazole est atteint. Ce calcul tient compte d’une réponse sous placebo de ≤ 25% et d’une réponse sous lansoprazole ≥ 50%. La réponse au placebo observée est cependant beaucoup plus importante (54%). La limite importante, également mentionnée par les auteurs, est la possibilité de s’orienter vers une administration en ouvert du lansoprazole en cas de réponse absente ou insuffisante après au moins une semaine de traitement. Le suivi en double aveugle est limité à une semaine pour 17 nourrissons et à moins de 4 semaines pour 55 d’entre eux.

 

Mise en perspective des résultats

Les résultats de cette étude n’apportent pas d’argument pour initier un traitement d’essai avec les IPP chez des nourrissons qui se plaignent pendant ou juste après les repas. Dans leur discussion, les auteurs soulignent que la dose et la forme galénique de lansoprazole utilisées ainsi que la courte durée de l’étude (4 semaines seulement) peuvent avoir influencé les résultats. Il y a cependant peu de probabilité qu’un bénéfice du lansoprazole se révèle lors d’une phase plus prolongée en double aveugle. Cette étude confirme les résultats d’une précédente étude avec de l’oméprazole versus placebo chez des nourrissons avec RGO irritables (1) : pas de différence entre les deux groupes de traitement. Les chercheurs évaluent, dans l’étude analysée ici, l’efficacité du lansoprazole versus placebo sur les symptômes attribués à un reflux gastro-oesophagien, en se basant sur un outil standardisé, l’I-GERQuestionnaire. Ce questionnaire n’est cependant validé que pour des nourrissons présentant un RGO prouvé (pHmétrie oesophagienne anormale et oesophagite érosive). Le taux de répondeurs fort élevé sous placebo pourrait signifier que les symptômes ne sont pas occasionnés par un reflux gastro-oesophagien acide ou que les plaintes diminuent spontanément graduellement avec le temps, avec ou sans mesures non médicamenteuses. Cette évolution favorable spontanée est confirmée par une étude de cohorte (2). Administrer des IPP (ou autres médicaments) pour ce problème, aboutit à médicaliser un comportement qui fait probablement partie d’un comportement normal d’un nourrisson. L’observation, dans cette étude-ci, d’une moindre sévérité des symptômes sous lansoprazole par 80% des parents et 85% des médecins lorsque celui-ci est administré en ouvert pour seulement 49% et 56% respectivement lors d’une administration des mêmes doses en double aveugle, indique un biais important dans l’attente des résultats du traitement chez les parents et les médecins.

 

Pour la pratique

Il n’existe pas de traitement univoque pour les nourrissons qui se plaignent après les repas. Cette étude ne montre pas d’efficacité du lansoprazole sur l’évolution des plaintes. Le recours à du lansoprazole provoque, par contre, davantage d’effets indésirables sévères, tels que des infections des voies respiratoires inférieures. Dans une précédente analyse publiée par Minerva (3), nous avons souligné l’efficacité faible d’un épaississement de l’alimentation sur la diminution des régurgitations. La prise en charge des symptômes d’un reflux gastro-œsophagien chez des enfants consiste principalement à ajuster le type d’attentes des parents ainsi que leurs connaissances quant à un comportement normal des nourrissons. Des mesures non médicamenteuses peuvent ensuite apporter une aide complémentaire : repas dans le calme, réguliers, « à la demande », en apprenant à interpréter correctement cette « demande » pour éviter le trop ou le trop peu d’alimentation.

Les résultats de cette étude ne peuvent être extrapolés à des nourrissons présentant un RGO documenté. Pour ce dernier groupe d’enfants, un traitement médicamenteux diminuant l’acidité est indiqué (4).

 

 

Conclusion

Cette étude montre une efficacité semblable du lansoprazole et d’un placebo chez des nourrissons qui se plaignent pendant ou peu après le repas mais avec davantage d’effets indésirables sévères sous lansoprazole.

 

 

Références

  1. Moore DJ, Tao BS, Lines DR et al. Double-blind placebo-controlled trial of omeprazole in irritable infants with gastroesophageal reflux. J Pediatr 2003;143:219-23.
  2. Nelson SP, Chen EH, Syniar GM, Christoffel KK. One year follow-up of symptoms of gastroesophageal reflux during infancy. Pediatric Practice Research Group. Pediatrics 1998;102:e67-70.
  3. Van Winckel M. Nourriture épaissie en cas de reflux gastro-œsophagien chez le nourrisson ? MinervaF 2009;8(10):134-5.
  4. Pediatric Gastroesophageal Reflux Clinical Practice Guidelines: Joint Recommendations of the North American Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition (NASPGHAN) and the European Society for Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition (ESPGHAN). Co-chairs: Yvan Vandenplas and Colin Rudolph. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2009;49:498-547.
IPP pour les nourrissons avec plaintes postprandiales ?



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